Non, une réforme fiscale réussie ce n’est pas juste éradiquer les niches fiscales
Le ministre Van Peteghem se présente aujourd’hui comme le père de la prochaine «grande réforme fiscale». Si ses idées ne manquent pas d’un certain intérêt, les professionnels restent dubitatifs quant à ses intentions.
Ce qui justifie et permet l’activation d’une réforme fiscale aujourd’hui, c’est bien le niveau de pression fiscale exercée sur le travail. Qu’ils soient de gauche ou de droite, tous les politiques sont d’accord sur ce point. L’OCDE classe d'ailleurs la Belgique sur le podium des pays les plus taxateurs depuis de nombreuses années. Et même si la situation s’est un peu améliorée, notre statut n’a jamais été menacé.
Le premier élément de défiance à l’égard du ministre vient du paradoxe entre sa volonté de baisser la pression sur le travail et celle de le faire dans un cadre budgétairement neutre. C’est un peu comme les régimes: on voudrait maigrir sans baisser l’apport calorique journalier. C’est peut-être possible, mais il y a, ou des contreparties cachées (du cholestérol par exemple), ou des comportements à modifier très largement (devenir végétarien, par exemple). Et sur ce point ce n’est pas le diététicien qui doit changer, mais bien le patient (le contribuable).
Il est paradoxal de vouloir baisser la pression sur le travail et de vouloir le faire dans un cadre budgétairement neutre. C’est un peu comme les régimes: on voudrait maigrir sans baisser l’apport calorique journalier.
Avec 53 milliards de recettes IPP annoncées en 2022, équivalent à 12% du PIB ou représentant 28% de l’ensemble des recettes fiscales de l’État, l’IPP pèse définitivement trop lourd. Si l'on veut baisser la pression fiscale, il faudrait disposer d’une approche «macro» qui s’accorde sur de nouveaux équilibres, ce qui nécessite l'implication de tous les ministres, et idéalement de toutes les entités (fédérales et fédérées). Vous avez dit impossible challenge?
Ce qui favorise la démarche du ministre, c'est pourtant bien le contexte. En pleine crise énergétique, le pouvoir d’achat des contribuables est menacé. Or, notre désir de consommer reste, lui, intact, et si, hier, nous pouvions assouvir l’essentiel de nos envies, aujourd’hui, il faut se priver, plus ou moins sensiblement selon nos réalités personnelles. L'idée de baisser la pression sur le travail plaît donc à tout le monde, et dépasse largement les clivages idéologiques.
Du tax shift au people shift
Voilà pourquoi aujourd’hui, la réforme a le vent en poupe. Pour autant, elle n’est pas portée par tous avec les mêmes intentions. Telle est la deuxième raison de notre méfiance. Dans l’épure fiscale, et en particulier dans les intentions de la première vague (de la réforme, qui en compte deux), il est manifeste que ce sont les travailleurs, et notamment ceux qui bénéficient des régimes d’exception qui sont visés.
En suggérant de supprimer un grand nombre de ces exceptions fiscales, on demande explicitement aux travailleurs loyaux de contribuer, pour tous les autres, à la mise en œuvre d’une nouvelle réforme fiscale.
Ces régimes, appelés également «niches fiscales», ne sont en réalité que le produit du législateur depuis les années 90. Au terme du processus de concertation sociale, et donc avec l’assentiment favorable des représentants des travailleurs et des employés, les gouvernements successifs l’est ont installé dans notre législation et les ont légitimés.
Cette légitimité nait de la volonté originelle d’attribuer un avantage aux travailleurs à bas prix, pour tout le monde… à l’exception de l’État. La schizophrénie historique est donc plutôt mal venue. En suggérant de supprimer un grand nombre de ces exceptions, on demande explicitement aux travailleurs loyaux de contribuer, pour tous les autres, à la mise en œuvre d’une nouvelle réforme fiscale.
La pression fiscale se déplace d’une personne élue dans le temps par son travail au bénéfice des personnes non éligibles ou des personnes qui ne travaillent pas (ou plus). Je dénommerai ce système un «people shif», loin du principe du «tax shift»; une nouvelle consécration du massacre de la classe moyenne.
Une réforme tous les trente ans?
La réforme de (19)’62 était profonde et emballante. Elle a mis en place la progressivité de l’impôt sur l’ensemble des revenus. Une idée louable. Pourtant, trois ans plus tard, en 1965, les recettes issues de l’IPP ne représentaient que 6% du PIB et 20% des recettes fiscales. Les comparaisons sont instructives.
Réformer 60 ans plus tard avec la même volonté pourrait nous inspirer et induire des ajustements. Sous l’adage «les arbres ne montent pas jusqu’au ciel», le ministre devrait savoir que si nous collections aujourd’hui 20% du PIB au lieu de 28%, il faudrait renoncer effectivement à 15 milliards de recettes, loin d’une action budgétairement neutre. Voilà une troisième raison d’être défiant.
Trente ans plus tard, la réforme de (19)’92 vit le jour. Moins fondamentale, elle était d’abord et avant tout une réécriture propre de notre code.
2022 parait donc être le bon millésime si nous souhaitons respecter le rythme de la trentaine. Je crains toutefois que cette opportunité soit déjà derrière nous, ce qui ne signifie pas qu'une deuxième mi-temps ne puisse pas remporter un vif succès. Notre vœu sera donc bien celui-là.
Emmanuel Degrève
Conseil Fiscal, Partner chez Deg & Partners
Professeur à l’EPHEC et président du Forum For the Future
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