Prédire l'évolution à long terme de l'économie et des marchés boursiers reste de l’ordre de l’intuition. Mais que se passerait-il si nous laissions ce pari aux mains de l'intelligence artificielle? Faut-il y voir une stratégie avisée ou une promesse de catastrophe?
“Nous approchons d'un point où des algorithmes puissants accéléreront les découvertes scientifiques. Dans 10 ans, vous verrez de nombreuses avancées révolutionnaires dans de nombreux domaines.” Cette déclaration de 2016 vient du fondateur de DeepMind. Sa prédiction s'est révélée exacte: DeepMind a reçu l'année dernière le prix Nobel de chimie pour avoir développé une technologie d'IA capable de prédire la structure des protéines. Le prix Nobel de physique a également été attribué à une percée rendue possible par l'IA.
“Que l'IA dépasse le cerveau humain à tous côtés est indéniable”, déclare Christofer Govaerts, économiste en chef chez Nagelmackers. “Cela soulève une question, cependant: si l'IA est capable de résoudre des problèmes scientifiques complexes, peut-elle prédire l'économie et les marchés financiers?”
Révolutionnaire ou imprudent?
La crise de 2008 a douloureusement révélé les limites des modèles économiques traditionnels pour prédire les risques et les chocs. “La capacité de prévision des modèles économétriques fonctionne tant que le climat est plus ou moins 'normal'. Mais en cas de choc, ces modèles perdent le nord. Les banques centrales et des institutions comme le FMI se fient encore largement à des modèles fondés sur des données historiques et des hypothèses de comportement rationnel. Mais l'économie ne se laisse pas enfermer dans des formules simples. Les modèles d'IA peuvent-ils faire mieux? Oui… et non.”
"Ce qui est certain, c'est que nous devons nous préparer à un avenir où l'IA ne sera pas seulement un outil, mais un acteur à part entière. Espérons qu'elle ne se développe pas en un Frankenstein 2.0"
Selon Christofer Govaerts, l'IA offre certainement des avantages pour détecter des schémas complexes, mais la fiabilité reste un point d'attention. “FactSet a par exemple construit un indicateur de récession piloté par l'IA. Le modèle peut fournir des indications significatives pour les deux prochains mois. Mais ne laissez pas un tel modèle d'IA prédire à quoi ressemblera l'économie en 2026!”
Des algorithmes qui prennent le contrôle du marché?
Dans les modèles économétriques comme sur les marchés financiers, on expérimente aujourd’hui avec l'IA. Les algorithmes qui exécutent des milliers de transactions en quelques millisecondes existent depuis les années 1990. “Mais ce que nous voyons maintenant, c'est une nouvelle génération d'IA qui ne réagit pas seulement aux mouvements de prix, mais aussi à des schémas complexes et non linéaires sur le marché”, précise Christofer Govaerts.
“Un exemple frappant est Algae AI. Un docteur en biologie a construit il y a plus de 10 ans un algorithme pour aider à prédire la croissance des algues. Par curiosité, il a appliqué cet algorithme à la Bourse pour négocier des actions. En 10 ans, son modèle d'IA a obtenu un rendement supérieur à celui du S&P 500... mais inférieur à celui du Nasdaq.”
Un krach boursier causé par l'IA?
On s'attend à ce que l'IA joue un rôle de plus en plus important dans la gestion de portefeuille et l'évaluation des risques. “Sur le NYSE, 70% des transactions sont déjà effectuées par des ordinateurs, sans intervention humaine. Mais malgré quelques succès, cette évolution soulève de vraies questions.”
"Sur le NYSE, 70% des transactions sont déjà effectuées par des ordinateurs, sans intervention humaine. Mais malgré quelques succès, cette évolution soulève de vraies questions"
Des expériences montrent que les algorithmes d'IA, lorsqu'ils sont déployés simultanément, peuvent collaborer pour faire artificiellement grimper les cours des actions, illustre Christofer Govaerts. “Cela peut mener à des mouvements de marché incontrôlés, où les cours montent ou descendent sans que personne ne comprenne pourquoi. Là où une 'erreur de frappe' pouvait encore être corrigée, cela se complexifie lorsque les systèmes d'IA se renforcent mutuellement dans leurs décisions. Un krach provoqué par l'IA n'est pas impensable, et le risque de contagion à l'économie réelle peut être élevé.”
Indispensable
Tout le monde s'accorde à dire que l'IA prouve son utilité. La technologie peut découvrir des schémas qui étaient auparavant cachés. Et l'IA nous aide à mieux naviguer dans des systèmes complexes. “Mais ses limites ne sont pas encore claires: que se passe-t-il si tout le monde dispose de son propre modèle d'IA pour trader en Bourse?, s’interroge Christofer Govaerts.
En outre, l'IA n'a pas de boussole morale. “Supposons que l'IA, en se fondant sur des schémas algorithmiques, provoque un krach qui se propage à l'économie réelle. Qui en serait responsable? La vitesse à laquelle l'IA évolue fait que de nombreuses questions éthiques demeurent sans réponse. Et puis, l'IA continue de s'améliorer, sans que nous sachions où cela mènera. Ce qui est certain, c'est que nous devons nous préparer à un avenir où l'IA ne sera pas seulement un outil, mais un acteur à part entière. Espérons qu'elle ne se développe pas en un Frankenstein 2.0.”
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