Sur son skate, Walt Van Beek détourne la ville

Les gens ne se réduisent pas aux cases dans lesquelles on a tendance à les ranger, a fortiori quand ils occupent le bureau d'à-côté, comme Walt Van Beek, l'œil de Mediafin, qui choisit les photographies qui illustrent nos journaux du week-end et leur donne leur cohérence, leur style et leur impact visuel. Walt ne fait pas que sélectionner des photographies, il en prend aussi parmi une activité artistique foisonnante (peinture, vidéo, performance). On le découvre dans son exposition qui se poursuit, jusqu'au 2 mars, au centre communautaire flamand Pianofabriek, à Saint-Gilles.

Au mur, une série de cinq bulles à verres, photographiées à Berlin, donne la tonalité de cet ensemble dédié à la rue et à l'espace public que Walt Van Beek a arpenté sans relâche, depuis 25 ans, en équilibre précaire sur son skateboard. "Ce travail est dédié à mon père, Paul Van Beek", dit celui qui a fait ses classes en architecture d'intérieur et en design à Sint-Lukas, à Schaerbeek. "Dans les années 1980, il avait réalisé des photos de bulles à verres, à Anvers, qui m'avaient marqué. Moi, je les ai faites à Berlin, une ville qui me fascine."

Détourner les formes et les usages

Fascination aussi pour cette forme ovoïde étrange, percées de deux trous, suspendue à un solide crochet d'aluminium, et qui donne prétexte à une série de performances ("Gläso"/"Gläser") où on voit l'artiste découper, remonter et peindre sa bulle à verres, la détournant de sa fonction initiale pour en faire autre chose. Et pourquoi pas des skateboards, dont on voit une série rythmer l'un des murs de l'exposition.

Ces planches, Walt Van Beek les a étrennées dans les rues d'Istanbul et de Paris, "skatant" lui-même ou invitant les jeunes qu'il croise sur son chemin à tenter la glisse, comme on le voit dans une autre vidéo au sous-sol de la Pianofabriek. "J'ai une certaine nostalgie pour les objets dont on n'a plus besoin et que l'on rejette. J'aime repenser ces formes et leur imaginer d'autres usages", explique-t-il.

Dont acte avec cette borne en béton qui trône sur un vinyle blanc au centre de l'espace d'exposition et qui en est le point focal. Dans une performance digne du plasticien Francis Alÿs transportant un bloc de glace dans les rues de Mexico jusqu'à sa fonte complète, l'artiste a déplacé sa borne de Cureghem, à Anderlecht, où elle était vouée à la déchèterie, jusqu'à la salle de l'exposition. Performance filmée... sur une planche à roulettes évidemment.

Les traces de la liberté

C'est le genre d'équipements urbains dont s'emparent les skaters pour exécuter leurs figures acrobatiques et laisser une trace de leur passage. "'Traces' est d'ailleurs le titre que j'ai donné à un catalogue regroupant mes peintures, car on laisse des traces sur les murs en 'skatant'. Des traces invisibles en ville qui relient entre eux les endroits où la communauté de skaters aime se retrouver", dit-il en désignant "City Shapes", ses grandes toiles abstraites en noir et blanc, exécutées d'après les clichés qu'il a pris de ses "spots" favoris à Berlin ou Bruxelles – Budapester strasse, Alte Potsdammer strasse, rue Gheude...

"Ce sont des espaces qu'on s'approprie en tant que skater, comme les sans-abris qui 'privatisent' certains lieux pour être au calme et pouvoir dormir", dit-il en regrettant qu'aujourd'hui les skateparks se soient multipliés dans les villes au détriment de cette appropriation sauvage de lieux qui n'étaient pas faits pour ça. "Mon exposition est un hommage à la créativité et à la liberté, à la rue et au détournement de notre regard sur la ville."