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Suetsugu Yosuke, le chef des chefs japonais de Bruxelles

©Saskia Vanderstichele

Suetsugu Yosuke, le patron du Nonbe Daigaku, ouvre les portes du restaurant japonais le plus authentique de la capitale. Et d’un art culinaire raffiné et ancien.

Entrer dans l’univers de la cuisine japonaise, c’est oublier les codes de la restauration occidentale. Difficile, cependant, de percer les secrets de cet art culinaire tirant ses influences de milliers d’années d’insularité. Qu’il s’agisse des techniques utilisées ou de la gestion de l’établissement. Car si le sushi est devenu une mode, et que tout un chacun aime s’y essayer, réaliser un véritable sushi nécessite un apprentissage de plusieurs années. Sous la conduite d’un maître.

Suetsugu Yosuke, le propriétaire du Nonbe Daigaku, est le chef japonais le mieux indiqué en Belgique pour entamer le voyage. Âgé de 66 ans, il a officié durant 28 ans comme chef cuisinier du Tagawa, l’une des plus prestigieuses adresses de la capitale, aujourd’hui fermée après avoir été reprise par un gérant russe mal inspiré.

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Discret, mais abordable, Suetsugu Yosuke accepte l’entretien. Plusieurs adresses nipponnes ont refusé.

Le Nonbe Daigaku est situé à Ixelles, rue Adolphe Buyl. Il est midi. La porte s’ouvre, et nous quittons le pays pour basculer dans une ambiance tokyoïte. La salle est comble. Des hommes d’affaires, installés au comptoir, discutent âprement d’une joint-venture. Le patron, les mains fines et agiles, aligne les sushis avec une précision sans faille.

Au menu, figurent les traditionnels sushis, sashimis, soupes miso, salades de thon rouge. Et des mets plus rares. L’une des spécialités est le sashimi de langouste vivante. Mais vu la rareté de la matière première, ce plat n’est disponible que sur commande.

Le couvert chiffre aux alentours de 70 euros. Le restaurant emploie trois à quatre personnes, dont le fils, prêt à prendre la relève.

Le personnel est la première valeur des lieux. "Comme maître de cuisine du Tagawa, j’étais chargé de recruter les cuisiniers. Nous allions les chercher au Japon, il était impossible d’en trouver en Belgique", explique Suetsugu Yosuke. Depuis qu’il est en Belgique, le chef a recruté dans l’archipel une centaine de cuisiniers venus s’installer quelques années. Avant de retourner, pour la plupart, au pays.

La hiérarchie est la clé de voûte du restaurant japonais. Le chef recrute son apprenti et lui enseigne le "washoku", la cuisine traditionnelle née de période de fermeture du Japon au monde occidental. Le lien entre le maître et l’élève s’installe souvent au delà de la vie professionnelle.

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Maître de grands cuisiniers

Sous ses dehors modestes, Suetsugu Yosuke est plus qu’un simple chef. Il a formé un grand nombre de cuisiniers recrutés dans les autres restaurants bruxellois, japonais ou occidentaux. "Fin 2005, j’ai quitté le Tagawa pour ouvrir le Nonbe Daigaku. Je suis allé rechercher un de mes élèves au Japon", confie-t-il. "Il avait quitté depuis une dizaine d’années. Il est revenu pour moi en Belgique. Ensuite, je l’ai aidé à ouvrir son propre restaurant, le Kamo." Une belle aventure, puisque le Kamo a reçu une étoile au guide Michelin. Un de ses anciens apprenti est cuisinier au bon-bon, l’établissement bruxellois qui a reçu cette année sa deuxième étoile.

La formation d’un cuisinier japonais est longue et complexe. Préparer du poisson cru doit se faire dans des conditions d’hygiène maximales, avec des couteaux spécialisés par aliment et par style de coupe. "Il faut entre trois et six ans pour apprendre à faire des sushis correctement", indique-t-il. "Mais pour apprendre à choisir et à découper le poisson dans les règles de l’art, il faut au moins dix ans". L’œil exercé doit pouvoir discerner dans la chair la moindre petite imperfection, le moindre parasite. "J’utilise la vue et le toucher".

Traditionnellement, s’il juge son ouvrier apte, le chef japonais l’autorise et l’aide à ouvrir son propre restaurant. Ainsi, ils sont tous liés les uns aux autres. Une manière de garantir la qualité, et surtout… de contrôler la concurrence. "C’est un peu comme une maffia", s’amuse Suetsugu Yosuke.

Fausse cuisine japonaise

Face au succès de la cuisine japonaise, les imitations ont poussé comme des champignons. La cuisine "teppannyaki", où le client porte un kimono tandis que le cuisinier tourneboule avec un bandeau sur le front, plonge notre hôte dans l’horreur. "C’est une mode qui vient de New York, de la fausse cuisine japonaise souvent tenue par des Coréens ou des Chinois", s’indigne-t-il. Autre hérésie: servir des sushis avec des yakitori (brochettes de poulet), une invention franco-chinoise que l’on retrouve dans les "restaurants japonais" d’opérette, à Paris ou à Bruxelles.

Rien à voir avec le "kaiseki", le plus haut niveau de la gastronomie japonaise, composé de plusieurs petits repas d’une complexité élevée et assortis à des thés et des sake rares. Dans cette cuisine qui remonte au 16e siècle, tout est dans l’harmonie des goûts, des textures et des couleurs de la nourriture. "Je peux la préparer, mais il faut des produits de saison que l’on ne trouve pas toujours ici. Vous pouvez en trouver à Paris chez Okuda, à 250 euros le couvert".

Le choix du poisson est complexe, et son prix pèse énormément dans le chiffre d’affaires. Les tarifs des poissonniers varient en fonction des saisons et du climat. Suetsugu Yosuke a plusieurs fournisseurs pour garantir un prix raisonnable, tout en assurant une qualité élevée. Pour plus de rentabilité, il arrive que les restaurants japonais de Bruxelles achètent ensemble les plus gros poissons.

Le coût des pièces rares donne le vertige. "Cette année, un thon Bluefin de 222 kilos a été vendu au Japon 155 millions de yens (1,2 million d’euros), c’est un record", explique-t-il. L’acheteur, la chaîne Sushi Zanmai, a servi le thon à quelques clients privilégiés, sans révéler la note finale.

Le dernier client du Nonbe Daigaku a payé sa note depuis longtemps. Suetsugu Yosuke se lance dans une dernière description détaillée de la cuisine "kaiseki", avant de retourner derrière son comptoir.

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