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reportage

À Paris, le Centquatre, de l'usine à deuil au laboratoire créatif et social

Le Centquatre assume aussi un projet social, un laboratoire créatif ouvert sur le quartier et la ville, et qui entend influer sur elle. ©Alamy Stock Photo

Ex-friche industrielle devenue centre culturel participatif emblématique, le Centquatre est situé dans le 19ᵉ arrondissement de Paris. L’endroit est foisonnant et se veut l’incarnation d’un carrefour entre les pratiques culturelles et artistiques, tout en assumant un vrai projet social.

En cette fin d’année, le Centquatre, à Paris, semble presque désert. Situé dans le 19ᵉ arrondissement, au 104 de la rue d’Aubervilliers, l’endroit, grande structure métallique se mêlant au gris du ciel de ce mois de décembre, peut paraitre de prime abord froid, presque glacial: on dirait une gare ou un immense abattoir.  

De la mort à la vie

Cette impression est confirmée par l’histoire du lieu: le "104" fut longtemps considéré comme "l’usine à deuil" de la capitale française puisqu’il abritait les pompes funèbres de Paris depuis la fin du 19ᵉ siècle... Pendant plus d’un siècle, on y voyait ainsi se succéder les croque-morts. À sa fermeture, en janvier 1998, le bâtiment immense (40.000 m²), composé de deux grandes halles industrielles séparées par une cour intérieure, se prête mal à un projet de réhabilitation: qu’imaginer en effet dans un lieu qui suscite tout même un léger effroi ou même un certain dégoût?

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La résurrection vient dans les années 2000: le maire de l’époque, Bertrand Delanoë, décide d’en faire un immense paquebot culturel. Le lieu est rebaptisé Centquatre et redécoupé en dix-huit ateliers d’artistes (plasticiens, musiciens, danseurs, etc.). Restauré par les architectes de l'Atelier Novembre, il est inauguré le 11 octobre 2008.

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À ses débuts, le passé de l’endroit lui colle à la peau:  ce n'est pas le lieu de culture et d’art que l'on vient d'abord voir, mais l'opération de réhabilitation des pompes funèbres parisiennes en lieu de vie et de création. Un habitant du quartier, qui a vécu la renaissance de l’endroit, se souvient: "C’était tout de même un peu morbide avant. Maintenant c'est autre chose. C'est comme si les vivants avaient réinvesti l’endroit. On peut vraiment parler d’un renaissance".

L’objectif est clair: créer un espace dédié à l'art d'aujourd'hui, un art en train de se faire, afin que le public et les artistes entrent en relation, que les arts cohabitent. L’idée n’est donc pas de faire du Centquatre un lieu d’exposition ou de diffusion des arts, mais un espace où se mêlent amateurs et professionnels, public et créateurs, un lieu de passage et de résidence d’artistes, de loisir et de travail, de création et de démocratisation de l’art. Le public est ainsi invité aux répétitions, aux rencontres, aux débats, mais aussi à participer à des ateliers artistiques.

Les compagnies peuvent répéter dans l'une des deux salles de spectacle et les artistes peuvent régulièrement tester leur création et montrer le fruit de leur recherche. Enfin, le Centquatre assume aussi un projet social, un laboratoire créatif ouvert sur le quartier et la ville, et qui entend influer sur elle...

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"Ce n’est pas parce qu'on va mettre un centre d'art au milieu d'une banlieue que tout peut changer pour les gens du quartier."

Un habitant du quartier du Cenquatre

Un projet pour quel public?

Lorsqu’on entre pour la première fois au Centquatre, on est surpris par la taille des lieux, mais surtout par la liberté de circulation. "Traversée", c'est d’ailleurs le nom donné à la longue allée centrale qui relie la rue Curial à la rue d'Aubervilliers. C’est littéralement une "rue" occupée par des artistes, à laquelle s’adossent des commerces (café, restaurant, librairie, etc.) où il est possible de marcher, s'asseoir, discuter ou consommer.

On se situe ici très clairement à l’intersection entre la culture et le social.  À son origine, le projet ne cachait pas son ambition profonde: l'insertion sociale par la culture. Il s’agissait bien d’arrimer un projet culturel à une dynamique sociale. Les artistes deviendraient ainsi de véritables "passeurs" de culture, s’adressant à une population alentour généralement éloignée de la culture, en sachant que le "104" est installé dans la périphérie urbaine, au cœur d'un quartier défavorisé où le chômage approche les 20%.

Le foisonnement créatif était censé donner une impulsion sociale: voir un art en train de se faire, c’est, d’une manière ou d’une autre, y prendre part. Dans un premier temps néanmoins, le projet ne trouve pas son public: il ne parvient pas à créer une demande et n'attire pas assez le public extérieur. Autrement dit: il séduit majoritairement un public bobo et forme une enclave dans un quartier qu’il était censé désenclaver... Comment marier un public peu habitué à l’art et à ses manifestations avec un certain "élitisme culturel", proposant des projections, des concerts, du théâtre?

Le contraste entre les artistes et le public bigarré peut parfois être lisible même s’il y a une volonté pédagogique évidente: faire connaître, susciter la curiosité. Mais c’est comme si le projet se heurtait, à certains moments, aux réalités sociales: "Ce n’est pas parce qu'on va mettre un centre d'art au milieu d'une banlieue que tout peut changer pour les gens du quartier. Pour les gens qui s'intéressent à ça, c’est très bien, mais c'est tout. Il est possible de créer certains ponts, mais ça ne peut pas résoudre tous les problèmes sociaux", déclare un habitant plutôt dubitatif. 

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À l’inverse, une jeune fille croisée sur place nous dit ceci:  "Au niveau culturel, dans le 19ᵉ, on n'avait pas grand-chose. Ça a clairement changé le paysage". De son côté, un danseur venu rapidement répéter avant le réveillon nous explique: "Il y a beaucoup de lieux à Paris qui sont des lieux de diffusion. Avec le Centquatre, il y a vraiment cette liberté de créer in situ, de se faire voir, de tester, d’expérimenter: c’est un lieu de représentation et aussi de travail."

Au Centquatre, la culture ne se limite donc pas à l’art contemporain. Dans ce grand espace, chacun est invité à s’exprimer, à pratiquer son art.

L’exemple parfait du "tiers lieux"

Le concept de tiers lieux semble s’appliquer particulièrement bien au Centquatre: le lieu associe en effet une dimension sociale et culturelle, des activités économiques et des expérimentations en tout genre. L’architecture de l’endroit fait notamment sa force: le "104" est tout sauf un musée ou un temple de l’art. Rien n’est ici figé. C’est un lieu de passage, de mouvement, modulable à souhait. C’est probablement son caractère industriel qui le rend moins intimidant. 

Loin des contraintes habituelles des lieux culturels, on peut s’assoir ici par terre ou dans un transat, participer à des rassemblements ou à des réunions. C’est un espace ouvert sur la ville, que l'on traverse comme une grande place, librement. Si les expositions et la plupart des concerts sont payants (avec un tarif moindre par rapport à d’autres lieux), les activités sont diverses et parfois gratuites.

Entre des événements artistiques et culturels plus "classiques" (expositions de photographies ou d'art contemporain, spectacles, concerts, etc.), on y trouve aussi toutes sortes d’activités: un marché bio, un grand bal populaire tous les mois, un espace culturel pour les enfants, une librairie, un restaurant et un café, ou encore un incubateur d'entreprises innovantes et des food trucks. Bref, une structure suffisamment riche et diverse pour attirer un public large.

Un autre habitant du quartier nous confie qu’il ne fréquente "que le café pour y travailler, mais se sent bien dans cet environnement d’émulation". Par la force des choses, des populations très différentes se croisent donc dans ce cadre. Le lieu semble parvenir à faire la synthèse entre différentes catégories sociales, mais aussi entre la culture populaire et la culture plus "élitiste".  La structure accueille indifféremment des artistes confirmés ou amateurs, mélange les styles en frisant parfois le grand écart: entre l’électro et l’orchestre de Chambre de Paris, les cours de Qi-Gong et les bals populaires...

Au Centquatre, la culture ne se limite donc pas à l’art contemporain. Dans ce grand espace, chacun est invité à s’exprimer, à pratiquer son art.  Le lieu est ainsi investi pour des actions de créations spontanées: on peut voir des danseurs de hip-hop côtoyer des apprentis comédiens ou des circassiens. À travers toute cette effervescence artistique et ce "melting pot" culturel, une triple question se pose: quel est précisément le pouvoir social d’un lieu culturel comme celui-là? À quelle hauteur la culture peut-elle générer de la créativité sociale et du dynamisme démocratique? Ce modèle du Centquatre peut-il faire école?

Notre série d’hiver sur les lieux qui recréent du lien

Mardi 24.12 | Changer les règles du théâtre
De plus en plus de lieux culturels se donnent pour mission d’accueillir des publics exclus des salles de spectacles. Un concept nommé «Relax».

Jeudi 26.12 | Détourner une friche industrielle
Le 104, à Paris, ex-friche industrielle devenue centre culturel participatif emblématique, est foisonnant et se veut l’incarnation d’un carrefour entre les pratiques culturelles et artistiques.

Vendredi 27.12 | Changer les règles du net
L’autrice Myriam Leroy, victime de cyberharcèlement, ouvre ainsi à la galerie That’s what x said un espace de dialogue nouveau, en plein dans les Marolles, pour montrer l’ampleur de la misogynie et en faire un compost magistral.

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Mardi 31.12 | Inventer dans un quartier coopératif
Depuis 2012, le «Holzmarkt 25» s’est installé sur les rives de la Spree, à Berlin. Sur un site verdoyant de plus 12.000 m², le quartier fait la part belle au street-art, aux arts et à la gastronomie. 

Jeudi 02.01 | Promouvoir la diversité et la créativité
Le RAW Gelände, situé dans le quartier de Friedrichshain, est l’un des lieux emblématiques du Berlin “alternatif”. L’espace est ici tout entier dédié à la diversité et la créativité.

Vendredi 03.01 | Sortie de la ville, faire des cabanes
Les jeunes urbains sont de plus en plus nombreux à construire leur collocation en milieu rural, dans de véritables tiers-lieux qui s’ouvrent un peu partout en Wallonie.

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Les tours Proximus sont à présent entre les mains de Nextensa.
Les tours Proximus passent chez Nextensa pour 62,5 millions d'euros
Proximus et Nextensa ont conclu la vente des tours historiques de l'opérateur télécom. Nextensa rachète également le permis d'Immobel pour le redéveloppement de l'ancien siège de l'opérateur.
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