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interview

Pour le ministre de la culture québecois Mathieu Lacombe, "il faut contraindre les plateformes à la diversité culturelle"

Le ministre de la Culture du Québec, Mathieu Lacombe, le mardi 11 février 2025, à la tribune de l'Unesco, à Paris, où il a également rencontré son homologue française, Rachida Dati. ©The Canadian Press/PA Images

Le ministre de la Culture et des Communications du gouvernement du Québec est venu alerter ses homologues européens sur l'urgence de renforcer la diversité des contenus culturels en ligne face à la toute-puissance des plateformes américaines.

"Découvrabilité". C'est ce joli néologisme en provenance du Québec que le ministre Mathieu Lacombe (Coalition Avenir Québec, centre-droit) est venu faire adopter cette semaine par notre ministre de la Culture en Fédération Wallonie-Bruxelles, après en avoir fait la promotion à la tribune de l'Unesco, à Paris. En d'autres termes: favoriser une plus grande diversité linguistique des contenus culturels en ligne et surtout contraindre, légalement, les grandes plateformes de diffusion, souvent américaines, à leur faire une place et à les rendre visibles. Une exception culturelle face au soft power US aujourd'hui dopé à l'IA...

Le Devoir | Plateformes de diffusion en continu: Des lois pour mettre en valeur le contenu québécois?

Pourquoi avoir rencontré cette semaine Rachida Dati, à Paris, et, à Bruxelles, Elisabeth Degryse, qui a la Culture dans ses attributions à la Fédération Wallonie-Bruxelles?

Parce que je pense que nous avons des enjeux communs, dont celui de faire découvrir notre culture sur les grandes plateformes numériques et qu'elle y soit visible. C'est plus qu'un combat québécois ou pour la francophonie, c'est un combat pour la survie de toutes les langues et de toutes les cultures du monde, afin d'éviter qu'elles ne s'éteignent petit à petit devant l'omniprésence des contenus culturels américains sur les plateformes. On doit donc s'assurer que, sur Netflix, Disney+ ou Amazon Prime, il y ait bien sûr tout le contenu qu'on y trouve actuellement, mais aussi des productions de chez nous, et que celles-ci soient facilement "découvrables", c’est-à-dire qu'on puisse y avoir accès facilement.

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Il y a urgence?

Il y a encore une dizaine d’années, quand les gens se déplaçaient pour acheter de la musique, à peu près la moitié des albums vendus l'était d'artistes québécois. À présent qu'à peu près tout le monde utilise les grandes plateformes pour écouter de la musique, les Québécois n'écoutent plus que 4% environ de musique produite par des artistes québécois. C'est très préoccupant.

"C'est un combat pour la survie de toutes les langues et de toutes les cultures du monde, pour éviter qu'elles ne s'éteignent petit à petit devant l'omniprésence des contenus culturels américains sur les plateformes."

Mathieu Lacombe
Ministre de la Culture et des Communications du Québec

Que proposez-vous?

Au Québec, je vais déposer un projet de loi pour forcer les grandes plateformes à rendre ces contenus disponibles. Et on souhaite ne pas être les seuls à aller en ce sens. L'Union européenne a déjà bougé, mais je pense qu'on doit se doter d'outils supplémentaires. On travaille ainsi avec l'Unesco pour mettre à jour la Convention de 2005 sur la diversité des expressions culturelles. Vingt ans dans le domaine technologique, c'est une éternité et on ne pouvait pas prévoir ce qu'on connaît aujourd'hui: l'omniprésence de ces grandes plateformes, américaines pour la plupart.

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Mathieu Lacombe, ministre de la Culture et des Communications du gouvernement du Québec.
Mathieu Lacombe, ministre de la Culture et des Communications du gouvernement du Québec. ©Droits réservés
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Concrètement ?

Un groupe de 17 experts nous ont remis onze recommandations dont la première est, selon moi, la plus importante: elle consiste à ajouter un protocole contraignant à la Convention de 2005. Les États qui ont adopté la Convention s'engageront ainsi à légiférer pour encadrer la présence des grandes plateformes sur leur territoire et s'assurer que chaque culture nationale y soit suffisamment représentée et visible.

Les visées des Trump sur le Canada et le revirement invraisemblable de la Silicon Valley accélèrent le mouvement?

Le contexte actuel avec les États-Unis donne évidemment encore plus de sens à cette démarche, parce qu'on comprend bien que si on ne se dote pas des moyens pour protéger nos cultures, personne ne le fera pour nous. C'est le travail que l'on porte sur la scène internationale actuellement, avec l'Unesco, mais aussi au sein de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) – nous sommes 350 millions de francophones dans le monde... Mais, je le répète, ce n'est pas un combat seulement pour la francophonie, c'est un combat pour toutes les langues et toutes les cultures du monde.

Elisabeth Degryse et Mathieu Lacombe, à la Fédération Wallonie-Bruxelles, ce vendredi 14 février 2025.
Elisabeth Degryse et Mathieu Lacombe, à la Fédération Wallonie-Bruxelles, ce vendredi 14 février 2025. ©Droits réservés

Dans le secteur culturel, on n'a généralement ni moyens ni compétences en matière digitale. Comment faire pour favoriser l'investissement et la formation?

Le secteur culturel a trop longtemps sous-estimé l'importance de consolider ses datas pour arriver à créer un modèle d'affaires qui va permettre d'être plus efficaces, de comprendre le comportement du public, d'aller à sa rencontre et, in fine, de faire en sorte que le citoyen achète une place de théâtre ou un ticket pour visiter un musée. Au Québec, nous avons déjà investi quatre millions de dollars pour rassembler toute l'offre culturelle sur une même plateforme.

"Je vais déposer un projet de loi pour forcer les grandes plateformes à rendre disponibles les contenus produits au Québec."

Les artistes doivent-ils devenir des entrepreneurs culturels?

À chacun son rôle. On est en droit d'attendre d'un diffuseur ou d'une institution culturelle qui reçoit un financement du gouvernement qu’ils génèrent des données standardisées qui seront mises en commun pour que l'on puisse bien comprendre comment se comporte le milieu culturel et être capable d'agir plus efficacement. Mais en ce qui concerne les artistes, individuellement, il ne faut évidemment pas tomber dans la standardisation. Au contraire, il faut célébrer la pluralité de leur inspiration et continuer à soutenir leur liberté de création.

La découvrabilité des contenus culturels francophones
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