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interview

V (Eve Ensler): "Trump est en train de violer l’Amérique"

V (Eve Ensler), ce mardi 25 mars, à l'UCLouvain, qui l'avait faite Docteur honoris causa en 2015 et qui l'invitait à donner une conférence sur le féminisme, le fascisme et la liberté. ©Saskia Vanderstichele

V (anciennement Eve Ensler) est l'autrice des "Monologues du vagin", qui ont fait le tour du monde et libéré le discours sur la sexualité des femmes. Elle exhorte les artistes à être courageux et à s'opposer au "nouvel ordre".

Face à la situation politique actuelle aux États-Unis, la célèbre dramaturge et féministe américaine Eve Ensler, qui se fait désormais appeler V, lance un cri d'alarme: «On ne peut pas se cacher et vivre dans un État totalitaire fasciste où les hommes détruisent le monde. Nous devons lutter.» Et d’appeler le monde artistique américain à se mobiliser: «Les artistes en Amérique doivent être fiers et courageux, prendre des risques, se lever et parler comme on l'a fait dans les années 60 et 70».

Qu'incarne Donald Trump pour vous?

Dès le moment où il a commencé à gentrifier New York, je me suis opposé à ce personnage. Quand il y a eu des signes qu'il allait se présenter à la présidence, en 2016, j'étais donc très inquiète. Et j'ai d’ailleurs créé ce groupe «Stop Hate Dumb Trump». Tout le monde me disait que j'étais folle, qu'il n'allait jamais gagner… C’est un violeur, au sens premier, puisqu’il a agressé et harcelé des femmes, mais aussi au sens plus symbolique: Trump est en train de violer l’Amérique, les Américains et les Américaines. C’est un menteur compulsif et il s'est entouré d’abuseurs sexuels.

L’Amérique est aujourd’hui gérée par des prédateurs. Nous vivons littéralement un viol: c'est rapide, violent, totalement destructeur. Tout ce que nous avions tenté de construire dans ce pays, que ce soit les droits civils, les droits des femmes, les droits de la communauté LGBTQ, tout ce que nous avons fait pour créer un monde plus égal et plus juste aux États-Unis, a été détruit et brûlé en trois mois…

Eve Ensler : des "Monologues du vagin" à la libération de la parole

Mais comment construire l’opposition face à ce rouleau compresseur?

On ne peut pas négocier avec des violeurs. On ne dit pas à un violeur: «S'il vous plaît, ne faites pas ça». La seule chose à faire est de crier et se débattre. C’est ce que nous devons faire aujourd’hui en Amérique.

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Qui élève la voix actuellement aux États-Unis? On a l’impression que le silence domine dans le camp progressiste…

Il y a beaucoup de protestations, mais que les gens, en Europe, ne voient pas nécessairement. Il y a quelques jours, Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez ont rassemblé près de 30.000 personnes. Je pense qu’il y aura bientôt de grandes manifestations dans tout le pays. Il va y avoir un soulèvement populaire, car c'est une immense crise sociale qui est en train de se produire. Si nous sommes unis, nous pouvons changer la donne. Et nous devons le faire. Trump n'est pas seulement un danger pour les États-Unis, mais pour l'ensemble de la planète.

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"Trump est un violeur, au sens premier, puisqu’il a agressé et harcelé des femmes, mais aussi au sens plus symbolique: Trump est en train de violer l’Amérique, les Américains et les Américaines."

V (Eve Ensler)
Dramaturge et féministe

À quel imaginaire Trump fait-il écho dans la conscience américaine?

Trump est représentatif d'un narratif américain particulier: le businessman qui ne parle que d’argent, qui vire les gens, etc. Il vit dans la conscience américaine comme une figure de télévision. Il est le pire des rêves américains. Avec lui, nous sommes au zénith du patriarcat: au pouvoir actuellement, il n’y a quasiment que des hommes, et la plupart d'entre eux sont prédateurs. Nous avons fait un excellent travail pour les mouvements des femmes, LGBTQ ou les droits de l'homme, mais le constat est là: nous n'avons pas dépassé le patriarcat.

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Mais est-ce que vous avez senti ce «backlash» arriver?

Je pense que le Parti démocrate n'a pas su servir les intérêts et les aspirations de la classe moyenne. Il est devenu très élitiste et très néolibéral. Progressivement, les gens de la classe moyenne se sont sentis invisibles et inaudibles.

V (Eve Ensler): "On ne peut pas se cacher et vivre dans un État totalitaire fasciste où les hommes détruisent le monde. Nous devons lutter".
V (Eve Ensler): "On ne peut pas se cacher et vivre dans un État totalitaire fasciste où les hommes détruisent le monde. Nous devons lutter". ©Saskia Vanderstichele

Pensez-vous que ce mouvement progressiste a avancé trop vite pour une partie de l'Amérique?

Au sein de la classe moyenne, certains se sont retrouvés désemparés devant l'évolution de l'égalité et des droits humains. Et quand on vous répète à longueur de journée que les immigrants prennent votre argent ou que les femmes ont un emploi alors que vous n’en avez pas, le ressentiment apparaît. J'étais peut-être un peu naïve de croire que les gens étaient en train d'évoluer et de se départir de ce narratif masculin. Mais on ne peut pas se cacher et vivre dans un État totalitaire fasciste où les hommes détruisent le monde. Nous devons lutter.

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"On ne dit pas à un violeur: 'S'il vous plaît, ne faites pas ça'. La seule chose à faire est de crier et se débattre. C’est ce que nous devons faire aujourd’hui en Amérique."

V (Eve Ensler)
Dramaturge et féministe

Mais est-ce qu’il ne faut pas changer de stratégie?

Ce n’est pas seulement un travail politique qu'il faut réaliser. C'est beaucoup plus profond. Le travail que nous devons faire est plus interne, il touche à l'éducation, à l'imaginaire. Le rêve américain est mort. L'âge d’or de l'Amérique dont parle Trump ne sera réalisé que pour une poignée de milliardaires. Et c'est la même chose pour la conquête de Mars: elle ne s’adresse qu’à une infime minorité. Mais, hélas, notre histoire est imbibée de ces narratifs. On assiste aujourd'hui à un grand conflit de valeurs: deux mondes s’affrontent.

V (Eve Ensler): "Toni Morrison disait que, quand les choses deviennent difficiles, c'est le moment où les artistes doivent se mettre au travail".
V (Eve Ensler): "Toni Morrison disait que, quand les choses deviennent difficiles, c'est le moment où les artistes doivent se mettre au travail". ©Saskia Vanderstichele

Mais comment changer ces récits? C'est le rôle de l’art précisément?

Toni Morrison disait que, quand les choses deviennent difficiles, c'est le moment où les artistes doivent se mettre au travail. L'art est la seule chose qui permet dépasser la polarisation, de sortir les gens de ces narratifs délétères dans lesquels ils sont englués. L’art agit sur les émotions: lorsque les gens ressentent, ils commencent à changer leurs croyances et leurs points de vue.

"Le Parti démocrate est devenu très élitiste et très néolibéral. Progressivement, les gens de la classe moyenne se sont sentis invisibles et inaudibles."

V (Eve Ensler)
Dramaturge et féministe

Si vous écriviez «Les monologues du vagin» aujourd'hui, changeriez-vous quelque chose?

C'est une bonne question, et ma réponse est simple: il n'y a pas une seule chose que je changerais dans le texte. Je perçois le mouvement des femmes comme une chaîne: un changement conduit au suivant. La libération est un processus. L'art soutient et élève cette grande vibration. Il en est le catalyseur. La pression patriarcale est aujourd’hui équivalente à la pression atmosphérique: elle nous rend inapte à penser, à respirer, à nous connecter, à imaginer. C'est pourquoi l'art doit retrouver sa force pour nous redonner de la vivacité. Il ne faut plus être poli, faire du décorum: nous avons besoin d'énergie et de confiance.

V (Eve Ensler): "Nous allons vivre une période excitante, qui pourrait être une nouvelle révolution artistique".
V (Eve Ensler): "Nous allons vivre une période excitante, qui pourrait être une nouvelle révolution artistique". ©Saskia Vanderstichele

Et vous voyez ce mouvement se produire actuellement dans le monde de l'art actuellement aux États-Unis?

Pour l’instant, non. L'art, aux États-Unis, est basé sur le commerce, sur le fait de gagner de l'argent. Quand j’étais plus jeune, il y avait des théâtres de rue, des petits théâtres où l'on pouvait expérimenter. Si je devais réaliser «Les monologues du vagin» aujourd'hui, je ne sais pas dans quel théâtre je pourrais aller. Les théâtres sont devenus extrêmement coûteux. Les gens sont si effrayés de perdre de l'argent et la situation est très anxiogène. Nous devons créer des espaces et un art qui ne soient plus aussi dépendants de l'argent.

"Je reste optimiste. Les artistes en Amérique doivent être fiers et courageux, prendre des risques, se lever et parler comme on l'a fait dans les années 60 et 70."

V (Eve Ensler)
Dramaturge et féministe

Vous restez optimiste?

Oui, les artistes en Amérique doivent être fiers et courageux, prendre des risques, se lever et parler comme on l'a fait dans les années 60 et 70. À cette époque, on créait de l'art pour parler de la vérité, pour s’opposer frontalement au système. C’est de ce genre d’art dont nous avons besoin maintenant. C’est pourquoi je pense que nous allons vivre une période excitante, qui pourrait être une nouvelle révolution artistique, capable de porter, non seulement une autre vision politique, mais une nouvelle façon de vivre.

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