Jérôme Pantalacci: "Art-O-Rama? Des prix bas, mais pas du low-cost!"
La foire d'art et de design de Marseille, dédiée aux galeries et aux artistes émergents, qui s'est achevée dimanche, est la pointe émergée de la dynamique culturelle du sud, d'Aix-en-Provence à Monaco.
La Friche de la Belle de Mai porte le nom de ce quartier populaire du IIIᵉ arrondissement de Marseille. Un enchevêtrement de strates de béton taguées de partout, longeant le chemin de fer, et 48.000 m² partagés entre salles de concerts, d'exposition, studios multimédias, ateliers participatifs, médiathèques, bars et autres cantines brutes de décoffrage.
Dans le skate park, entre la voie ferrée et l'entrée du site, un père initie son fils à la planche à roulettes, tandis qu'un groupe de filles voilées du quartier règlent une choré en rythme. Et si l'on grimpe quatre à quatre les rampes d'accès, on atterrit sur le toit de l'immeuble qui fait office d'esplanade suspendue où un rappeur à l'accent marseillais trouve son flow dans le soleil couchant, en répétant plusieurs fois: "J'ai l'impression d'en faire voir de toutes les couleurs à une bande de daltoniens"...
Depuis 1992 et la concession d'occupation précaire octroyée par la Seita qui exploitait l'ancienne manufacture nationale des tabacs, l'ensemble fait figure d'archétype de ces friches culturelles qui ont essaimé un peu partout. Encore qu'aujourd'hui, nous confie son directeur, Alban Corbier-Labasse, la créativité pure a migré des projets culturels et artistiques aux modes de gouvernance horizontaux et participatifs afin d'en pérenniser la vitalité. "Un projet culturel pour un projet urbain", dit-il en citant Jean Nouvel qui fut l'un des premiers administrateurs de La Belle de Mai. "Et un lieu pour respirer."
Un incubateur de jeunes galeries
Parmi les 65 organisations qui y ont leur quartier, Fraeme était particulièrement sollicitée la semaine passée, puisqu'elle produisait Art-O-Rama, dont la 18ᵉ édition était conforme à sa raison d'être: constituer un incubateur pour jeunes galeries et artistes émergents, venus jouer la carte de la diversité et de l'inventivité au moment où le secteur du marché de l'art se consolide entre deux mammouths mondialisés –Frieze et Art Basel.
"On n'est pas produit par une société cotée en bourse. On a une forme de liberté et de souplesse. Cela permet aux jeunes galeries de faire de vraies propositions."
"Notre chiffre d'affaires ne dépasse pas les 400.000 euros, ce qui peut être le prix d'une seule œuvre à Art Basel, mais on reste indépendants", dit d'emblée Jérôme Pantalacci, son directeur, le sourire en coin. "On n'est pas produit par une société cotée en bourse. On a une forme de liberté et de souplesse. Cela permet aux jeunes galeries de faire de vraies propositions et même à des galeries plus établies de tenter des choses qu'elles n'oseraient pas ailleurs. On peut participer à Art-O-Rama pour 10.000 euros. Même si elles ne vendent rien, les galeries ne perdent 'que' 10.000 euros, alors que si elles doivent mettre sur la table 100.000 euros, comme c'est le cas dans les grandes foires, elles doivent vendre pour 200.000 euros pour être seulement à l'équilibre. Chez nous, la prise de risques est donc possible."
Mais si Art-O-Rama se veut une "affordable art fair", avec des œuvres à partir de 1.000 euros (3 à 4.000 euros pour la moyenne des ventes) – "on peut même repartir avec des objets à 40 euros dans la section 'édition et design'", ajoute-t-il –, Jérôme Pantalacci dit sélectionner des galeries avec un vrai projet curatorial. "Art-O-Rama, ce sont des prix bas, mais pas du low-cost!"
"Un show jeune et excitant"
Message bien reçu dans la soixantaine de stands qui découpent le vaste espace de la "cartonnerie" et présentent leur sélection dans une ambiance en effet des plus décontractées. "J'adore toutes les galeries. J'ai l'impression d'un show très diversifié en termes d'œuvres et qui propose des choses assez expérimentales", confirme Louis Chapple, jeune galeriste un peu dégingandé, dont c'est la première foire internationale, et qui partage son stand avec une autre galerie qui se situe dans la même rue que la sienne à Londres. "J'ai donc l'impression que mon programme s'intègre très bien avec ce que tout le monde essaie de faire ici".
On adore les "Chinoiseries" de son artiste franco-vietnamienne Hoa Dung Clerget, qui accroche au mur de petites fleurs qui évoquent des vulves de manière à peine dissimulée et abritent en leur cœur l'image érotique d'une femme nue. On les dirait en jade et en porcelaine, or qu'il ne s'agit que de gel et de vernis à ongles que l'on utilise dans les salons de manucure tenus par des femmes de la diaspora vietnamienne. Une manière de détourner les stéréotypes que l'Occident se fait de l'esthétique asiatique et de revaloriser ces femmes invisibilisées. Un vrai coup de cœur!
Ici comme ailleurs, la céramique et la peinture (figurative) font partie des tendances – l'une des trois splendides romances sur toile de la peintre bulgare Stefania Batoeva (Public Gallery, Londres) a même été primée ce week-end. Mais elles n'éclipsent pas la diversité des supports que certains artistes détournent avec génie comme Julia Montilla dans "Detenido" (1996). Dans cette série de photos que présente la galerie Ethall de Barcelone, elle présente des corps nus dont elle comble avec du mortier les interstices laissés par le contact des membres entre eux, comme s'il s'agissait de souder les briques d'une architecture organique.
Et puis il y a de la poésie pure avec les vidéos du Colombien Andrès Baròn, que la DS Gallery (Paris) présente en duo avec l'Anglo-belge Marijke Vasey. Fruit d'une résidence à la Fondation Hermès, installée dans une ancienne cristallerie à l'est de la France, ces images hypnotiques nous happent dans un rêve éveillé.
Des Belges et du design
Les Belges n'étaient pas légion cette année, sauf dans la nouvelle section "édition et design". On y a retrouvé la galerie bruxelloise La peau de l'ours et le travail de l'artiste français François Bauer, que nous avions déjà épinglé lors de la première édition de Ceramics Brussels. Sur des socles colorés qui évoquent le mouvement Memphis des années 1980, celui-ci déploie ses dessins dans l'espace avec un petit côté Pop Art qui lorgne du côté de la BD et de Roy Lichtenstein. Du cubisme aussi.
Toute cette dynamique joyeuse ne s'arrête pas à Art-O-Rama, mais agrège un vaste réseau d'institutions culturelles publiques et privées du sud.
La Fondation Thalie, présente à Bruxelles et à Arles, se lance, elle, dans l'édition de meubles et d'objets design biomimétiques à partir de matières vivantes comme les cuirs de mycélium et d'insectes. Un "design de solution" qui se déploie devant nous à travers les objets du designer Samy Rio, alliant l'étique de l'artisanat et les contraintes de la production industrielle. On aime sa jolie lampe portable "Quasar", déjà un classique.
Toute cette dynamique joyeuse ne s'arrête pas à Art-O-Rama, mais agrège un vaste réseau d'institutions culturelles publiques et privées du sud, de Marseille à Monaco, d'Arles à Aix-en-Provence, de Menton à Hyères, comme nous le montre une vaste carte de la région au sortir de la foire. En 2013, Marseille a été Capitale européenne de la Culture, avec 650 millions d'euros d'investissement et 11 millions de visiteurs, et cela a tout changé. Cap vers le Sud!
→ Infos: art-o-rama.fr - www.lafriche.org
Abonnez-vous à notre newsletter hebdomadaire et retrouvez toute la culture que vous aimez à L'Echo: les rendez-vous incontournables dans tous les genres artistiques, racontés par 20 plumes enthousiastes et engagées, des entretiens avec des grands témoins qui éclairent notre époque.
Les plus lus
- 1 Le budget wallon est voté: qu'est-ce qui va changer en 2025?
- 2 Un nouveau médicament anti-obésité met l'action Novo Nordisk à la diète
- 3 Les restaurants du nouvel hôtel Corinthia à Bruxelles: "Audacieux et corrects, mais je n’y retournerai pas"
- 4 La Suisse paiera une cotisation de 375 millions d'euros pour participer au marché unique européen
- 5 Gouvernement fédéral: le Roi demande à Bart De Wever une "percée décisive" pour début 2025