Vous m'imprimerez bien une bouteille en chocolat?
À Gembloux, la start-up Miam Factory s’est lancée dans la réalisation de formes en chocolat imprimées en trois dimensions. Boire une bière dans une bouteille en chocolat, cela vous dit? Ce sera peut-être bientôt possible.
Un local universitaire comme il y en a tant. Sur une table, des formes brunes très ouvragées. Dans un coin de la pièce, une imprimante 3D en activité. Le petit filament brun qui en sort attire l’attention. Par couches de 0,2 millimètre, il forme petit à petit le contour d’une poule. Le motif est fin et précis. Quand il sera achevé, il sera parfaitement comestible. Car le filament qui sort de l’imprimante n’est autre que du chocolat.
Depuis deux ans, l’université Agro-Bio-Tech de Gembloux héberge le "Smart Gastronomy Lab", un centre de recherche et d’innovation dédié aux ingrédients et produits alimentaires du futur. Les imprimantes 3D y ont tout de suite trouvé leur place.
Si la Belgique est réputée pour la qualité et la diversité de ses bières, elle l’est aussi pour la saveur de son chocolat. Rien d’étonnant dès lors à ce que les chercheurs du "Smart Gastronomy Lab" se soient tournés vers l’impression de chocolat en trois dimensions. La qualité du rendu final a très vite attiré l’attention. L’attrait suscité dans les salons et autres forums par les formes chocolatées du laboratoire a poussé ses responsables à lancer une start-up chargée de commercialiser ces réalisations. Miam Factory voyait le jour fin 2016.
La chocolaterie imprimée en trois dimensions n’en est encore qu’à ses prémices. Ce n’est pas demain qu’une imprimante 3D jouxtera le four à micro-ondes dans nos cuisines. Mais le niveau technologique atteint par la petite société gembloutoise ouvre déjà de belles perspectives. Et surpasse les capacités des quelques concurrents déjà en place, dont les plus connus sont les sociétés espagnole Natural Machines et britannique Choc Edge.
"À ce stade, ils ne peuvent imprimer que des couches de 0,8 mm, contre 0,2 mm chez nous. Le rendu de nos produits est donc plus fin", explique Gaëtan Richard, le fondateur – et l’un des cinq actionnaires – de Miam Factory.
Les geeks et les gourmets
Docteur en biochimie de l’Institut National des Sciences appliquées de Toulouse, ce Français originaire de Caen est arrivé à Gembloux en 2008 pour travailler sur deux projets de recherche, dont un mené en partenariat avec le secteur agro-alimentaire. En janvier 2015, Dorothée Goffin, une amie, l’invite à intégrer le Smart Gastronomy Lab qu’elle dirige. Une aubaine pour ce passionné de cuisine, qui se lance à corps perdu dans un projet qui attire autant les geeks que les gourmands.
Mais au fond, quel intérêt de produire du chocolat imprimé en 3D? "Cela permet de faire autre chose que ce que permettent les moules des chocolatiers. Les moules classiques donnent des formes en deux moitiés qui sont ensuite collées ensemble. Avec l’impression 3D, la forme est conçue sur ordinateur, ce qui simplifie le travail et offre des possibilités bien plus vastes en termes de réalisation", explique Gaëtan Richard.
L’éventail étalé sur la table donne un aperçu de la finesse du travail des imprimantes. Vase sculpté, petits animaux, portrait stylisé, logos, en chocolat noir, au lait ou blanc: il y en a pour tous les goûts. "L’autre atout de l’impression en 3D, c’est qu’elle permet le prototypage. Produire en quelques exemplaires une forme conçue sur un ordinateur coûte bien moins cher que de recourir à un moule, qui nécessite une production importante pour pouvoir être amorti", ajoute-t-il.
Petit bémol: imprimer par couches de 0,2 mm, cela ne se fait pas en deux coups de cuiller à pot. D’autant que la vitesse d’impression est liée au temps que met le chocolat à se cristalliser. Pas question d’ajouter une couche si celle du dessous n’est pas encore durcie. La poule imprimée devant nous mettra par exemple une heure à être achevée. Certains objets plus complexes ou plus grands nécessitent jusqu’à trois heures d’impression. Mais ils sont mangeables aussitôt achevés.
En revanche, les contraintes logistiques sont assez réduites. Miam Factory dispose actuellement de cinq imprimantes 3D et d’une découpeuse laser servant à graver un logo, une photo ou un message personnalisé sur des chocolats ou des macarons.
"Techniquement, nos imprimantes 3D sont des machines classiques. La seule différence, c’est que nous avons modifié la tête d’extrusion pour le chocolat afin de prévoir une place pour la seringue qui sert de contenant", explique le patron de Miam Factory. La température est elle aussi ajustée. Fondre le plastique utilisé dans l’impression d’objets en trois dimensions se fait à une température de 250 degrés. À un tel niveau, le chocolat serait carbonisé. Celui-ci se contente de 55 degrés.
Buzz
Petit à petit, Miam Factory crée le buzz. Des journalistes américains et finlandais sont déjà venus faire un tour, des Italiens et des Kazakhs se sont annoncés. Côté clientèle, l’intérêt est très diversifié lui aussi. L’entreprise, qui emploie cinq personnes – un sixième collaborateur doté de compétences techniques doit les rejoindre sous peu –, a déjà reçu des commandes d’entreprises désireuses d’offrir des cadeaux personnalisés, comme la chaîne hôtelière Sofitel, une société chimique, une boîte de production vidéo, ou encore de particuliers.
"On mange avec les yeux, plutôt que de tuer le métier de pâtissier, nous lui donnerons de nouveaux atouts pour attirer le client."
Pour les fêtes de fin d’année, Miam Factory a par ailleurs été chargée par le chocolatier Galler de réaliser des petits sapins en chocolat. Plus récemment, c’est la brasserie Bertinchamps, quasiment voisine, qui a fait appel à ses services en la chargeant d’imprimer une bouteille de bière en chocolat appelée à servir de prix pour un concours de chasse aux œufs de Pâques.
Gaëtan Richard n’est pas peu fier de la réalisation de cette bouteille, qui reproduit à l’échelle la forme de la Bertinchamps. Son impression, d’une durée de près de trois heures, aura nécessité un filament de chocolat d’une longueur totale de près de… 25 mètres.
Après quatre mois d’existence, Miam Factory n’est pas encore prête à se lancer dans la production à grande échelle. Il reste à corriger quelques imperfections avant de développer le logiciel d’imprimante qui lui permettra de passer à la phase industrielle. "Nous n’avons actuellement que cinq imprimantes. L’objectif, à terme, est de disposer d’un conteneur climatisé permettant d’installer une vingtaine d’imprimantes 3D pour pouvoir augmenter la productivité", dit Gaëtan Richard.
La Faculté de Gembloux a prévu un espace à cet effet. "À moyen terme, l’idée est de démultiplier ces unités de production et de rapprocher la production du consommateur final. Nous avons déjà des demandes des Etats-Unis, et transporter des modèles chocolatés imprimés en 3D pose trop de problèmes en raison de leur fragilité."
Miam Factory menacera-t-elle un jour le pâtissier chocolatier du coin? Au contraire, assure Gaëtan Richard. "On mange avec les yeux. Plutôt que de tuer le métier de pâtissier, nous lui donnerons de nouveaux atouts pour attirer le client."
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