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reportage

Présidentielle américaine | Comment la voiture électrique clive davantage encore l'électorat

Le président américain Joe Biden au salon de l'automobile de Detroit, dans le Michigan, un État clé pour l'élection présidentielle du 5 novembre où Kamala Harris affrontera Donald Trump. ©REUTERS

Dans la guerre culturelle entre démocrates et républicains américains, la voiture électrique est devenue un nouveau champ de bataille politique. Dans l'État clé du Michigan, dont l’économie est très dépendante des cycles de l'industrie automobile, les voitures électriques sont vues comme des "tueuses d'emplois".

Brian Pannebecker a travaillé 35 ans durant dans l'industrie automobile, opérant dans la région de Détroit. Onze ans chez Chrysler, puis 23 ans chez Ford, où il a contribué à mettre au point l'essieu arrière de l'emblématique pick-up F-150, la voiture la plus populaire d'Amérique.

Après sa retraite, il a fondé le groupe Facebook "Autoworkers for Trump" et, en cette période électorale, il organise chaque semaine une manifestation devant la porte de l'une des nombreuses méga-usines de la région, comme en ce jeudi après-midi d'octobre, à Sterling Heights, dans une usine Ford où sont fabriquées des boîtes de vitesses.

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Brian Pannebecker, invité à s'exprimer lors d'un meeting électoral de Donald Trump à Flint dans le Michigan.
Brian Pannebecker, invité à s'exprimer lors d'un meeting électoral de Donald Trump à Flint dans le Michigan. ©AFP

"Les conducteurs de voitures électriques veulent en mettre plein la vue aux autres: ‘Regardez comme nous sommes meilleurs que vous’."

Brian Pannebecker
Fondateur du groupe Facebook "Autoworkers for Trump"

La participation est plutôt faible, environ 20 personnes, mais Brian Pannebecker invoque les 2.000 membres de son groupe qui forme, à ses yeux, un contre-mouvement à l'United Auto Workers, l'un des plus grands syndicats américains, qui a déclaré son soutien à Kamala Harris.

Ses suiveurs s’opposent principalement à ce qu'ils considèrent comme le passage forcé aux voitures électriques, jugées trop chères, trop peu pratiques pour la météo et les longs trajets aux États-Unis, mais aussi comme faisant trop le jeu de la Chine. Mais Brian Pannebecker y ajoute une source d’exaspération sortie tout droit du climat politique polarisant actuel. "Les conducteurs de voitures électriques veulent en mettre plein la vue aux autres: ‘Regardez comme nous sommes meilleurs que vous’."

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Stimuler la production de voitures électriques aux États-Unis

Dans le Michigan, berceau de l'automobile américaine, l'économie locale surfe sur les cycles de ce secteur qui est aujourd’hui chamboulé par le passage aux voitures électriques.

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Le président Biden a encouragé cette transition en durcissant les normes d'émission et en subventionnant les voitures électriques. Il souhaite que la moitié des voitures vendues soient électriques d'ici à 2030, dans le but de réduire les émissions américaines. Pour empêcher la Chine de s'emparer complètement du marché des batteries et des voitures, le président a introduit des droits de douane élevés sur les importations et a stimulé sa propre production.

Nul ne s’étonnera que Donald Trump, s’il est élu, veuille revenir, "dès le premier jour" de sa présidence, sur cet "engagement", qui n'en est pas un en réalité, même si son plus fervent partisan n’est autre qu’Elon Musk, le patron de Tesla. Il brandit la menace d’un "bain de sang" dans le secteur automobile s'il ne devient pas président.

Face à une Kamala Harris hésitante sur la question, Donald Trump brandit la menace d'un bain de sang social dans le secteur automobile.

Pour Trump, les voitures électriques sont des "tueurs d'emplois", car leur production nécessite moins de main-d'œuvre. Pour Kamala Harris, le contre-pied politique n’est pas facile à trouver: en 2019, elle proposait encore que toutes les nouvelles voitures aux États-Unis soient électriques à partir de 2035. Mais elle a renoncé à cet objectif. "Je ne vous dirai jamais quelle voiture conduire", a-t-elle rétropédalé lors d'un meeting électoral à Flint, dans le Michigan, au début du mois.

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2%
Moins de 2% des quelque 290 millions de voitures immatriculées aux États-Unis sont électriques.

Un facteur déterminant dans les élections

"Le thème des voitures électriques devient un facteur déterminant pour le scrutin présidentiel au Michigan", explique Don Grimes, économiste à l'université du Michigan à Ann Arbor. Selon lui, les électeurs ont raison de s’inquiéter du fait que la production de voitures électriques exigera moins d'emplois parce qu'elles comportent moins de pièces.

"À court terme, il faut davantage de main-d’œuvre parce que les usines doivent faire tourner les deux lignes de production. Mais les emplois finiront par disparaître, et les électeurs le savent. À long terme, nous roulerons tous à l'électricité, mais les gens veulent avoir l'assurance que cela se produira sans que l'industrie subisse un choc trop important."

Les voitures électriques sont encore rares sur les routes américaines, ou du moins en dehors des centres-villes. Les ventes progressent, mais, pour l’heure, moins de 2% des quelque 290 millions de voitures immatriculées sont électriques.

Leurs partisans y voient une solution au dérèglement climatique (les voitures particulières représentent 20% des émissions totales des États-Unis), leurs opposants dénoncent leur caractère élitiste. C'est ainsi que les "EV" ("electric vehicles") ont déboulé dans les guerres culturelles si caractéristiques de la politique américaine, opposant l'Amérique progressiste et l'Amérique conservatrice.

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"Les emplois liés aux voitures électriques seront de toute façon créés quelque part, mieux vaut donc que ce soit ici plutôt qu'en Chine."

Joe Sacks
EV Politics

Polarisation politique exacerbée

"Cette polarisation se reflète dans les sondages que nous réalisons", explique Joe Sacks d'EV Politics, un groupe de pression qui vise à promouvoir les voitures électriques et qui est dirigé par Mike Murphy, vétéran de nombreuses campagnes présidentielles républicaines.

"C'est lié aux convictions des gens sur le changement climatique. En soi, c'est un sujet très clivant. Ceux qui croient qu'il est réel croient aussi que la conduite électrique est l'avenir. Ceux qui pensent qu'il est inventé de toutes pièces sont très sceptiques. Cela ne devrait pas être une question politique, mais c'est le cas."

Pourtant, les Républicains ont tort de s'opposer à ce changement, estime Joe Sacks. "Le passage à la conduite électrique et à une économie à faible émission de carbone en général représente une opportunité industrielle considérable pour les États-Unis. EV’s are here to stay. Ces emplois seront de toute façon créés quelque part, et mieux vaut que ce soit ici qu'en Chine. Nous essayons d'amener les gens à penser de cette manière. Pour que les voitures électriques deviennent un argument gagnant dans le champ politique, et non un repoussoir."

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