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analyse

La Belgique en dilettante sur le climat

©BELGA/BELPRESS

Au milieu de la "décennie critique", la Belgique n'a pas de plan cohérent, ni pour décarboner son économie, ni pour s'adapter aux conséquences inévitables du réchauffement. La législature qui vient sera déterminante.

Le constat transpire de partout – qu'on se tourne vers des économistes, hauts fonctionnaires, experts climat indépendants, parties prenantes de la société civile: la Belgique manque cruellement d'un plan cohérent pour s'attaquer au défi climatique. En pleine campagne électorale, la question reste un sujet parmi d'autres dans le débat public. Or, même s'il est indéniable que la Belgique a fait du chemin en matière de réduction d'émissions, la dynamique patine, s'inquiètent nos interlocuteurs.

"C’est comme si on n’avait pas pris la mesure du défi."

Étienne Hannon
Belgian Climate Centre

"La crise entre dans une phase critique, et c'est comme si le sujet restait à la marge, sans réflexion systémique", déplore ce cadre dans la fonction publique, qui s'exprime à condition de ne pas être identifié. En décembre dernier, les conclusions du Congrès des économistes de Belgique francophone le disaient avec d'autres mots: "Réussir la transition demande une plus grande cohérence et une plus grande ambition des politiques publiques, et un niveau de mobilisation autrement plus important qu'aujourd’hui" du reste de la société. Au nouveau centre d'expertise sur le climat, le Belgian Climate Centre, Étienne Hannon a pour rôle de faire l'interface entre les mondes scientifique et politique, et lui non plus ne tourne pas autour du pot: "Il n'y a pas de vision stratégique." N'en jetez plus?

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Faut-il accélérer l’investissement dans les énergies renouvelables?
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L'Europe, se réchauffe deux fois plus rapidement que le reste du monde et voit se multiplier les événements climatiques extrêmes.

Ces constats s'expriment avec d'autant plus d'inquiétude que, sur le terrain, la mutation du climat s'accélère d'une manière qui prend les scientifiques par surprise. L'Europe, se réchauffe deux fois plus rapidement que le reste du monde et voit se multiplier les événements climatiques extrêmes. Les cicatrices des inondations de 2021 en restent l'illustration la plus traumatique en Belgique, et Luc Bas, directeur du nouveau Centre belge d'évaluation des risques climatiques et environnementaux (Cerac), avertit: "Il n'est pas impossible que dans les cinq années qui viennent, on ait un ou deux désastres de l'ampleur de ce qu'on a vu dans la Vallée de la Vesdre."

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16%
On a vu se déverser sur la Slovénie un déluge qui a englouti 16% de son PIB – l'événement aura été deux fois plus ravageur pour l'économie que la pandémie.

En attendant, le temps qui nous sépare de ce drame a suffi pour voir fondre un dixième des glaciers d'Europe, brûler en Grèce le plus grand feu de forêt qu'ait connu l'Union européenne, et se déverser sur la Slovénie un déluge qui a englouti 16% de son PIB – l'événement aura été deux fois plus ravageur pour l'économie que la pandémie.

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Bienvenue au milieu de la "décennie critique", au cours de laquelle l'humanité doit à la fois inverser la courbe de ses émissions de gaz à effet de serre pour espérer limiter le réchauffement sous 2°C, et poser les fondations de son adaptation aux effets inéluctables de cette hausse des températures. "Cette crise devrait être gérée avec le même niveau d'urgence et la même mobilisation de moyens que le covid, reprend Étienne Hannon: les deux ne se déploient pas dans les mêmes échelles de temps, mais la crise pandémique était une crisette par rapport à la crise climatique. Mais c'est comme si on n'avait pas pris la mesure du défi."

I. La sortie de piste belge

"La Belgique est au milieu de la classe: elle n'est pas excellente, mais elle n'est pas non plus la pire."

Claire Dupont
Professeure de gouvernance publique, UGent

La Belgique a indubitablement entamé sa transition: entre 1990 et 2022, elle a réduit ses émissions de 26% – même si une bonne partie de cette évolution est liée à la désindustrialisation. Des investissements dans la transition sont en route, notamment poussés par le déploiement du plan européen "NextGen", le plus grand programme d'investissements dans ce pays depuis les années 1970, qui contient une forte composante d'action climat.

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La Belgique jette les bases de la première île énergétique au monde, un maillon clé de l'approvisionnement en énergie verte; elle investit dans la production d'acier bas carbone; dans la création d'un réseau de distribution d'hydrogène (H2) et de transport de CO2; dans le développement du fret fluvial, de nouvelles lignes de transports en commun, de couloirs cyclables… Pour quel bilan d'étape? "Si on regarde l'Union européenne, la Belgique est au milieu de la classe: elle n'est pas excellente, mais elle n'est pas non plus la pire", observe Claire Dupont, professeure de gouvernance publique à l'Université de Gand (UGent), et spécialiste des politiques de transition vers la neutralité climatique. Mais les ambitions du royaume annoncent une sortie de piste.

55%
À l'horizon 2030, l'objectif de 55% de réduction d'émissions par rapport à l’année de référence 1990 des Vingt-Sept est bien parti pour être atteint. Mais ça ne sera probablement pas grâce à la Belgique.

La voie à suivre, c'est depuis l'Union européenne qu'on l'a tracée. Pressée par une vague inédite de manifestations pour le climat, l'Europe a adopté, en 2019, son Pacte vert, et gravé dans le marbre l’objectif d'atteindre la neutralité climatique pour la moitié de ce siècle. À l'horizon 2030, cela se traduit par un objectif de 55% de réduction d'émissions par rapport à l’année de référence 1990, et les Vingt-Sept sont bien partis pour l'atteindre. Mais ça ne sera probablement pas grâce à la Belgique.

En guise de stratégie pour cette échéance de court terme, la Belgique a ficelé entre eux les projets de plans de ses quatre entités compétentes – le fédéral et les régions –, et a envoyé le tout pour avis à la Commission européenne. L'évaluation est sans appel: insuffisant.

L'efficacité énergétique devrait être au sommet de la hiérarchie des priorités: la Belgique omet d'expliquer comment elle compte mettre en œuvre ce principe, et avec quels résultats espérés. Le déploiement des énergies renouvelables devrait être en pleine accélération, pour atteindre au moins 33% du mix énergétique belge à la fin de la décennie. Au lieu de ça, le renouvelable belge plafonnerait sous les 22% en 2030, selon le projet de Plan national énergie climat (Pnec) – et la Belgique n'a pas de plan de déploiement des renouvelables pour la décennie qui vient.

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Et puis il y a ce fossé entre l'objectif de réduction d'émissions qui s'impose à la Belgique et la trajectoire qu'elle esquisse: pour les secteurs qui ne sont pas soumis au système européen d'échange de quotas (ETS), l'État a l’obligation légale de réduire ses émissions de 47%. Au lieu de ça, la trajectoire ficelée par les entités belges annonce une baisse d’émissions de 42,6% pour ces secteurs (transports, bâtiments, agriculture notamment), parce que la Flandre refuse de jouer sa partition.

II. Les rails de l'Europe

C'est grave, docteur? "Une région peut freiner, mais dès lors que l'Europe a pris une décision, la Belgique va devoir l'exécuter. Et si des objectifs ne sont pas respectés, il faudra en prendre la responsabilité", relativise Luc Bas, au Cerac. En l'absence d'ajustement substantiel de la stratégie, l'écart devra probablement être compensé financièrement – une perspective que regrette d'avance ce cadre dans l'administration: "Même si ça coûtait moins en termes comptables, ce qui est encore à démontrer, ça sera de l'argent qu'on n'aura pas investi dans notre propre économie."

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Qu'à cela ne tienne, les grandes balises du Pacte vert sont en place, et toute l'Europe s'apprête à naviguer dans ce nouveau couloir. Les émissions industrielles, soumises au système européen d'échange de quotas d'émissions (ETS), devraient continuer de diminuer sous la pression d'un prix des émissions en hausse. Et grâce à la future taxe carbone sur les importations (le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, MACF), une partie des industries lourdes bénéficieront, en parallèle, d'un bouclier contre leurs concurrents extérieurs qui ne seraient pas soumis à de telles contraintes.

2027
À partir de 2027, un prix sera mis sur le carbone émis par les secteurs des transports et des bâtiments, avec la création d'un second marché de permis d’émissions, l’"ETS II".

En outre, il y a cette révolution qui s'annonce: à partir de 2027, un prix sera mis sur le carbone émis par les secteurs des transports et des bâtiments, avec la création d'un second marché de permis d’émissions, l'"ETS II". "C'est une très bonne nouvelle parce que, depuis 1990, alors que les émissions industrielles ont fortement baissé en Belgique, celles du transport routier et des immeubles de bureaux ont au contraire beaucoup augmenté", souligne Leticia Pieraerts, chercheuse à la Solvay Brussels School.

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"La mise en place d'une taxe carbone est l'outil le plus efficace, dès lors qu'il est assorti d'une aide redistributive."

Leticia Pieraerts
Chercheuse, Solvay Brussels School

Or, mettre un prix sur ces émissions devrait être une évidence, souligne-t-elle: "Un des consensus du Congrès des économistes est que la mise en place d'une taxe carbone est l'outil le plus efficace, dès lors qu'il est assorti d'une aide redistributive pour les ménages les plus exposés", explique-t-elle. Un des premiers devoirs que la Belgique aura à ficeler après les élections sera précisément son "Plan Social Climat", attendu en 2025: la manière dont elle compte amortir l'ETS II et en redistribuer les revenus.

III. La trajectoire la moins chère

Reste que la Belgique n'a pas de réflexion stratégique sur la façon dont les politiques dans les entités fédérées vont compléter les mesures prévues au niveau européen. Quelles dispositions prendre, dans quel ordre, si l'on veut être efficaces? Ne cherchez pas d'objectivation quantitative des politiques en place ou à mettre en place, il n'y en a pas – un nouveau conseil scientifique a été mandaté pour évaluer les politiques climatiques fédérales, mais sa première évaluation est attendue en 2025.

"Il manque des études qui permettent de mesurer l'effet des décisions: ça permettrait de responsabiliser les politiques devant leurs choix. La trajectoire qui sera la moins chère est celle qu'on planifie le mieux", souligne Leticia Pieraerts.

Pour voir se dessiner les contours de ce qui serait réalisable en Belgique à court terme, on peut se tourner vers les partenaires sociaux: réunis au sein du Conseil fédéral du développement durable (CFDD), ils ont esquissé, à l'attention du prochain gouvernement, une position commune en la matière. "Mais il y a une série de sujets sur lesquels on sait que ça fâche, et on les a écartés pour parvenir à un consensus", prévient d'emblée Patrick Dupriez, le président de l'organe qui réunit patrons, syndicats et ONG.  Passons donc sur la voiture-salaire, que d'aucuns voudraient voir reléguée à la casse parce qu'elle constitue un subside contre-productif. Ou sur la place du nucléaire dans le mix énergétique belge au-delà de 2035, sur lequel la ligne belge reste à stabiliser.

"Quand on doit donner à tout le monde, on donne toujours plus aux gros, donc on ne change rien."

Patrick Dupriez
Président du Conseil fédéral du développement durable

Pour réduire les émissions tenaces liées à la mobilité, le CFDD évoque la possibilité d'une tarification kilométrique pour tous les véhicules en fonction de la congestion, et réclame un système de transport public intégré. Il insiste surtout sur l'absence de plan massif de rénovation énergétique, soulignant l'importance de planifier, de développer des rénovations par quartier, coordonnées, et préfinancées pour les ménages vulnérables. "Il faut multiplier par trois ou quatre le taux actuel de rénovation pour avoir une chance de décarboner ce secteur, et on n'y est pas du tout, appuie de son côté Etienne Hannon. Aucune des conditions requises, ni en termes de disponibilité de techniciens ni de leviers financiers, ne sont en place. Et on ne les voit pas venir."

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Le CFDD demande encore aux pouvoirs publics de "créer le contexte légal, réglementaire et fiscal" pour orienter les investissements vers la transition. Mais au-delà de ce type d'indications imprécises, il ne touche pas au nerf de la guerre: où cibler les investissements et les subsides? Son président, Patrick Dupriez, reconnaît la difficulté – "On doit investir fortement dans certains secteurs, mais s'il y a un refus de bien cibler les investissements parce que tout le monde doit s'en sortir, on est coincés."

IV. L'ombre du "backlash"

Le CFDD ne s'accorde a fortiori pas pour s'attaquer à ce qui est pourtant, "le plus gros point noir" en matière de cohérence des politiques publiques en Belgique, selon le Congrès des économistes: les subsides aux énergies fossiles.

"En réduisant ses subventions (13 milliards d'euros de subsides, directs et indirects, aux énergies fossiles en 2022, soit 2,3% de son PIB), la Belgique réduirait la consommation d'énergie polluante et on réduirait les coûts pour l'État – un double effet positif."

Leticia Pieraerts
Chercheuse, Solvay Brussels School

Le Fonds monétaire international calcule qu'en 2022 la Belgique a accordé 13 milliards d'euros de subsides, directs et indirects, aux énergies fossiles, soit 2,3% de son PIB. "C'est un des pourcentages les plus élevés d’Europe. Or en réduisant ces subventions, on réduirait la consommation d'énergie polluante et on réduirait les coûts pour l'État – un double effet positif", souligne Leticia Pieraerts. Sans compter qu'en encourageant l'utilisation d'énergies fossiles avec l'argent du contribuable, on rend plus onéreux le soutien aux alternatives bas-carbone, également financé par le contribuable. Pour le Congrès des économistes, ça ne fait pas un pli: l'élimination de ces subsides devrait être une priorité pour les prochains gouvernements.

"Il y a un recyclage à imaginer, c'est une question de réorientation de ces aides", indique Etienne Hannon – accompagner financièrement les ménages à changer de système de chauffage plutôt que leur donner des chèques mazout, par exemple. En tout état de cause, reprend Leticia Pieraerts, il est essentiel que les mesures de subventions fassent l'objet d'études très transparentes, "pour que l'on soit sûrs qu'on est en train de choisir celles qui coûtent le moins, et pas celles qui semblent politiquement les plus acceptables". 

C'est d'autant plus important que le nerf de la guerre est vite à vif: on sait depuis les gilets jaunes combien la décision de toucher au prix de carburants fossiles au nom de la transition peut se retourner contre les décideurs qui la prennent. "Nous devons être extrêmement disciplinés dans les politiques que nous mettons en place pour qu'elles soient les plus efficaces au regard de leur coût. Parce que le grand risque, c'est le backlash", soulignait le gouverneur de la Banque nationale, Pierre Wunsch, lors d'un événement organisé par la présidence belge fin avril.

Le backlash, ce retour de bâton qui transforme les avancées en procession d'Echternach, n'est effectivement jamais loin, comme l'illustre la manière dont l'Europe a commencé à freiner devant l'obstacle à l'approche des élections et en réponse aux manifestations d'agriculteurs. Et la Belgique – par la voix de son Premier ministre – n'est pas la dernière à avoir demandé une "pause" dans les réglementations environnementales, et singulièrement sur la loi sur la restauration de la nature, qui a pourtant des implications directes sur la décarbonation de notre économie et sur notre capacité d'adaptation aux effets inéluctables du réchauffement.

"On a décidé d'être neutre en carbone dans 25 ans seulement. Or chaque élément de restauration de la nature qu'on réalise maintenant revient à ajouter des capacités de séquestration naturelle du carbone. Mais la nature doit croître avant de commencer à séquestrer."

Luc Bas
Cerac

"On a décidé d'être neutre en carbone dans 25 ans seulement. Or chaque élément de restauration de la nature qu'on réalise maintenant revient à ajouter des capacités de séquestration naturelle du carbone", souligne Luc Bas, au Cerac (Climate and Environment Risk Assessment Center). "C'est absolument crucial, parce que ces capacités ne seront prêtes que dans une vingtaine d'années: la nature doit croître avant de commencer à séquestrer. Et la neutralité ne sera possible que quand on aura assez de nature, de photosynthèse, pour nous aider à le réaliser." Le nouveau patron du Cerac en parle avec d'autant plus d'énergie que cette question est aussi au cœur du sujet de l'adaptation de la Belgique.

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V. Une question de sécurité nationale

Si l'action climatique s'est jusqu'ici beaucoup concentrée sur la décarbonation de l'économie, l'adaptation s'impose dans la douleur. Limiter le réchauffement à 1,5°C par rapport au début de l'ère industrielle apparaît désormais hors de portée; 2°C reste possible – à la condition que l'Europe fasse sa part et que le reste du monde aussi –, mais ça signifierait une hausse des températures de 4°C pour notre continent. C'est maintenant qu'il faut s'y adapter pour en limiter les dégâts.

Même si les émissions de CO2 étaient réduites drastiquement dès aujourd'hui, les dommages liés au changement climatique généreront une perte de revenus pour l'économie mondiale de 19% d'ici à 2050, selon une étude publiée dans la revue Nature par le Potsdam institute for Climate impact research. C'est six fois plus que les coûts de réduction d'émissions nécessaires pour limiter le réchauffement à 2°C. "Quand on parle de tels pourcentages de PIB dans un contexte de discussions budgétaires, ça génère des appels à réagir en prenant des mesures fortes. Mais quand on parle de changement climatique, c'est comme si ça n'existait pas", s'inquiète ce fonctionnaire.

"Ce qu'on a sur la table actuellement comme plan national d'adaptation ne répond pas aux défis. Ce n'est plus de la science-fiction de parler de risque de famine en Europe, de tensions sur l'accès à l'eau. Ça devrait être la préoccupation première et quotidienne de tous les décideurs aujourd'hui."

Étienne Hannon

La Belgique a un plan national d'adaptation, une superposition de mesures dans les domaines de la santé, de l'agriculture, des infrastructures, qui ont le mérite d'exister, mais qui manquent de cohérence, selon Étienne Hannon: "Ce qu'on a sur la table actuellement comme plan national d'adaptation ne répond pas aux défis." L'évaluation du risque climatique au niveau européen montre des risques très sévères qui pèsent sur une série de secteurs. "On parle de choses comme la sécurité alimentaire, poursuit-il: ce n'est plus de la science-fiction de parler de risque de famine en Europe, de tensions sur l'accès à l'eau. Ça devrait être la préoccupation première et quotidienne de tous les décideurs aujourd'hui."

La question n'est donc plus uniquement le coût de l'inaction pour contenir le réchauffement, mais plus que jamais aussi le coût de l'inaction d'adaptation – le Cerac essaye de l'évaluer, avec le Bureau fédéral du plan, mais c'est un nouveau domaine d'exploration, indique Luc Bas. En attendant, on en sait plus qu'assez sur les dangers physiques du réchauffement, et les décisions utiles à coup sûr, souligne-t-il, au premier rang desquelles… la loi sur la restauration de la nature.

"Les mesures sans regret, qu'on peut faire en étant sûr à 100% qu'elles sont les bonnes mesures d'adaptation ici et maintenant, ce sont les investissements dans les solutions basées sur la nature: verdir les villes, redonner de l'espace aux cours d'eau, créer des hubs verts, protéger les espaces naturels… Tout cela aidera, quelle que soit la nature exacte de l'adaptation à faire, et c'est nécessaire pour atteindre la neutralité carbone. Or, nous ne le faisons pas", s’inquiète-t-il.

Ça pourrait changer à mesure que l'on prendra conscience des conséquences du manque d'adaptation, sur lequel le Cerac devra notamment faire rapport au Conseil national de sécurité, espère son directeur. "L'angle de la sécurité est en train de s'imposer, lentement, mais sûrement. Et quand la sécurité est en jeu, les budgets commencent parfois à couler."

Mais si la Belgique et l'Europe ne se hissent pas à la hauteur de l'enjeu, si nous ne sommes pas mieux préparés aux impacts qui vont arriver, prévenait fin avril le directeur général de l'administration européenne du Climat, Kurt Vandenberghe, "c'est notre démocratie elle-même qui est en danger".

VI. Un tournant délicat

À l'heure où la Belgique et l'Europe se préparent à enregistrer une poussée de partis extrémistes, peu intéressés par la question climatique, la multiplication des effets négatifs du réchauffement risque effectivement d'avoir des effets pervers sur les équilibres politiques, appréhende lui aussi Patrick Dupriez: "Un sondage a montré que la population de la Vallée de la Vesdre était moins attentive aux enjeux climatiques qu'avant les inondations. Quand les gens se sentent oubliés, insuffisamment aidés, ils s'éloignent des enjeux collectifs."

"Il faut reconnaître que certains acteurs, à court terme, vont y perdre, et il faut le compenser pleinement et intelligemment."

Luc Bas
Directeur du Cerac

Le pire n'est heureusement jamais certain, mais, à la veille des élections, Claire Dupont s'inquiète aussi du risque de voir la Belgique et l'Europe entrer dans une spirale négative si l'incurie prévaut. "Si on se retrouve après les élections avec une coalition d'acteurs politiques qui ne sont pas intéressés par la mise en œuvre des ambitions climatiques, on pourrait tomber dans une situation où on ne rencontrerait pas les objectifs de 2030, où on s'éloignerait de notre objectif pour 2050, et où les impacts incontrôlés deviendraient beaucoup plus fréquents, érodant davantage encore nos institutions démocratiques parce qu'elles n'auraient pas la capacité de tout gérer. Le risque, c'est de finir dans une situation où la démocratie elle-même est évacuée."

On n'en est pas là et, pour l'heure, conclut-elle, l'effort de transition énergétique avance jusqu’ici relativement bien. Mais c'est maintenant que la phase de mise en œuvre se corse, alors que l'Europe devrait accélérer considérablement le rythme de sa transition, et viser une réduction d'émissions de 90% pour 2040 – c'est la recommandation que fait la Commission, sur base de l'avis de ses experts scientifiques.

La question clé des années qui viennent sera la capacité des pouvoirs publics à mettre en place des mesures efficaces, acceptées socialement, et capables de surmonter l'opposition des intérêts établis. Pour cela, la transparence et le courage politique seront clés, soulignent plusieurs de nos interlocuteurs. "Il faut reconnaître que certains acteurs, à court terme, vont y perdre, et il faut le compenser pleinement et intelligemment", indique Luc Bas. Tout en améliorant le narratif de la transition pour mettre en évidence combien les opportunités qu'elle porte dépassent les coûts – "C'est de cette manière qu'on va faire monter les gens dans le train."

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