Françoise Bertieaux (MR): modifier le décret Paysage, "c'est entraîner les étudiants dans une aventure dangereuse"
La ministre MR de l'Enseignement supérieur, Françoise Bertieaux, s'oppose à une modification du décret Paysage qui ébranlerait tout un secteur en plein milieu de l'année académique. PS et Ecolo préparent une proposition.
Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles passera-t-il la semaine? La question reste entière alors que PS et Ecolo se sont désolidarisés la semaine dernière du décret Paysage qui organise le financement des étudiants de l'enseignement supérieur. Ce texte est porté par leur partenaire MR. Les deux partis de gauche menacent de trouver une majorité alternative pour casser le décret qu'ils ont pourtant voté en 2021. PS et Ecolo prépareraient une proposition de moratoire sur le décret sans le soutien du MR.
Pour rappel, la rentrée prochaine marquerait la fin d'une période transitoire et l'application effective de règles plus strictes susceptibles d'exclure du financement public certains élèves qui n'auraient pas réuni les crédits nécessaires dans les temps impartis. La Fédération des étudiants francophones (FEF) évoque 70.000 cas potentiels, un chiffre jugé fantaisiste par la ministre de l'Enseignement supérieur Françoise Bertieaux (MR).
La libérale répond aux questions de L'Echo tandis qu'une majorité d'établissements ont exprimé leur volonté de maintenir le décret Paysage en l'état et qu'une pétition allant dans le même sens a déjà été signée par plus d'un millier d'enseignants.
"Il s'agit d'une bonne réforme. Les échos qui nous parviennent des établissements sont favorables."
Où en est le dossier à votre niveau?
À mon niveau, il y a d'abord un effet de surprise quant aux déclarations de Jean-Marc Nollet (coprésident d'Ecolo, NDLR) et du PS. On menace d'une majorité alternative, de détricoter le dispositif, on ne sait pas trop bien comment. Il s'agit de déclarations belliqueuses et déloyales vis-à-vis de la majorité. Pour l'instant, je n'ai pas d'autres contacts. La commission Enseignement supérieur de mardi matin a, à son ordre du jour, une proposition du PTB qui détricote complètement la réforme. Le Parlement est maître de ce qu'il en fait. Il peut la rejeter, l'envoyer au Conseil d'État, l'adopter, c'est le suspense complet. Pour nous évidemment, ce sera non à ce texte dans toutes les langues.
Vous n'êtes pas prête à modifier quoi que ce soit à ce décret?
Non. Mon attitude n'a rien de borné. Je pense qu'il s'agit d'une bonne réforme. Les échos qui nous parviennent des établissements sont favorables, la preuve avec cette pétition signée à une vitesse v-v prime par des académiques de tous les horizons. Le secteur s'est levé comme un seul homme ou comme une seule femme pour défendre ce décret.
"Je ne peux pas inventer des chiffres que je n'ai pas, et je vais donc expliquer pourquoi."
Cela semble moins clair du côté de l'ULB...
L'institution ne s'en est jamais cachée, elle demande des changements. Mais, si on regarde la pétition, on constate que parmi les 1.145 signataires, il y a une très belle proportion de profs de l'ULB. Il y a même Marc Uyttendaele. Toutes les universités sont représentées, comme les établissements d'enseignement supérieur, en ce compris les écoles supérieures des arts. Les hautes écoles sont dedans. On trouve des gens proches de tous les partis, sauf peut-être du PTB. Cette liste est très représentative et pluraliste. Je ne sais pas dans quelle mesure cette pétition a été lue et entendue par mes partenaires de majorité. Moi, elle m'a impressionnée par sa fulgurance. Je n'ai pas d'échos des autres. Demain, j'ai une série de questions sur ce dossier. Je donnerai tout ce que j'ai en magasin, mais je ne peux pas inventer des chiffres que je n'ai pas, et je vais donc expliquer pourquoi.
On n'a donc toujours pas une idée précise du nombre d'étudiants qui seraient concernés?
Non, puisque deux sessions d'examens doivent encore se dérouler. Ce que l'on sait, c'est que le pourcentage de réussite est en hausse de 5% en moyenne pour la session de janvier à l'université. On n'a pas reçu tous les chiffres pour les hautes écoles, mais on observe des augmentations jusqu'à 43% dans une école en soins infirmiers, de 10% dans une autre, il a doublé dans un troisième établissement. Bref, la tendance est bien là. Le sera-t-elle toujours en juin et en septembre? Je n'en sais rien. Si c'est le cas, ce sera bien pour les étudiants.
La FEF a pourtant réalisé un sondage...
Avec un sondage, on obtient un chiffre faux, basé sur le ressenti des étudiants. Scientifiquement, cela ne vaut rien. On n'invente pas de chiffres, a fortiori lorsqu'on parle de la finançabilité des étudiants.
Il faut savoir que depuis 20 ans, quel que soit le régime en vigueur, il y a 10 à 15% d'étudiants qui ne sont plus finançables chaque année. L'an dernier, c'était 13%. La vraie question est de savoir combien on en aura de plus avec la réforme. L'ULB a fait l'exercice et dit qu'elle en aurait 330 environ. La rectrice de Liège a dit que le nombre d'étudiants concernés serait très réduit. Vinci a envoyé des courriers à 230 étudiants, mais avec des erreurs. Certains étudiants à qui l'on a dit qu'ils ne seraient pas financés pourraient l'être au final. Cela montre à quel point c'est difficile. Si j'extrapole certains chiffres cités par les recteurs, on serait à maximum 1% d'augmentation. Or chaque année, les universités inscrivent 2 à 3% d'étudiants non finançables, parce qu'elles parient dessus, ce qui absorberait donc le pourcent en question. Ces étudiants pourraient être sauvés.
Une autre carte blanche de la Ligue des familles et la Fapeo rappelle la fragilité d'une génération qui a subi la crise covid. Entendez-vous cette préoccupation?
Valérie Glatigny avait neutralisé les mesures relatives à la finançabilité pour 2019 et 2020, pour éviter que la crise sanitaire n'impacte la réforme. Il y a eu une mauvaise année en termes de réussite pour la génération qui avait connu le covid en dernière année de secondaire, mais en régime de croisière, on n'est plus dans ce cas de figure. On verra les calculs électoraux des autres partis.
"PS et Ecolo devront assumer d'avoir tiré la prise du gouvernement."
La proposition PS-Ecolo évoque une suspension du décret les années 22-23 et 23-24. Qu'en dites-vous?
Pour moi, c'est non. Ce serait dangereux. Tous les établissements ont modifié leur système informatique en fonction de la réforme. Cela veut dire que les élèves délibérés dans un système en janvier seraient délibérés selon un autre système en juin. Et puis, avec quelle majorité le voteraient-ils, puisque ce sera sans nous?
En cas de majorité alternative, il n'y a plus de gouvernement?
Ils devront assumer d'avoir tiré la prise du gouvernement, l'expliquer à leurs électeurs et renoncer à tous les décrets qui doivent encore passer.
Vous démissionnerez?
Je ne sais pas encore, il faut garder une continuité. Les écoles attendent des subventions, or on basculerait en affaires courantes. Je ne sais pas ce que PS et Ecolo mijotent. Veulent-ils renverser une majorité à deux mois des élections? Ce n'est pas parce qu'ils ont une proposition qu'ils auront une majorité.
Comment interprétez-vous leur revirement?
Négativement en termes de loyauté gouvernementale. Négativement en termes d'honnêteté intellectuelle puisque, lorsque la réforme a été votée en 2021, on avait négocié des aménagements entre partenaires. C'est quelque chose de démagogique et électoraliste. C'est la pression de la FEF, sans doute, et la croyance qu'ils vont plaire à une partie des jeunes en obtenant ce changement. Mais je ne suis pas sûre que ce soit très bon. On voit que cela passe mal. Je pense que c'est entraîner les étudiants dans une aventure dont on ne mesure pas les conséquences, c'est dangereux. Les examens sont dans six semaines.
Tout savoir sur la réforme du décret Paysage avec cet article explicatif.
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