Retour sur la sortie manquée du nucléaire, Acte I: comment Van der Straeten a cru la partie gagnée
En s'accordant finalement avec Engie sur la prolongation des réacteurs Doel 4 et Tihange 3, la Vivaldi a mis un terme provisoire à plus de trois ans de querelles en son sein. Dans une reconstitution en trois actes, notre rédaction revient sur la trame de ce revirement.
Dans cette première partie, nous voyons comment la ministre de l'Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen), a cru pouvoir exclure toute prolongation nucléaire.
Scène 1: la naissance d'un plan B
Mercredi 23 septembre 2020 – Applaudissements sur tous les bancs
Dans la salle Europe du Palais d'Egmont, la démonstration de Tinne Van der Straeten, future ministre de l'Énergie, est applaudie par tous les négociateurs gouvernementaux. Elle vient de leur expliquer sa stratégie de sortie en bon ordre de la production d'électricité à partir de l'énergie nucléaire. Un schéma sur une feuille A4 montre, étape par étape, comment la capacité de remplacement devra être mise en place pour que la Belgique puisse se passer des centrales nucléaires, qui lui ont assuré pendant des décennies près de la moitié de sa production électrique. Son plan: subsidier la construction de nouvelles centrales à gaz pour garantir l'absence de black-outs dans les années à venir.
L'accord entre les libéraux et les écologistes sur la fermeture des centrales nucléaires a constitué, il y a trois ans, la clé de la constitution du gouvernement Vivaldi, emmené par le Premier ministre, Alexander De Croo (Open VLD). La ministre de l'Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen), n'a eu ensuite de cesse de faire aboutir la sortie du nucléaire convenue entre les partenaires de la coalition. Avant de devoir se résoudre à conclure un accord de principe entre le gouvernement et l'exploitant Engie sur la prolongation de deux réacteurs nucléaires. À travers des entretiens menés avec les acteurs clés du dossier et des sources bien informées, notre rédaction a reconstitué en trois volets les étapes clés de ce dénouement auquel peu de monde croyait encore.
Acte II | Un refus de Demir, un coup de frein de Bouchez et la guerre de Poutine rebattent les cartes.
Même ses opposants politiques se montrent impressionnés par son exposé. Les socialistes et le CD&V, qui étaient pourtant convenus, lors d'une précédente tentative de formation d'une majorité avec Bart De Wever (N-VA), du maintien de deux réacteurs nucléaires, se disent convaincus, comme les présidents libéraux Georges-Louis Bouchez (MR) et Egbert Lachaert (Open VLD). Ils donnent ainsi leur accord à la fermeture de l'ensemble des sept réacteurs atomiques à la fin de 2025, comme les écologistes avaient réussi à le bétonner dans la loi de 2003 sur la sortie du nucléaire.
Un président de parti n'en donne pas moins un coup de coude à son voisin. "Il est tout de même hallucinant que nous prenions une décision d'une telle importance sur la base de quelques gribouillis sur une feuille de papier", avance-t-il. Mais le soulagement général l'emporte sur la perplexité de quelques-uns. L'un des principaux obstacles à la formation de la Vivaldi est levé. "La sortie du nucléaire est là", dit-on côté vert. Le président d'Ecolo, Jean-Marc Nollet, peut brandir son trophée historique, après avoir attendu patiemment que les négociateurs suppriment les crochets entourant la question sur les documents en discussion.
Mais quelques participants applaudissent en sachant qu'ils conservent un atout dans leur manche. Si le gouvernement confirme bel et bien la sortie du nucléaire et son calendrier légal prévoyant les derniers arrêts en 2025, plusieurs partenaires autour de la table tiennent cependant à laisser la porte ouverte à une prolongation, pour se prémunir contre tout risque de coupure de courant à grande échelle. Si, en novembre de l'année suivante, l'approvisionnement est menacé par un problème inattendu, le gouvernement pourra décider de maintenir en état de marche les deux réacteurs Doel 4 et Tihange 3.
Les graines de la piste de repli, le fameux plan B, sont ainsi semées durant les jours les plus chauds de l’été. En août, les préformateurs Bart De Wever (N-VA) et Paul Magnette (PS) invitent tour à tour les libéraux et les verts pour les sonder sur leur volonté d'intégrer une coalition déjà constituée de cinq partis (N-VA, PS, sp.a, CD&V en cdH). Mais De Wever échoue à convaincre l'Open VLD d'entrer dans un gouvernement sans le MR, et sa manœuvre se retourne contre lui. Georges-Louis Bouchez cherche un appui chez son collègue d'Ecolo, Jean-Marc Nollet. Autour d'un café, les deux présidents forgent un axe bleu-vert pour contrer le ping-pong de De Wever et Magnette.
Lors de ce tête-à-tête, Bouchez comprend que Nollet peut s'accommoder de l'option de la prolongation de réacteurs nucléaires. Mais l'écologiste estime ne pas pouvoir vendre à sa base une telle concession écrite noir sur blanc dans un accord de coalition. Le compromis consiste donc à en exclure les expressions "réacteurs nucléaires" et "prolongation de la durée de vie". Ainsi, l'accord gouvernemental ne comprendra finalement qu'une référence voilée à la possibilité, si cela s'avère nécessaire, d'"adapter le calendrier légal pour une capacité allant jusqu'à 2GW". Bouchez se laisse donc convaincre que le plan B, la porte arrière cachée, sera en réalité le plan A.
Le duo se rend au 34, rue Melsens, au siège de l'Open VLD, pour présenter leur accord au président Egbert Lachaert. Qui l'entérine. Peu de temps après, un communiqué de presse commun l'officialise. Les libéraux et les verts déclarent ne plus vouloir participer aux surenchères de De Wever, qui prend, disent-ils, un malin plaisir à les jouer les uns contre les autres pour déterminer la coalition finale.
Mais le passage réservé au nucléaire dans l'accord Vivaldi provoque déjà un premier clash dans la dernière ligne droite de la formation du gouvernement. Les verts s'étranglent en apprenant que le plan B a fuité dans la presse: "La Vivaldi laisse la porte ouverte aux centrales nucléaires", titrons-nous le 29 septembre. "C'est pourtant la logique même de prévoir une échelle de secours. Sinon, vous écririez que nous sommes de dangereux écervelés", entend-on.
L'axe bleu-vert ne plait cependant pas à tout le monde. "De Croo s'est agenouillé devant les verts pour former un gouvernement", déplore un partenaire de la coalition. "Le prix qu'il était prêt à payer pour décrocher le poste de Premier ministre était la sortie du nucléaire. La plupart des partenaires autour de la table trouvaient qu'il fallait maintenir ouverts deux réacteurs nucléaires. Mais les verts et De Croo ont forcé la main des autres."
Entre-temps, l'exploitant des centrales nucléaires, Engie Electrabel, s'interroge sur la faisabilité du plan B de la Vivaldi. L'entreprise énergétique française le martèle depuis des mois: il doit y voir clair, au plus tard à la fin de 2020, pour avoir le temps de préparer la prolongation des réacteurs, ce qui implique des investissements et un rapport environnemental. Engie estime ce délai de préparation à cinq ans.
Le 29 septembre, lorsque les négociateurs de la coalition Vivaldi sont sur le point d'aboutir, Engie Electrabel leur adresse un dernier avertissement. "Le report d'une décision de principe sur l'avenir de Doel 4 et Tihange 3 à la fin de 2021 rend impossible, de facto, la poursuite de l'exploitation de ces unités après leur date actuelle de fermeture de juin/septembre 2025", souligne-t-il dans une note. Sur deux feuilles A4, Electrabel décrit le calendrier démontrant que le moment de la décision mentionné dans l'accord gouvernemental viendra trop tard. Elle provoquerait un retard de 11 mois, susceptible de provoquer un déficit de capacité électrique à l'hiver de 2025.
Mais l'énergéticien semble pratiquer un double jeu. En marge de la position officielle, d'autres voix haut-placées en son sein se montrent plus souples. Selon plusieurs sources, Engie fait savoir aux formateurs De Croo et Magnette qu'une prolongation des réacteurs nucléaires pourrait encore être décidée à la fin de 2021 si cela s'avère vraiment nécessaire. Et ce message est transmis également à d'autres partenaires de la coalition.
"Vous pensez que je suis naïf au point d'avoir accepté ce passage dans l'accord gouvernemental si je n’avais pas vérifié auprès d'Engie que c'était possible?", déclarera plus tard le président du MR. Les verts ne prennent pas non plus au sérieux les avertissements officiels de l'exploitant nucléaire. "La seule véritable date limite pour être prêt à la fin de 2025 est juin 2022", avance un acteur clé du dossier. "C'est à cette échéance que le combustible nucléaire doit être commandé au plus tard. Tout le reste peut se régler."
"Soyez conscients de ce que vous faites."
Dans la dernière nuit des négociations, le président d'Electrabel, Johnny Thijs, bombarde encore de messages ses participants. "Prenez tout de même garde." "Soyez conscients de ce que vous faites." Mais les négociateurs y voient un jeu de poker menteur. Le matin suivant, après une longue nuit de discussions, les partis de la Vivaldi bouclent leur accord gouvernemental. De Croo peut s'apprêter à revêtir les habits de Premier ministre.
Scène 2: Van der Straeten referme la porte peu à peu
Octobre 2020: La mission d'une ministre verte
Pour Tinne Van der Straeten, la mission est claire. Son rôle de ministre de l'Énergie consistera à réaliser la sortie du nucléaire telle qu'elle l'a conçue. Elle s'engage ainsi dans une course contre-la-montre pour concrétiser la voie énergétique alternative: faire sortir de terre de nouvelles centrales électriques à gaz. En procédant sans tarder, elle pourra placer ses partenaires devant des faits accomplis.
La ministre de l'Énergie qui l'a précédée, Marie-Christine Marghem (MR), a déjà initié le mécanisme de soutien CRM (le "mécanisme de rémunération de capacité", ou CRM, a été créé par la Belgique pour assurer sa sécurité d'approvisionnement en électricité après la fermeture prévue des centrales nucléaires, en accord avec la transition énergétique, NDLR), censé attirer de nouveaux investissements dans ces centrales à gaz, mais sans aller beaucoup plus loin. Van der Straeten doit à présent le mettre en branle et obtenir le plus vite possible le feu vert européen. Deux jours avant son "grand oral" réussi à la salle Europe, la Commission européenne a annoncé, en effet, un examen approfondi de ce mécanisme CRM pour s'assurer qu'il ne constitue pas une aide d'État illégale. Sur le dessin que Van der Straeten présente à ses partenaires de coalition, le point d'interrogation placé à côté du "EC" (Commission européenne) n'est pas passé inaperçu.
Deux semaines avant son entrée en fonction, quand son cabinet ne compte encore qu'un seul collaborateur, la ministre écologiste se rend une première fois chez Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la Concurrence, chargée d'analyser le dossier. Elle lui demande de ne pas rendre son verdict au-delà de la fin mars, afin de pouvoir organiser à l'automne la première enchère du mécanisme CRM, et ainsi construire à temps de nouvelles centrales à gaz.
Mais Vestager n'entend suivre à la lettre le calendrier de Van der Straeten. La fine politicienne danoise consent tout au plus à prévoir un moment d'évaluation, en mars, pour que la ministre belge puisse évaluer la faisabilité de la sortie du nucléaire. Message transmis également à Alexander De Croo. En clair, si en mars la piste de nouvelles centrales à gaz semble trop hasardeuse, l’option d’une prolongation du nucléaire devra être activée.
Trois jours après sa prestation de serment, la fraîche émoulue ministre de l'Énergie rencontre également une première fois deux représentants d'Engie Electrabel. Ce dimanche après-midi, au food market de la Gare Maritime à Bruxelles, elle leur annonce ce que c'est à eux, et à eux seuls, qu'il incombe de décider de développer la voie d'une prolongation du nucléaire.
Electrabel est bien conscient que l'heure n’est pas aux tergiversations. Les négociateurs de l'exploitant répètent, pour la forme, leur position: Doel 4 et Tihange 3 peuvent encore jouer, après 2025, un rôle important dans l'approvisionnement énergétique belge, mais le gouvernement doit décider rapidement et ne pas attendre le mois d’octobre de l'année suivante.
L'énergéticien n'est pas le seul à souligner l'importance de trancher sans traîner. Dans le rapport d'experts qui a alimenté les débats des négociations gouvernementales en septembre, le régulateur nucléaire AFCN avertissait déjà qu'une décision politique claire était requise sans attendre pour permettre une éventuelle prolongation nucléaire en 2025. De leur côté, les spécialistes en énergie de l'administration (SPF Economie) invitent le gouvernement à lancer, dès le 1er novembre 2020, le rapport sur l'impact environnemental pour garantir des préparatifs dans les temps.
Mais Van der Straeten n'en fait rien. "La ministre ne donnait pas l'impression de vouloir vraiment laisser cette piste ouverte", dit une source d'un autre parti. "On a compris peu à peu que le plan B n'était pas envisagé sérieusement."
"Nous ne sommes pas Mère Teresa."
Engie laisse clairement entendre qu'il ne continuera pas à investir dans une prolongation nucléaire si le gouvernement ne formule pas d’abord un engagement ferme à cet égard. "Nous ne sommes pas Mère Teresa", assène-t-on du côté de l'entreprise. Quelques semaines plus tard, on apprend l'arrêt des préparatifs d'une éventuelle prolongation de l'activité nucléaire, à la faveur d'une fuite d'une communication vidéo de Thierry Saegeman, le futur CEO d’Electrabel, adressée au personnel concerné. "La position très ferme du gouvernement nous contraint à nous préparer à un changement de cap."
23 février 2021: Engie amortit les centrales nucléaires
À Paris, les longues années de tergiversations de la politique belge ont fini par lasser. Au siège du groupe, dans le quartier des affaires La Défense, Engie décide de tirer un trait sur les projets de prolongation nucléaire et réduit à zéro, au début de 2021, la valeur de son parc nucléaire belge dans son bilan. Une dépréciation de valeur de 2,9 milliards d'euros. En clair, le groupe français prévoit que ses centrales atomiques belges ne lui rapporteront plus un euro après 2025.
"Nous avons pris nous-mêmes la décision de ne plus investir dans une prolongation nucléaire."
"Nous avons pris nous-mêmes la décision de ne plus investir dans une prolongation nucléaire", déclare la nouvelle CEO, Catherine MacGregor. Le président du groupe, Jean-Pierre Clamadieu, l'a précisément faite venir pour mettre en musique la nouvelle stratégie. Le tout-puissant Français, surnommé "Dieu" à la rue de la Loi, veut réorienter Engie sur trois grands axes: l'énergie renouvelable, les infrastructures et le gaz. Les activités de service – menées en Belgique à travers Fabricom, Cofely et Axima, qui emploient plus de 10.000 travailleurs – seront cédées. Les centrales nucléaires sortent de son champ stratégique.
C'est le message que Clamadieu communique également personnellement à Alexander De Croo. Lors d'un entretien avec le Premier ministre sur l'épineuse question de l'assainissement et l'enfouissement des déchets nucléaires, le président d'Engie lui avoue ne plus voir d'avenir dans l'énergie nucléaire.
Ces dernières années, il est vrai que les réacteurs nucléaires belges ont accumulé les problèmes. À Paris, on n'a toujours pas digéré le qualificatif de "réacteurs fissurés", le sabotage à Doel 4 et les récentes pertes de plusieurs millions d'euros. S'y ajoutent les obligations relatives aux déchets nucléaires et le risque, minime mais réel, d'un accident atomique qui pèsent lourdement sur la valorisation boursière du groupe. Pour prolonger la vie de Doel 4 et Tihange 3, Engie devrait investir 1 milliard d'euros. À Paris, le conseil d'administration décide de réserver ce montant à la construction de nouvelles centrales à gaz. L'énergie nucléaire n'est plus nécessaire.
Scène 3: le plan sera le A ou ne sera pas
23 avril 2021: coup d'envoi de l'enchère CRM
Entre-temps, Tinne Van der Straeten ne ménage pas ses efforts pour mettre au point le mécanisme CRM afin que la première enchère puisse avoir lieu en octobre. Cela doit passer par une adaptation législative et une série d'arrêtés d'exécution. La date limite originelle de fin mars est reportée in extremis d'un mois. Le Conseil d'État se voit transmettre au préalable les projets de texte de manière informelle, afin qu'il puisse rendre ses avis le plus vite possible. Les membres de son cabinet s'obligent même à appeler les députés de l'opposition pour leur demander de ne déposer aucun amendement, pour éviter une organisation hors délai de la première enchère.
"Nous n'avions pas un jour de marge de manœuvre."
"Nous n'avions pas un jour de marge de manœuvre", déclarera Van der Straeten par la suite au Parlement. Elle a bien conscience que le moindre petit accroc l'aurait obligé à aller négocier avec Engie la prolongation de ses activités nucléaires en Belgique.
Une autre étape cruciale l'attend à présent. Sa seconde rencontre, fixée au 23 avril, avec la commissaire européenne Vestager. Sans la perspective d'une approbation européenne du mécanisme CRM, la ministre de l'Energie n'aurait pas d'autre choix que d'activer la prolongation nucléaire. Après un entretien de plus d’une heure, le large sourire de Van der Straeten derrière son masque chirurgical en dit long. "Can do", dit-elle à son entourage. C'est jouable.
Vestager exige que la Belgique actualise la norme de fiabilité de l'approvisionnement électrique, et surtout que Van der Straeten démontre que l'octroi de subsides à de nouvelles centrales à gaz est indispensable pour éviter un black-out électrique. Van der Straeten se montre assez confiante à cet égard. Elle sait qu'un prochain rapport du gestionnaire de réseau Elia démontrera à nouveau que le marché ne résoudra pas à lui seul les déficits d'approvisionnement. La porte d'une prolongation nucléaire se referme encore un peu plus.
15 juin 2021: le mécanisme de soutien démarre
À quelques semaines des grandes vacances, les pièces du puzzle de la ministre de l'Énergie sont bien en place. Le mécanisme CRM a été lancé. Les candidats-investisseurs ont jusqu'au 15 juin pour s'enregistrer auprès du gestionnaire de réseau Elia. Ensuite, ils auront jusqu'à la fin septembre pour faire une offre. Les investisseurs les moins avides de subsides se les verront attribuer effectivement pour développer leur projet.
Van der Straeten estime que deux ou trois grandes centrales à gaz seront nécessaires pour permettre une sortie complète du nucléaire. À l'origine, les candidats ne manquaient pas. Avec pas moins de dix projets de nouvelles centrales à gaz. Mais depuis lors, quelques-uns ont jeté l'éponge. Et des problèmes de permis ont semé le doute dans les esprits. L'identité des candidats reste secrète. Même pour la ministre. Mais le CEO d'Elia, Chris Peeters, rassure le kern (conseil des ministres restreint): il ne manquera pas de tirer la sonnette d'alarme si les candidats étaient trop peu nombreux.
"Nous ne voyons pas comment il serait encore possible de continuer à exploiter les centrales au-delà de l'hiver 2025. Nous avons tourné cette page."
Quelques jours plus tard, la voie d'une prolongation nucléaire se bouche encore un peu plus lorsque Thierry Saegeman, devenu CEO d'Electrabel, déclare au Parlement qu'il est trop tard. "Nous ne voyons pas comment il serait encore possible de continuer à exploiter les centrales au-delà de l'hiver 2025", affirme-t-il résolument. "Nous avons tourné cette page."
Chez Groen, un doux parfum de victoire se fait sentir. "Nous entrerons dans l’histoire comme le parti qui a réalisé la sortie du nucléaire", croit dur comme fer la vice-Première ministre Petra De Sutter.
16 juillet: Vestager donne son feu vert
Le vendredi 16 juillet, alors que les inondations mortelles en Wallonie dominent l'actualité, Van der Straeten se rend au petit matin au bureau de la commissaire Vestager. La Danoise la reçoit en chaussures de sport blanches au Berlaymont. Le lendemain, elle part en vacances. Elle démarre son dernier jour de travail plus tôt que d'habitude pour pouvoir prendre le temps de discuter avec la ministre belge. Sans fumée blanche aujourd'hui, une décision de la Commission risque d'arriver trop tard.
Mais trente petites minutes suffisent pour éclaircir les derniers points problématiques. Van der Straeten en ressort victorieuse. Le feu vert européen tombera à la fin août, lui assure-t-on. La ministre écologiste peut préparer tranquillement ses vacances familiales annuelles à Ambleteuse, un petit village sur la côte d’Opale dans le nord de la France. Au sein du gouvernement, on entend dire: « le chemin vers une prolongation des centrales nucléaires s’est fermé en cours de route. »
Vendredi 27 août 2021: le plan A et rien que le plan A
Le 27 août, la Commission européenne annonce son approbation formelle du mécanisme CRM belge. Après une lecture attentive de la décision, certains partisans d'une prolongation nucléaire ouvrent de grands yeux. Ils comprennent que Van der Straeten a très habilement manœuvré pour verrouiller la porte de l'option nucléaire.
La commissaire Vestager n'avait, en effet, approuvé l'octroi de subsides aux nouvelles centrales à gaz qu'à la condition de fermer l'ensemble des sept réacteurs belges.
Van der Straeten a en réalité poursuivi sur la lancée du dossier que Marie-Christine Marghem avait soumis à la Commission, et dont le point de départ était une sortie complète du nucléaire. En clair, la ministre écologiste a exclu le plan B des discussions avec l'Europe. Et donc, si l'évaluation prévue à la fin novembre conduit à une décision de maintenir des réacteurs ouverts, la Belgique devrait lancer une nouvelle procédure d'autorisation auprès de la Commission européenne, ce qui pourrait prendre à nouveau plus d’un an. Même si le gouvernement le veut, il semble alors impossible d'organiser encore une prolongation de Doel 4 et Tihange 3 à l'horizon de l'hiver de 2025.
"La Belgique aurait pu également, lors des discussions avec la Commission européenne, mettre déjà sur la table la piste d'une prolongation, mais Van der Straeten s'est bien gardée de le faire", déplore le député Bert Wollants (NV-A). "Certains partis de la coalition ont compris trop tard que le scénario de secours n'existait plus de facto."
"En cette première année de gouvernement, nous étions tous préoccupés par la crise du covid, et non par l'état d'avancement du plan B."
Par la suite, certains membres du gouvernement reconnaîtront également que Van der Straeten a exploité habilement la complexité du dossier pour s'engager irrévocablement sur la voie d'une sortie complète du nucléaire. "La mise au point du CRM était très technique, avec différentes enchères, etc.", souligne un ministre. "En cette première année de gouvernement, nous étions tous préoccupés par la crise du covid, et non par l'état d'avancement du plan B."
De son côté, Groen nie que Van der Straeten a cherché délibérément à rendre impossible l'option de la prolongation. Sa mission, font remarquer les écologistes, n'était pas d'activer le plan B, ni même de le préparer, mais uniquement de le garder sous le coude en cas d'urgence. Par ailleurs, la ministre ne voulait pas que la porte de cette option reste trop ouverte. Il s'agissait d'envoyer un signal clair aux investisseurs et de ne pas créer d'incertitude. Si cela s'avérait nécessaire, elle pouvait toujours sortir le plan B du tiroir.
Dimanche 31 octobre 2021: "C'est gagné"
Engie sort grand vainqueur de la première enchère CRM. Van der Straeten l'annonce à l'issue du kern du dimanche 31 octobre. Aux côtés de Chris Peeters (Elia), elle se réjouit du succès de l'opération. Engie a présenté les projets de nouvelles centrales à gaz les plus concurrentiels. L'énergéticien se verra donc octroyer les subsides afférents, estimés à 60 millions d’euros par an, pendant 15 ans, pour construire de nouvelles grandes centrales à gaz à Vilvoorde et aux Awirs, près de Liège. Le patron d'Elia déclare que la Belgique est "sur la bonne voie pour garantir l'approvisionnement énergétique".
C'est à ce moment précis que Van der Straeten est pour la première fois totalement rassurée. Les centrales nucléaires vont bel et bien fermer. La suite ne lui donnera pas raison.
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