Les chantiers interminables | Oosterweel, le chaînon manquant
Le bouclage du ring d’Anvers a été ralenti par le scandale de la pollution au PFOS chez 3M. Le gouvernement flamand a jusqu’au mois d’octobre pour débloquer le chantier.
En Flandre, on l’appelle "le chantier du siècle". Son coût est estimé à 4,5 milliards d’euros. C’est aussi un des plus longs. Cela fait plus de vingt-cinq ans en effet que le chantier de l’Oosterweel fait parler de lui.
Oosterweel est le lieu d’une bataille militaire qui opposa en 1567 les calvinistes hollandais au roi d’Espagne Philippe II, marquant le début de la guerre de Quatre-Vingt Ans. Aujourd’hui Oosterweel désigne le chaînon manquant du ring d’Anvers. Long de six kilomètres, ce tronçon doit relier les deux rives de l’Escaut au nord de la ville par le biais d’un tunnel. Ce qui permettrait de décongestionner quelque peu la métropole anversoise.
La décision de principe de boucler le ring d’Anvers remonte à 1995. Dans un premier temps, les autorités flamandes avaient opté en 2001 pour la construction d’un pont, appelé Lange Wapper (du nom d’un géant issu de la mythologie anversoise). Le projet fut toutefois abandonné en 2009 après avoir été soumis à une consultation populaire qui avait récolté 60% d’avis négatifs. Les citoyens estimaient qu’un tunnel serait moins dommageable pour leur environnement.
Entre le pont suspendu (moins coûteux) et le tunnel (moins polluant), le match s’est poursuivi pendant huit années supplémentaires, prenant des allures de procession d’Echternach. Ce n’est qu’en 2017 que le gouvernement flamand, les élus locaux et les mouvements citoyens se sont finalement accordés en faveur d’un tunnel sous l’Escaut, sur deux fois trois bandes de circulation.
Pour répondre aux préoccupations des défenseurs de l’environnement, le projet prévoit une passerelle au-dessus du fleuve pour les cyclistes et les piétons. Dans le même esprit, certains tronçons existants du ring seront recouverts pour y aménager en surface des parcs et des zones récréatives.
Scandale chez 3M
Le chantier a donc enfin pu démarrer en 2021, avec pour objectif de finaliser le tout pour 2030. Mais c'était sans compter sur la découverte, en avril dernier lors de travaux d’excavation, d’une pollution au PFOS sur le site du géant chimique américain 3M à Zwijndrecht. Le PFOS est un perturbateur endocrinien qui peut provoquer des cancers. La découverte a été faite à la suite des prélèvements réalisés par la commune de Zwijndrecht.
Tous les partis politiques ont été mêlés de près ou de loin au scandale de la pollution sur le site de 3M.
Cette pollution a provoqué un scandale dans la mesure où on touche à la santé publique (il est déconseillé de cultiver ses légumes dans un périmètre de 5 km autour de l’usine) mais aussi parce qu’à peu près tous les partis politiques ont été mêlés de près ou de loin à cette affaire. Au gré des révélations, il est en effet apparu que la Région flamande était au courant de cette pollution depuis 2017, mais avait choisi de ne pas communiquer à ce sujet, ni auprès du grand public ni auprès de la commune de Zwijndrecht, afin de ne pas ralentir les travaux. De son côté, la ville d’Anvers avait également été mise au courant.
Face à l’ampleur du scandale, une commission d’enquête parlementaire a été mise sur pied. S’en est suivi une longue série d’auditions, parfois tendues, notamment entre la ministre de l’Environnement Zuhal Demir (N-VA) et son administration, mais aucune mise en cause de l’un ou l’autre responsable individuel. La commission s’est contentée d’épingler "une responsabilité politique collective" suite à "une cascade de décisions prises au cours des années".
Deux arrêts du Conseil d’État
Les politiques ont cru ainsi pouvoir s’en tirer à bon compte et permettre au chantier de redémarrer. Mais c’était sans compter sur le Conseil d’État qui, le 29 décembre 2021, ordonna la mise à l’arrêt des travaux suite à une plainte introduite par les associations environnementales (Greenpeace, Bond Beter Leefmilieu et quelques activistes).
La plainte visait le déplacement de terres polluées au PFOS pour construire une digue dite "de sécurité" aux abords du site de 3M. L’arrêt s’appuie sur une réglementation européenne de 2019 sur les polluants organiques persistants (POP) qui interdit la réutilisation de terres polluées au PFOS. Dans ce cas-ci, il s’agit de 600.000 m3 de terres, soit l’équivalent de 200 piscines olympiques…
En réponse à cet arrêt, Lantis, le maître d’ouvrage, a modifié le rapport technique servant de base juridique au chantier et les travaux ont pu reprendre en février 2022. Mais pas pour longtemps. Le 19 avril, le Conseil d’État ordonna une nouvelle fois le gel du chantier suite à un nouveau recours introduit par les associations contre le rapport technique de Lantis.
L’arrêt du Conseil d'État exige que les terres contaminées soient d’abord dépolluées avant d’être déplacées.
L’arrêt exige que les terres contaminées soient d’abord dépolluées avant d’être déplacées. Dans son deuxième arrêt, le Conseil d’État interdit de déplacer des terres qui n’auraient pas été préalablement décontaminées. Bref, c’est à nouveau l’impasse. Comme cet arrêt pourrait constituer un précédent de nature à geler d’autres chantiers importants, la ministre Zuhal Demir a jugé plus prudent de revoir de fond en comble le décret relatif aux sols pollués ("bodemdecreet").
En attendant un nouveau décret
Depuis lors, le gros du chantier est à l’arrêt et seuls quelques travaux périphériques se poursuivent, comme l’installation de panneaux anti-bruit et la construction de la passerelle pour les cyclistes. De quoi occuper les équipes de Lantis jusqu’en octobre prochain. D’ici-là, Zuhal Demir a promis de finaliser son nouveau décret.
Si tout cela prend du temps, c’est parce que Zuhal Demir souhaite une solution négociée avec l’ensemble des parties concernées, pour ne pas se retrouver avec un éventuel troisième recours sur le dos. Des discussions sont en cours depuis le printemps associant les autorités flamandes, Lantis ainsi que les défenseurs de l’environnement.
Le point délicat demeure la berme de sécurité installée sur le terrain de 3M où Lantis pensait initialement stocker les terres contaminées. C’est la solution la plus rapide. L’autre solution, plus coûteuse et plus fastidieuse, serait d’évacuer les terres contaminées vers des décharges.
Dans les deux cas, les associations exigent non seulement l’assainissement de ces terres, mais elles demandent aussi que le coût de la décontamination soit à la charge du pollueur, c’est-à-dire de 3M. Cette exigence est déjà en partie rencontrée puisque Demir a obtenu de 3M une indemnisation à hauteur de 571 millions d’euros. Et le gouvernement flamand ne s’interdit pas de réclamer davantage par la suite.
Le précédent du Deurganckdok
Cette approche prudente tranche en tout cas avec celle qui avait prévalu en 2001 pour la construction du Deurganckdok, une écluse géante jugée cruciale pour le port d’Anvers dans sa concurrence avec Rotterdam. Lorsque le chantier menaçait d’être paralysé par des recours, le gouvernement flamand avait voté le 14 décembre 2001 un décret d’urgence ("Nooddecreet") pour couper court à toute velléité de blocage.
Aujourd’hui, le gouvernement flamand ne semble pas disposer de la force de frappe nécessaire pour faire passer un décret analogue. Sans oublier que les questions environnementales sont aujourd’hui davantage prises au sérieux qu’il y a vingt ans.
Malgré le scandale de la pollution sur les terrains de 3M, une grande majorité d'Anversois continue de soutenir le projet de l’Oosterweel. C’est ce qu’a montré une enquête réalisée par iVOX au printemps dernier, juste après les révélations sur les sols contaminés au PFOS. Pas moins de 79% des répondants jugent que les travaux doivent se poursuivre, 16% plaident pour une mise à l’arrêt et 18% continuent de penser que ce chantier est un gaspillage de deniers publics.
Trois quarts des personnes interrogées affirment qu’une fois terminée, la liaison Oosterweel contribuera à une meilleure mobilité et à une meilleure qualité de vie pour les riverains. Les trois principaux objectifs mis en avant par le sondage sont: moins de bouchons, une amélioration de la qualité de l’air et l’apport de nouvelles zones vertes.
Ceci étant, près de la moitié des répondants (41%) se disent conscients que la liaison Oosterweel ne va pas résoudre à elle seule les problèmes de congestion dans et autour d’Anvers. Chez Lantis, le maître d’ouvrage, on partage cette analyse et on plaide pour un changement des habitudes en matière de mobilité. Sans un recours plus important aux transports publics et à la mobilité douce, Anvers restera un point noir sur la carte des bouchons.
Bien sûr, le cas d'école reste le dossier du RER autour de Bruxelles: un premier projet en 1995 et une mise en service du dernier tronçon aux alentours de... 2033. N'allez cependant pas croire qu'il s'agisse d'un cas isolé. Pour s'en convaincre, retour sur une série de projets et chantiers à rebondissements.
- Épisode 1 - Le tram de Liège
- Épisode 2 - Le quartier du Midi
- Épisode 3 - La gare de Mons
- Épisode 4 - L'Oosterweelverbinding
- Le bouclage du ring d’Anvers constitue une saga qui dure depuis 1995.
- Entamés en 2021, les travaux ont été stoppés net par la pollution découverte sur le site de 3M à Zwijndrecht.
- Deux arrêts du Conseil d'État ont empêché toute reprise du chantier.
- La ministre Zuhal Demir est en train de revoir le décret relatif aux sols pollués pour relancer les travaux en octobre prochain.
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