Valérie Glatigny: "Le problème de la pénurie de médecins ne se règle pas que sous l’angle de la formation"
Le timing devait être parfait, mais au lendemain d'une réunion de gouvernement qui devait trancher dans le dossier des habilitations en médecine, la ministre de l'Enseignement supérieur se retrouve les mains vides. Elle reste confiante sur les chances de trouver un compromis.
Il est 9h du matin, ce vendredi, quand nous retrouvons Valérie Glatigny dans ses bureaux, place Surlet de Chokier. La nuit n’a pas dû être sereine pour la ministre (MR) de l’Enseignement supérieur. En fixant cette interview, elle espérait sûrement pouvoir nous présenter un compromis forgé avec ses partenaires de gouvernement PS et Ecolo sur le dossier des habilitations dans l’enseignement supérieur. Las. Jeudi, son ministre-président a reporté le point dès le début de la réunion du gouvernement, suite aux déclarations du président du PS le matin même de la réunion.
Parfum de crise à la Fédération Wallonie Bruxelles (FWB). On dit le gouvernement menacé. "Mais ce dossier vaut-il vraiment une chute?", lui demande-t-on d’entrée de jeu. "C’est un dossier important pour moi en tant que ministre de l’Enseignement supérieur. C’est vrai qu’à l’échelle de la Belgique, il est mineur. Mais je tiens à rappeler qu’on se parle, qu’on négocie. Je ne vais pas rappeler nos principes, ils sont connus. Les uns et les autres ont aussi leurs propres positions, et c’est légitime. Donc, on essaye de trouver un chemin."
"Je ne veux pas esquisser de pistes de solution avec vous, ce ne serait pas respectueux de mes partenaires, tacle-t-elle. Mais je suis confiante."
La ministre refusera d’en dire davantage sur ce "chemin". La négociation se mène au sein du gouvernement, et avec les présidents de partis. S’agirait-il de limiter le coût que représenterait l’organisation de ces masters sur les finances de la Fédération?, suggère-t-on. "Je ne veux pas esquisser de pistes de solution avec vous, ce ne serait pas respectueux de mes partenaires, tacle-t-elle. Mais je suis confiante. La politique, c’est l’art des compromis, c'est le cœur de notre métier."
En attendant, l’épée Damoclès de la majorité alternative pèse sur le MR. Et pourrait signifier la fin du gouvernement. Alors? "Je ne vais pas faire des hypothèses, ni rappeler ce que vous savez déjà." Ses yeux s'assombrissent. Le message est clair, inutile d'insister.
Un climat positif, jusqu'à ce que...
Depuis le début de la législature, le gouvernement de la FWB a eu peu d’épisodes difficiles. Certains compromis ont été plus lents à trouver que d’autres, "mais on a toujours pu trouver des accords, car je pense qu'il y a un climat positif au gouvernement qui nous le permet". Jusqu’à aujourd’hui… Que s’est-il passé? "Il y a des dossiers plus compliqués que d’autres sur le fond, reconnait la ministre. On savait que ces habilitations seraient un sujet sensible. Le timing est là, aussi." Comprenez, les élections approchent. "Mais depuis le début de la législature, on a eu d’autres dossiers difficiles. Le deal que l’on a trouvé pour les numéros Inami a été difficile à négocier avec le Fédéral. Mais nous y sommes arrivés, il va permettre de diplômer 250 médecins en plus et offrir une sécurité aux étudiants qui sont dans le cursus. Je n'ai pas obtenu cela seule, on a travaillé tous ensemble, c'est important de le rappeler. Avec Bénédicte Linard et Frédéric Daerden. Et j'en suis fière."
"On savait que ces habilitations seraient un sujet sensible. Le timing est là, aussi."
Justement, ne faudrait-il pas aller plus loin afin de répondre aux problèmes de pénurie de médecins? "Il faut d’abord voir l’impact que cela aura. On a fait quelque chose d’inédit. On peut objectiver clairement, en équivalents temps plein, la force de travail dont on a besoin dans les filières médicales. La prise en compte de nos besoins sera automatique. Et cela, c’est tout à fait neuf, et c’est un acquis fondamental de cette législature." Mais, rappelle la ministre en justifiant le choix de l’examen d’entrée, nos établissements ne pourraient pas former dans de bonnes conditions les 6.000 étudiants qui se présentent. Il en va de la qualité des apprentissages et de l’encadrement des stages.
L'offre médicale en FWB, comment y répondre?
Cela suffira-t-il pour répondre aux problèmes de l’offre médicale en Wallonie? "On peut toujours imaginer travailler sur d’autres choses. J’ai préconisé de travailler avec les régions et les communes sur les incitants à l’installation dans les zones en pénurie. C’est fondamental. Il existe des expériences pour réunir plusieurs médecins en un même lieu, répartir la charge de travail avec un assistant administratif, un infirmier, un kiné, garantir aux médecins une qualité de vie et un équilibre entre vie privée et professionnelle. C’est ça l’avenir. Et c’est un projet qui doit s’articuler avec le Fédéral, la région et la FWB. J’ai aussi proposé qu’on travaille sur des incitants pour les stagiaires, des montants sont déjà prévus au Fédéral.
Mais il n’est pas juste de penser que le problème de pénurie se règle uniquement sous l’angle de la formation. On peut former 100 fois plus de médecins, s’ils s’installent tous à Uccle plutôt qu’Anderlecht, on n'aura rien résolu. C’est capital d’expliquer cela. C’est compliqué, j’en ai conscience, il y a beaucoup d’émotions dans ce dossier, mais il faut trouver la bonne solution à ce vrai problème", conclut Glatigny, en clôturant fermement le dossier polémique.
Accessibilité aux études en question
Si le dossier des habilitations dans l’enseignement supérieur secoue pas mal le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est aussi parce qu’il touche à la question de l’accessibilité aux études supérieures. Pas seulement pour les étudiants en médecine, mais pour l’ensemble des filières. Une question qui taraude aussi Valérie Glatigny. "On sait que 90% des diplômés de l’enseignement supérieur ont un emploi. Je suis libérale, oui, et être libéral, c’est vouloir être libre, poursuit-elle. Mais pour l’être, il faut les conditions pour pouvoir se développer, pour être autonome, pour pouvoir avoir un job. L’accessibilité aux études supérieures, c’est donc fondamental pour moi. Et c’est pour cela qu’on a revu le système des allocations d’études, notamment pour étendre le champ des bénéficiaires, portant leur budget total à près de 100 millions d’euros, ou encore augmenté les subsides sociaux et décidé du gel du minerval dans les universités et hautes écoles."
"On travaille sur la possibilité d’augmenter le montant pour les koteurs. On sait que beaucoup d’étudiants sont décentrés par rapport à leur université."
L’accord de gouvernement prévoyait aussi de travailler sur les montants de l’allocation d’étude. Seule la moitié du chemin est fait. Où en est-on pour le reste? "On travaille sur la possibilité d’augmenter le montant pour les koteurs. On sait que beaucoup d’étudiants sont décentrés par rapport à leur université. L’idée serait d’augmenter le différentiel de 2.000 euros qui existe déjà entre celui qui kote et celui qui ne kote pas. On a des discussions au sein du gouvernement, mais ce n’est pas encore abouti."
"Ce qui me hante, c’est la baisse du taux d’encadrement"
Les aides atteignent pourtant leurs limites dans un contexte budgétaire difficile. Les universités ont aussi été refinancées bien plus que ce qui avait été prévu en début de législature. On arrive à 70 millions d’euros récurrents cette année, et 80 millions pour l’an prochain, alors qu’on ne parlait que de 50 millions il y a quatre ans. Mais on reste limité par l’enveloppe fermée qui sous-tend le principe du financement des unifs. Faudra-t-il sortir de cette logique, aller chercher l’argent dans les régions, voire régionaliser l’enseignement supérieur? Habilement – et prudemment – Valérie Glatigny cadre le propos dans l’ici et maintenant. "La question est légitime. Mais ce qui me hante comme ministre de l’Enseignement supérieur, c’est la baisse du taux d’encadrement sur 20 ans. De plus en plus d’étudiants arrivent dans le supérieur, et cette démocratisation est une très bonne chose, j’insiste. Mais c’est aussi un défi budgétaire. On est en train d'arrêter la tendance et l’inverser."
Renforcer l’encadrement, c’est évidemment avoir davantage de professeurs. Combien en faudrait-il? "C’est très compliqué de répondre à cette question vu la diversité des établissements. La réponse sera différente pour une faculté de droit avec 400 étudiants dans l’auditoire, pour une haute école avec vingt à trente étudiants par classe, ou encore pour la promotion sociale qui a 5 apprenants adultes." L’équation n’est pourtant pas près de se résoudre. Car l’enseignement supérieur, constate Valérie Glatigny, attire un public de plus en plus diversifié, avec notamment de plus en plus d’adultes ayant raté le train de la formation, et qui s’y raccrochent en jour. "Dans les 55 autres habilitations demandées par les établissements, il y a d’ailleurs des propositions de masters en alternance, dit-elle. C’est très heureux de voir cette société de l’apprentissage tout au long de la vie se développer, mais c’est aussi un grand défi pour l’enseignement supérieur."
La voie peu connue de la "promosoc"
L’enseignement de promotion sociale s’inscrit d’ailleurs dans cette veine, mais reste une voie encore peu connue. Valérie Glatigny en a aussi la tutelle. On parle de 140.000 apprenants, (contre 230.000 étudiants dans le supérieur de plein exercice), 150 établissements, 3.200 formations. "Un outil formidable pour remettre les adultes à l’emploi, commente Glatigny. Mais c’est vrai qu’il souffre d’un déficit de visibilité, alors qu’il permet de valider rapidement les compétences et remettre les gens peu qualifiés à l’emploi. "On travaille donc sur des pistes pour mieux valoriser ce pan de l’enseignement, et développer encore davantage des conventions avec les secteurs professionnels." L’autre avantage de la promotion sociale, c’est la flexibilité qu’elle offre pour les travailleurs qui souhaitent se former davantage. D’autant plus depuis la crise covid. "L’enseignement à distance y a été une expérience très positive. On nous a demandé de pérenniser l’hybridation, car elle répond à une demande d’un public adulte qui a des obligations professionnelles. Elle permettrait de se connecter le soir, mais aussi en journée, pendant son temps de midi, et avoir accès aux cours numérisés. C’est une piste sur laquelle on travaille."
Le bon choix d’orientation, primordial pour réussir
Cette crise covid, justement, n’a pas aidé à relever le niveau de réussite des étudiants du supérieur. Les échecs restent fréquents en première Bac. "C’est un élément inquiétant, confirme Glatigny. Il existe toute une panoplie d’aides à la réussite, on a mis 100 millions d’euros sur la table. Encore faut-il que ce soit les étudiants qui en aient besoin qui y aient recours. On a travaillé là-dessus dans la réforme du décret paysage, les étudiants ayant réussi moins de 30 crédits doivent obligatoirement s’inscrire aux activités de remédiation."
"Il faut aussi faire passer le message aux étudiants qu’on peut avoir fait un mauvais choix, mais que ce n’est pas pénalisant. On peut se réorienter. C’est pour cela que dans le nouveau parcours de l’étudiant, il y a une 6e année ‘joker’." La réussite, pointe-t-on à la ministre, passe aussi par une bonne orientation des élèves, dès la fin de leur secondaire. Nous sommes en plein mois de mars et les séances d’information et cours ouverts battent leur plein dans les universités et hautes écoles. Certaines filières sont bien plus courues que d’autres. Que faire pour mieux orienter les jeunes? "Il est très difficile de savoir ce que l’on va faire de sa vie quand on a 17-18 ans, dit Glatigny. On voit que les choix sont souvent orientés par les amis et les parents. Pour cette raison, nous avons développé un questionnaire en ligne qui aidera l’étudiant à se renseigner sur toute l’offre de formation qui existe en FWB."
"Il est très difficile de savoir ce que l’on va faire de sa vie quand on a 17-18 ans, dit Glatigny. On voit que les choix sont souvent orientés par les amis et les parents."
Même sur ce sujet, on sent la ministre plutôt sensible. "Je le rappelle, ce formulaire est informatif, volontaire et non contraignant. Au début de mon mandat, on m’avait caricaturé en me prêtant la volonté de dire 'toi tu vas là, toi tu ne peux pas faire ça.' Cet outil, c’est juste l’inverse. Il a pour but de permettre à l’étudiant d’avoir toute la liberté voulue pour s’orienter. Des services d’orientation aideront aussi à interpréter les résultats, de manière à ce qu’ils puissent aller le plus loin possible dans la recherche de leur projet de vie. Tout cela sera opérationnel à la rentrée de septembre."
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