Pologne: l'Etat de droit à la dérive
Le Tribunal constitutionnel polonais, que le gouvernement ultraconservateur cherche à réformer, dénonce en bloc une tentative du parlement de le vider de sa substance. De son côté, le Premier ministre Jaroslaw Kaczynski a déjà fait savoir que la décision du Tribunal lui importait peu.
En Pologne, la saga sur la réforme du Tribunal constitutionnel voulue par le parti ultraconservateur PiS continue d'inquiéter. Cette institutiton majeure a dénoncé ce jeudi la plupart des dispositions controversées d'une nouvelle loi sur son propre fonctionnement, adoptée par le parlement le mois dernier.
"Le Tribunal veille à la séparation des pouvoirs et ne peut pas perdre sa capacité de fonctionner", a insisté Andrzej Wrobel, l'un des juges composant le tribunal.
Une décision que le Premier ministre Jaroslaw Kaczynski ne devrait pas s'empêcher de balayer d'un revers de la main. En effet, l'homme fort du pays avait déjà pris les devants ce mercredi, en annonçant qu'il ne prendrait pas en compte la décision du Tribunal. Selon lui, celle-ci n'a tout simplement pas de "fondement constitutionnel". Il juge également que ses décisions "sont des actes de caractère privé auxquels, en aucun cas, on ne pourrait donner force de loi".
→ Le plan: vider le Tribunal de sa substance
Depuis la montée au pouvoir du parti Droit et Justice (PiS) en automne dernier, le respect de l'Etat de droit en Pologne inquiète.
En poursuivant sa volonté de modifier la nature du régime, le parti du Premier ministre s'est montré particulièrement hostile au pouvoir représenté par le Tribunal constitutionnel, le considérant comme l'un des derniers remparts de l'opposition du pays, risquant de freiner ses réformes conservatrices.
Le 22 juillet dernier, le parlement polonais approuvait un plan de réforme pour l'institution: ce projet impose que trois des quinze juges composant cette instance soient désignés directement par le parlement.
"Le Tribunal veille à la séparation des pouvoirs et ne peut pas perdre sa capacité de fonctionner"
Il cherche aussi à étendre le quorum de juges nécessaires pour une délibération, s'assurant ainsi que les trois juges élus par le parlement aient leur voix au chapitre.
Les dossiers devront également être traités dans l'ordre de réception et non plus par ordre d'importance. Cela garantit au gouvernement que la procédure d'invalidation de lois potentiellement inconstitutionnelles soit sensiblement ralentie.
Enfin, les décisions du Tribunal ne pourront plus être publiées sans l'aval du gouvernement, qui disposera d'un droit de veto. En bref, l'institution sera complètement vidée de sa substance.
→ Une situation qui inquiète à l'étranger
La décision de M. Kaczynski de ne pas respecter l'avis donné aujourd'hui par le Tribunal devrait envoyer un message fort à l'Union européenne.
Le 26 juillet dernier, celle-ci avait mis la Pologne en garde par rapport à ses intentions de réformer l'institution. La Commission avait alors donné trois mois à Varsovie pour revoir les mesures prises à l'égard du Tribunal constitutionnel.
La procédure pourrait aboutir en dernier recours à des sanctions, comme une suspension des droits de vote de la Pologne au sein de l'UE. Mais Varsovie remet en cause la légitimité de la Commission dans ce dossier.
L'Europe n'est pas la seule à se faire du soucis à propos de la dérive autocratique qui se joue actuellement en Pologne: en juillet dernier, le président américain Barack Obama s'était lui aussi dit "inquiet" de la crise politique prolongée autour du Tribunal constitutionnel.
Dans le but manifester leur soutien aux juges du Tribunal, près de 200 personnes se sont rassemblées ce jeudi matin à Varsovie.
La liberté de la presse en détresse
Depuis l'arrivée au pouvoir du parti PiS, la liberté des médias polonais a également été mise à mal. En janvier 2016, le gouvernement fraîchement élu adopte une loi lui permettant de nommer et révoquer lui-même les dirigeants de la télévision et de la radio publique. Selon Reporter Sans Frontières (RSF), une seconde loi serait en préparation et chercherait à mettre fin aux contrats liant ces mêmes médias à tous leurs collaborateurs.
Cette année, le pays a dégringolé au classement de la liberté de la presse tenu par RSF, dont il occupe maintenant la 47ème place. En 2015, il était encore 18ème.
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