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La Chine est-elle occupée à se tirer une balle dans le pied ?

Chief Strategist Edmond de Rothschild

La Chine a beaucoup profité de la mondialisation, mais le vent tourne. Pekin a pris de nombreuses mesures qui pénalisent la croissance du pays et effrayent désormais les investisseurs étrangers. L'économie chinoise connaitrait-elle des ratés ?

Depuis son pic de février 2021, le marché boursier chinois a baissé d'environ 19% et depuis le début de l'année, il est à peine en territoire positif. Cette performance contraste fortement avec celles des marchés développés et des marchés émergents. D'où cette question: ces mauvaises prestations de la Chine sont-elles révélatrices de l'état de son économie ou non ?

Frank Vranken.
Frank Vranken.

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Il ne fait aucun doute que la Chine fait partie, avec les États-Unis et l'Europe, des trois plus grands blocs économiques du monde. Sa taille va encore augmenter et, à mesure que la classe moyenne continue de croître, le passage d'une puissance industrielle à une économie de services se poursuit.

Ce secteur des services est également stimulé par ses champions technologiques nationaux comme Alibaba, Tencent ou JD.com. Mais depuis fin 2020, des nuages s'amoncellent à l'horizon. La débâcle de l'introduction en bourse d'ANT, au cours de laquelle le PDG d'Alibaba, Jack Ma, a été sanctionné par Pékin pour son langage provocateur à l'égard des banques d'État semble être le début d'une nouvelle approche du parti communiste.

Il s'agit de "reprendre le contrôle". Qu'il s'agisse d'Alibaba, de Tencent ou d'autres entreprises disposant de bases de données de clients gigantesques, toutes doivent désormais se plier aux règles de Pékin et les respecter.

Interventionnisme et répression

Evidemment, le contrôle de l'internet, des flux des paiements, l'attitude des consommateurs, tout cela intéresse énormément le parti communiste. L'État a besoin de ces informations s'il veut optimiser son système de crédit social qui évalue le comportement de ses citoyens. Et bien sûr, le respect des règles s'applique également aux chefs d'entreprise les plus riches. Mais à quoi donc pensait Jack Ma ?

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Pékin cherche aussi de cette manière à éviter les agissements qui s'écarteraient des convictions culturelles chinoises classiques. Ainsi, la répression des entreprises d'enseignement privé n'est pas seulement motivée par le souhait de Pékin d'instaurer une plus grande égalité au sein de sa population. Elle permet également de transmettre la bonne doctrine socialiste-marxiste.

Certes, son budget de R&D est en passe de devenir le plus important au monde, mais dans plusieurs domaines, la Chine est en retard sur les États-Unis et parfois même sur l'Europe.

En réalité, l'interventionnisme de Pekin est multiple. Les dirigeants chinois veulent:

  • réduire les inégalités dans la société chinoise et promouvoir la prospérité commune;
  • une classe moyenne plus prospère et en pleine expansion de façon à relancer le taux de fécondité après la tristement célèbre politique de l'enfant unique. Cette politique avait, de fait, entraîné une baisse de la population active et donc de la croissance potentielle du PIB.
  • mettre fin aux transactions immobilières spéculatives qui ont fait grimper les prix de l'immobilier;
  • réduire le niveau des émissions de CO2;
  • éradiquer toute résurgence du covid. Ils le font de manière très directe et très sévère comme l'a encore démontré la fermeture d'un de ses principaux ports après la découverte d'un seul cas de contamination.

L'Allemagne en exemple

Toutes ces mesures ont évidemment eu un impact sur la croissance et ont effrayé les investisseurs étrangers. Plus important encore, on peut se demander si elles ne risquent pas d'avoir un impact structurel sur l'innovation future.

La Chine a souvent pris l'Allemagne comme exemple dans la mesure où cette dernière exporte des produits haut de gamme et importe des produits de base plus bas de gamme.

La Chine a manifesté sa volonté de devenir une force innovante à l'avant-garde des développements technologiques. Son programme "Made in China 2025" vise à élever le statut du pays du rang de fabricant bas de gamme à celui de producteur de biens haut de gamme. A cet égard, la Chine a souvent pris l'Allemagne comme exemple dans la mesure où cette dernière exporte des produits haut de gamme et importe des produits de base plus bas de gamme.

La question est toutefois de savoir si la Chine dispose des connaissances suffisantes pour se positionner à la pointe de l'innovation. Certes, son budget de R&D est en passe de devenir le plus important au monde, mais dans plusieurs domaines, la République populaire est en retard sur les États-Unis et parfois même sur l'Europe.

Le meilleur exemple est celui des semi-conducteurs ou des puces. Ces composants sont omniprésents dans les processus de production et sont constamment améliorés. Mais les plus grands producteurs et développeurs se trouvent soit à Taïwan, soit aux États-Unis, soit en Europe.

"La politique de Xi Jinping pourrait coûter cher à l'avenir."

La Chine peut-elle développer ces compétences sur son territoire tout en réprimant ses champions technologiques nationaux ? Un pays communiste dirigé par l'État peut-il encourager les développements innovants de telle manière à ce que ses entrepreneurs nationaux dépassent leurs homologues présents dans l'hémisphère capitaliste occidental ?

"Reprendre le contrôle" aura un coût

La Chine a beaucoup profité de la mondialisation, mais le vent tourne. Un récent sondage a montré que les entreprises occidentales hésitent de plus en plus de s'installer à Hong Kong à cause de la nouvelle réglementation imposée par Pékin. En raison des problèmes de chaîne d'approvisionnement créés par covid-19, de plus en plus d'entreprises cherchent à délocaliser leurs activités dans leur pays. En outre, la main-d'œuvre chinoise n'est plus bon marché. Et les États-Unis sont devenus très prudents dans leurs relations commerciales avec la Chine.

Dans un tel contexte, les interventions musclées de Pékin dans le secteur des entreprises entraînent une fuite des capitaux internationaux du pays et assombrissent les perspectives de gains de productivité futurs. Le résultat est que la politique de Xi Jinping pourrait coûter cher à l'avenir. « Reprendre le contrôle » ne se fera pas gratuitement mais aura un coût. Et il semble bien qu'en agissant ainsi la Chine se tire une balle dans le pied.

Frank Vranken
Chief Strategist Edmond de Rothschild (Europe)

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