Édito | Rester Charlie
Dix ans après l'attentat perpétré contre Charlie Hebdo, la liberté d’expression est plus que jamais un combat. La défendre est notre responsabilité collective.
"Tous des Charlie". C’est par ces trois mots que L’Echo avait titré sa Une du 8 janvier 2015, sur le massacre perpétré la veille par deux terroristes qui prétendaient venger leur prophète pour des dessins. Qu'on aime ou qu'on déteste Charlie Hebdo, "être Charlie" était l’évidence pour toute personne attachée à la liberté d’expression: quand des kalachnikovs détruisent des crayons, la seule réponse qui vaille est de se mettre du côté des crayons. Dans ces circonstances, toute circonvolution, tout "mais", revient à céder du terrain aux fanatiques.
Dix ans après, l’hebdomadaire satirique est toujours debout, et continue d’exercer sa liberté d’expression – qui est aussi la liberté de heurter toutes les sensibilités, et qui conditionne toutes les autres. Grâce au courage des survivants, et grâce à la protection de l’État français. Il est toujours debout, mais il a perdu à jamais la légèreté de ses fondateurs. L’humour vache, l’irrévérence de grands enfants mal élevés raillant toutes les institutions et tous les dogmes ne peut plus se draper d'une joyeuse insouciance quand ceux qui tiennent toujours le flambeau de Cabu et Wolinski doivent se terrer dans un bunker et passer leur vie sous surveillance.
Face au grand retour de l'obscurantisme, être et rester Charlie est un combat qu’il faut plus que jamais mener collectivement – le zèle ne peut rester du côté des fanatiques.
Du zèle face aux fanatiques
C’est le prix à payer, au premier quart du XXIe siècle, pour continuer d’exercer un droit qui conditionne tous les autres: la liberté de se moquer de tout, y compris des religions, y compris de Mahomet. Avant l'attentat de Charlie Hebdo, il fallait remonter deux siècles et demi en arrière pour retrouver une personne exécutée pour blasphème au pays des Lumières. Et la situation ne s'est pas améliorée depuis. Un professeur, Samuel Paty, est mort du même obscurantisme pour avoir enseigné l’esprit critique en montrant en classe des caricatures. Avant lui, une adolescente, Mila, avait fait l’objet de dizaines de milliers de menaces de mort pour avoir dit le mal qu’elle pensait d’une religion. Et après lui, l'écrivain Salman Rushdie a survécu de justesse à une attaque au couteau perpétrée au nom d'un prétendu crime de lèse-religion.
Il y a deux façons de répondre à ce fanatisme. L'auto-censure: se résigner à laisser rogner un morceau, puis un autre, de notre liberté d'expression – mais jusqu'où? Ou "être Charlie": utiliser et défendre la liberté d'expression, le libre examen, l'esprit critique. Ce qui implique de lutter contre l'intolérance en général, car le fanatisme djihadiste n’est qu'une partie très visible du torrent d'intolérance religieuse, philosophique, politique qui s’exprime avec véhémence sur les réseaux sociaux, et qui est souvent alimenté par des acteurs dont l’intérêt particulier est de polariser, donc de museler la pensée critique.
L’intérêt général, notre intérêt, est de cultiver la liberté et la tolérance, indispensables pour faire société en démocratie. Face au grand retour de l'obscurantisme, être et rester Charlie est un combat qu’il faut plus que jamais mener collectivement – le zèle ne peut rester du côté des fanatiques.
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