Berlin, capitale du chaos, s'apprête à revoter
Les électeurs berlinois sont appelés aux urnes le 12 février. Un test important pour la capitale allemande, souvent la risée du pays, alors que les dernières élections ont été un fiasco.
Les électeurs berlinois se rendront aux urnes le 12 février afin de réélire 130 députés. Y parviendront-ils? Rien n'est moins sûr, alors que les élections précédentes, en 2021, se sont soldées par une annulation, la faute à une organisation déficiente... Un symbole pour une ville souvent décriée. "Berlin, pauvre mais sexy"… C’est ainsi que l’ancien maire, Klaus Wowereit, décrivait sa ville, en 2003.
Le slogan colle depuis à la peau des Berlinois, réputés pour leur humour pince-sans-rire qu’on retrouve jusque sur les cartes postales vendues dans les magasins de souvenirs. Comme ce portrait en noir et blanc de l’ancien chef d’État de la RDA, Walter Ulbricht, assurant "personne n’a l’intention d’ouvrir un aéroport!", une double allusion au planning catastrophique de la construction du nouvel aéroport international BER, qui avait fait de Berlin la risée de l’Allemagne, et à l’enfermement des citoyens pendant les quarante années de la dictature communiste. Ou encore ce slogan au sujet du réseau local de trains rapides, le S.Bahn réputé pour ses pannes à répétition: "Les quatre principaux ennemis du S.Bahn: le printemps, l’été, l’automne, l’hiver", assure une autre carte-postale.
"Berlin est malheureusement en train de devenir une ville chaotique, à commencer par la politique, qui ne peut ni organiser des élections ni garantir la sécurité de ses citoyens"
"Berlin est malheureusement en train de devenir une ville chaotique, à commencer par la politique, qui ne peut ni organiser des élections ni garantir la sécurité de ses citoyens", tranchait en janvier le ministre-président de la très conservatrice Bavière, Markus Söder. "Qui parle d’une ville chaotique a sans doute en tête la discipline de fer qui régnait dans le nord de l’Allemagne du temps de la Prusse et du nazisme, s’amuse le politologue Gero Neugebauer, de l’Université Libre de Berlin. Si Berlin est chaotique, c’est surtout lié à la double structure administrative et politique de la ville, puisque Berlin est à la fois un Land, doté d’un gouvernement régional, et une commune comptant douze arrondissements avec chacun son propre conseil municipal."
Dysfonctionnements sans fin
Les écoles, le bâtiment et la construction douloureusement nécessaire de nouveaux logements, mais aussi l’organisation des élections ont souffert de cette double pyramide administrative. La liste des dysfonctionnements semble sans fin. À Berlin, il faut attendre des semaines, voire des mois pour obtenir un rendez-vous afin de renouveler son passeport, immatriculer sa voiture, ou obtenir un acte de naissance pour ses enfants. À l’automne, le compteur annonçait un embouteillage de 250.000 demandes de rendez-vous en souffrance. Dans nombre d’écoles, les seaux en plastique ont fait leur apparition dans les salles de classe, pour récolter l’eau qui fuit du toit, lors de fortes pluies. Inutile de parler de l’équipement prévu des élèves en tablettes. Et plus de la moitié des enseignants recrutés au cours des dernières années pour faire face à la pénurie en professeurs n’ont pas les diplômes nécessaires.
À l’aéroport BER, qui a enfin ouvert avec neuf ans de retard, les compagnies aériennes demandaient aux passagers, à la veille de Noël, d’arriver 240 minutes à l’avance! Trop de familles avaient raté leur vol lors des vacances d’automne, à cause de queues phénoménales au contrôle de sécurité, faute de personnel. Dans cette longue liste de litanies les élections du 21 septembre font figure de cerise sur le gâteau.
Élections à risque
"Personne n'a assumé la responsabilité de cette défaillance unique de l'État, ni même tiré de conséquences personnelles."
Petit retour en arrière. Lorsqu’il s’agit de fixer la date des élections régionales et municipales de Berlin, l’équipe alors au pouvoir opte pour le 21 septembre 2021, la date des élections législatives, qui a aussi été retenue pour l’organisation du marathon de la ville, un évènement monstre qui attire chaque année des centaines de milliers de visiteurs. Ce jour-là, les Berlinois doivent élire leurs députés du Bundestag, voter pour le parlement régional de Berlin, élire leurs conseillers municipaux d’arrondissement et se prononcer pour ou contre l’expropriation des gros bailleurs dans le cadre d’un référendum contesté.
L’étude des bulletins de vote – longs chacun d’une trentaine de centimètres – est un défi pour bien des électeurs âgés. Les queues s’allongent devant les bureaux de vote. Rapidement, les bulletins manquent dans certains bureaux du centre-ville, qu’on ne peut réapprovisionner, les routes ayant été coupées pour le marathon. D’autres ont reçu la liste des candidats d’un autre arrondissement. Certains électeurs ne peuvent déposer leur bulletin dans l’urne qu’après la fermeture officielle des bureaux et la publication des premiers résultats, à 18h. Le sénateur de l’Intérieur de la ville doit finalement admettre de graves irrégularités dans 208 des quelque 2.200 bureaux de vote.
Et que se passe-t-il? "Rien!", s’étonne le commentateur du quotidien suisse Neue Zürcher Zeitung, stupéfait face à l’indolence de la classe politique locale. "Personne n'a assumé la responsabilité de cette défaillance unique de l'État, ni même tiré de conséquences personnelles, et surtout pas le sénateur de l'Intérieur de l'époque. Au contraire, il a même été promu, à sa demande, sénateur chargé du Développement urbain, de la Construction et du Logement."
Le poids de la Guerre froide
Ancien bastion industriel, Berlin ne s’est jamais remise de la Seconde Guerre mondiale et de sa partition. Les gros employeurs quittent la ville au début de la Guerre froide, comme Siemens qui part pour Munich, ou la Deutsche Bank qui fuit à Francfort, future capitale financière de l’Allemagne. La partie ouest de la ville, isolée au milieu de la RDA, ne survit entre 1945 et 1989 que sous perfusion financière de Bonn et de la RFA: les Berlinois de l’Ouest bénéficient d’une ristourne d’impôt de 8%, les entreprises qui produisent sur place sont subventionnées.
"Berlin forme sur la carte de l’Allemagne une grande tache au milieu de nulle part."
Le système prend fin brusquement après la Réunification. Mais il a subsisté une "mentalité d’assistanat", estime l’historien Klaus-Peter Sick, chercheur au centre Marc Bloch. Relativement peu peuplée par rapport à d’autres capitales européennes telles que Paris ou Londres, Berlin (3,3 millions d’habitants), dépourvue d’hinterland, "forme sur la carte de l’Allemagne une grande tache au milieu de nulle part", insiste l’historien. D’où sa pauvreté relative. Le surendettement – 73 milliards d’euros de dettes – limite les capacités d’investissement, un cercle vicieux qui ne fait qu’aggraver les difficultés, les sous-effectifs de l’administration, de la police, de l’éducation ou de la santé. Il en faudrait plus pour priver les habitants de leur humour. La liste des cartes postales "Berlin, nous savons tout faire sauf…" s’est allongée ces derniers temps de la mention "jouer au foot", allusion aux performances dramatiques du club local, le Hertha BSC.
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