La Russie, une forteresse prête à absorber la Biélorussie
La crise entre l'UE et la Biélorussie a uni les Européens derrière de nouvelles sanctions. Mais elle pourrait profiter à la Russie, soucieuse d'accroître son emprise sur les anciennes républiques soviétiques.
Confronté à une révolte pacifique depuis sa réélection en août 2020, le président biélorusse Alexandre Loukachenko a maté les opposants dans la violence durant six mois, sous les yeux d'une Europe impuissante. Une répression méthodique, facilitée par l’appui du grand frère russe. Le dernier dictateur d’Europe s’est-il cru à l'abri au point d’envoyer un MIG-29 armé détourner un avion Ryanair, pour en extraire un opposant, sans crainte de représailles?
Cet "acte de terrorisme", comme l’ont qualifié les dirigeants européens, a été suivi par l’engagement d’un blocus aérien immédiat sur la Biélorussie et la préparation de nouvelles sanctions. Une réaction rapide et unie des Européens, qui exigent aussi la libération des 400 prisonniers politiques.
Ces sanctions sont justifiées, en raison des violations des droits humains et de la barbarie du régime biélorusse. Mais cette crise pourrait rapprocher encore plus Loukachenko de la Russie, et tourner au profit du Kremlin si les forces démocratiques biélorusses ne prennent pas le dessus. Une aubaine pour le président russe Vladimir Poutine, en perte de vitesse dans les sondages alors que les législatives de septembre approchent.
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La doctrine Primakov
Pour comprendre l'enjeu de cette crise, il faut relire la doctrine Primakov à l’aune de son plus zélé serviteur, Vladimir Poutine. En 1995, Yevgeny Primakov, ex-membre du KGB et ministre russe des Affaires étrangères, a remis sur la table la nécessité d’une grande Russie jouant un rôle international et ne suivant plus les États-Unis.
"Tout a basculé à la grande conférence de Munich en 2007, où Poutine a annoncé que c’en était fini d’un monde unipolaire dirigé par les États-Unis."
Poutine n’a jamais digéré l’effondrement de l’URSS, un drame qu’il vécut dans sa chair lors de la chute du mur de Berlin en 1989, alors qu’il officiait comme agent du KGB dans la capitale allemande. Onze ans plus tard, quand il accède à la présidence, il lance une stratégie de reconquête.
La reconquête
Peu à peu, les relations entre la Russie et l'UE se dégradent. "Tout a basculé à la Conférence de Munich en 2007, où Poutine a annoncé que c’en était fini d’un monde unipolaire dirigé par les États-Unis", dit Marc Franco, senior associate fellow à l’Institut Egmont.
Cette stratégie s’est traduite par la reprise en main progressive d’anciens satellites de l’URSS, où vit une population russophone majoritaire.
En 2008, après une guerre éclair, l’armée russe prend le contrôle de l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie, des territoires revendiqués par la Géorgie. L'Europe proteste, mais le point de rupture arrive plus tard.
En 2014, l’Ukraine signe un accord d’association avec l’UE. Se sentant menacée par l'expansion des démocraties européennes, la Russie annexe la Crimée, alors ukrainienne, et provoque un conflit dans la région du Donbass (est de l’Ukraine) en soutenant des séparatistes pro-russes. En réponse, l’UE prend des sanctions économiques.
"Le régime biélorusse est un régime criminel, il a torturé des milliers de gens et les sanctions sont méritées."
La même année, la Transnistrie, un état indépendant de fait, séparé de la Moldavie, décide d’intégrer la Fédération de Russie.
La prochaine étape pourrait être l’unification de la Russie avec la Biélorussie. "Le régime biélorusse est un régime criminel, il a torturé des milliers de gens et les sanctions sont méritées", estime Marc Franco, "mais Loukachenko va se rapprocher de Poutine et l’union risque de se faire".
La forteresse Russie
Tout en renforçant ses frontières, la Russie s'est dotée d'une économie résiliente, grâce au pétrole et au gaz. En réaction aux sanctions, elle a renforcé son autarcie en développant sa propre agriculture. Sa dette extérieure est faible. "Ces dernières années, la Russie a renforcé son autosuffisance et s’est organisée comme une forteresse", dit Marc Franco.
Mais la taille de l’économie russe est modeste, comparable à celle du Benelux. De plus, le contrat social de Poutine avec les Russes s’est affaibli en raison d’un niveau de vie très bas.
Pour détourner la gronde populaire et flatter le sentiment nationaliste, le président russe a renforcé son action internationale. Il s’est imposé comme faiseur de paix en Syrie et au Haut-Karabakh, appuyé par son armée et les services de renseignements, le FSB, une organisation à l’allure de plus en plus multinationale.
Là où l'Europe se désinvestit, la Russie s’engouffre, quitte à utiliser Wagner, son groupe militaire privé, comme en Centrafrique où elle a remplacé la France.
Stratégie de déstabilisation
La Russie s’est aussi lancée dans une "guerre hybride" contre l’Europe. Le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) décrit un processus de déstabilisation de l’UE mené par des cyber-attaques et des campagnes de désinformation, via de médias pro-russes et de faux comptes sur les réseaux sociaux.
Cette stratégie inclut aussi le financement de partis populistes europhobes, de l’extrême gauche à l’extrême droite, comme le FPÖ autrichien ou le RN français.
"Poutine poursuit une stratégie d’affaiblissement de l’UE, parce que c’est pour lui un empêcheur de tourner en rond", résume Marc Franco, "en même temps, il veut de bonnes relations avec certains États européens, comme la France, l’Allemagne, l’Italie, indispensables pour l’économie".
"Tout se décidera lors du sommet entre Joe Biden et Vladimir Poutine prévu le 16 juin. L’Europe ne décidera rien avant cette rencontre."
Cette double approche paralyse les Européens, tiraillés entre de nouvelles sanctions contre Moscou et la poursuite des affaires, comme le projet de gazoduc russo-allemand NordStream 2.
L’UE a mandaté le chef de la diplomatie, Josep Borrell, pour définir sa stratégie future avec la Russie. Mais cela pourrait prendre des mois. En attendant, elle en reste à la doctrine des cinq principes directeurs adoptée en 2016, prônant à la fois la défiance et la relance des relations.
La suite dépendra des États-Unis et de son président, Joe Biden, résolu à rompre avec la politique isolationniste de Donald Trump. "Tout se décidera lors du sommet entre Joe Biden et Vladimir Poutine prévu le 16 juin. L’Europe ne décidera rien avant cette rencontre", conclut Marc Franco.
Le résumé
- Le détournement d'un avion Ryanair sur ordre du président biélorusse Alexandre Loukachenko a remis au devant de la scène la Biélorussie, désormais sanctionnée et isolée par l'Europe. La crise pourrait profiter à la Russie, qui ambitionne d'intégrer cette ancienne république soviétique.
- Depuis son accession au pouvoir, Vladimir Poutine applique la doctrine Primakov de la "grande Russie". Les relations entre la Russie et l'Europe se sont dégradées, au fur et à mesure que la Russie s'organisait en forteresse.
- L'UE, tiraillée, a du mal à définir sa stratégie avec la Russie. La crise avec la Biélorussie a raffermi son unité, mais il faudra attendre le résultat du sommet entre Poutine et Biden pour connaître la suite.
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