Putilo coordonne la révolte biélorusse depuis son smartphone
Le patron de Nexta, Stephan Putilo, était mercredi à Bruxelles pour recevoir le prix Sakharov. Son journal en ligne, avec plus de deux millions d'abonnés, est le principal média de l'opposition biélorusse. L'Echo l'a rencontré.
À la tête du journal en ligne Nexta, Stephan Putilo fait trembler le dernier dictateur d'Europe, Alexandre Loukachenko. Nexta, diffusé sur la messagerie russe indépendante Telegram compte plus de deux millions d’abonnés et informe les Biélorusses sur la révolte. Ses vidéos sur YouTube sont vues en moyenne par 500.000 personnes. Une prouesse, pour ce jeune biélorusse de 22 ans, qui travaille depuis son PC et son smartphone. Récemment, il a été classé par Politico comme l'une des personnes les plus influentes d'Europe.
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Traqué par le régime, placé sur une liste de terroristes par le KGB, il s'est réfugié en Pologne. Ses interviews sont rares.
Que représente pour le vous le prix Sakharov?
C’est une consécration internationale, pour moi et mon équipe, après la reconnaissance nationale. Une des raisons de ma venue à Bruxelles est aussi d'obtenir les aides financières européennes promises. Pour l'instant, je ne me finance que par "crowdfunding".
Pourquoi avez-vous choisi YouTube et Telegram?
Ces deux plateformes sont vitales pour la révolte biélorusse, car le gouvernement biélorusse traque toute personne contre lui, surtout les journalistes. Des dossiers criminels sont ouverts. On nous emprisonne. On nous torture. YouTube et Telegram échappent au contrôle des autorités, en particulier Telegram, qui est doté d’une clé VPN et d’un serveur proxy. Cela permet aussi de garder l’anonymat.
Vous pratiquez un journalisme en faveur de la révolte. Est-ce éthique?
Les règles journalistiques ne fonctionnent pas pendant une guerre. Le gouvernement biélorusse empêche le travail des médias, et il est impossible de se faire une opinion ou d'obtenir des informations objectives. Les gens nous envoient les infos de toute part, nous avons des centaines de milliers de journalistes. Nous sommes en plein XXIe siècle. Quand la guerre sera finie, nous reviendrons aux règles de neutralité. Nous respecterons les règles journalistiques, et celles du nouveau journalisme, le journalisme du 21e siècle. Nous trouverons et combinerons de nouveaux formats, des formats créatifs, qui seront basés sur la participation des gens.
Vous êtes menacés par le régime de Loukachenko?
Nous subissons des pressions psychologiques constantes. Je fais l'objet de plusieurs poursuites judiciaires pour crime, terrorisme. Mais c'est plus une faiblesse du régime qu'une menace. Et ici, je suis protégé par les autorités polonaises.
Pensez-vous que Moscou soutiendra encore longtemps Loukachenko?
Le Kremlin est mécontent de la politique de Loukachenko. Les chaînes russes diffusent des commentaires désagréables à son propos. Il est de moins en moins soutenu. Comme la Biélorussie n'a toujours pas reçu le prêt de 1,5 milliard promis par la Russie, les économies de Loukachenko s'épuisent rapidement. Depuis le début de l'année, les réserves d'or et de devises ont diminué de 30%. Il utilise cet argent pour nourrir sa police. Tant qu’il pourra compter sur ces économies, il le fera. Une fois celles-ci épuisées, il commencera à retirer l'argent des usines, ou il commencera à imprimer l'argent ce qui provoquera immédiatement une inflation, et plus tard au défaut complet. Le régime tombera de lui-même, étant donné que système économique sera ruiné.
Pensez-vous qu'Alexandre Loukachenko et ses partisans relèvent de la Cour pénale internationale?
Ils doivent être jugés. Sans aucun doute. Il devrait s'agir d'un procès équitable, et non du type de procès que le régime expédie actuellement lorsqu'une personne est mise en examen en deux minutes. Si Loukachenko est poursuivi devant le tribunal international de La Haye, ce sera une victoire incroyable. Mais les chances sont assez faibles, car il ne se soumettra jamais à un ordre de détention. Quant aux partisans du régime, ils ne pourront pas s'échapper du pays. Ils seront interdits de voyage, et des procès équitables seront menés contre eux.
Comment voyez-vous l'avenir de la Biélorussie?
Je vois une nation unie. Une nation qui a traversé des difficultés ... et comme nous le savons, les difficultés nous rendent plus forts. Ce sera, à coup sûr, un exemple pour de nombreux autres pays de nation non violente et pacifique, qui mène et réussit ses changements. Les Biélorusses s’organiseront encore mieux après cette révolte, et ils se rendront compte qu'ils n'ont pas besoin de ce régime. Par exemple aujourd’hui, ils organisent eux-mêmes leur approvisionnement en eau quand les autorités coupent la distribution. Une des caractéristiques spécifiques de la révolution biélorusse restera aussi dans l'histoire, le symbole des femmes, des fleurs et d’une résistance pacifique.
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