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interview

Jean-Paul Philippot et Baptiste Erkes (RTBF): "On ne définit pas un média public comme étant ce que le privé ne fait pas"

Jean-Paul Philippot, administrateur général de la RTBF, et Baptiste Erkes, président du conseil d'administration. ©ANTONIN WEBER / HANS LUCAS

La RTBF s'apprête à négocier avec son autorité de tutelle, la Fédération Wallonie-Bruxelles, son nouveau contrat de gestion. Son patron, Jean-Paul Philippot, et son président du CA, Baptiste Erkes, décryptent les enjeux de ce grand pow-wow qui doit débuter au Parlement.

La semaine prochaine débutent au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles les auditions des parties prenantes de la RTBF dans le cadre de son futur contrat de gestion 2023-2027. Direction de la RTBF, producteurs, secteur culturel, syndicats, etc. pourront expliquer ce qu’ils attendent du service audiovisuel public.

Sur base de ces auditions, le Parlement va émettre des recommandations et, à la rentrée de septembre, commenceront les discussions avec le gouvernement. L’administrateur général Jean-Paul Philippot et le président du conseil d’administration Baptiste Erkes (Ecolo) dressent les enjeux des négociations.    

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Comment abordez-vous ce long processus?

Baptiste Erkes - Le contexte est multiple. Le paysage audiovisuel francophone est en plein bouleversement. À l’international, les Gafan redéfinissent la consommation des médias. Et puis, il y a un contexte d’essoufflement de la démocratie où on voit que dans de nombreux pays européens les médias de service public sont remis en question, comme en France où les candidats d’extrême droite à l’élection présidentielle voulaient les privatiser. Dans ce cadre-là, le gouvernement a donné un signal fort dans sa note d’intention préliminaire au contrat de gestion qui est de maintenir le service public comme média de référence et de lui donner les moyens pour ce faire.

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Jean-Paul Philippot - Un média de service public a ses propres caractéristiques: un lien de confiance fort, une notion d’universalité, un rôle de créateur et de soutien aux créateurs locaux. La RTBF, c’est un outil sociétal. C’est notre rôle d’être universel et de porter le débat sur toutes les plateformes. Dans le contexte culturel qui est le nôtre, des services comme Netflix investissent certes des milliards, mais dans des formats très stéréotypés et très minoritairement locaux, alors que chez nous, 72% de ce que nous diffusons est européen et local. C’est un investissement dans la culture locale et by the way dans l’économie locale. Un euro de dotation pour la RTBF, c’est 2,7 euros pour l’économie belge.

"On va parler de nos priorités, des moyens financiers pour les réaliser. Ce débat ne se fera pas en fonction d’un concurrent (...)."

Jean-Paul Philippot
Administrateur général de la RTBF

La reprise de votre principal concurrent RTL par Rossel et DPG Media change-t-elle la donne dans les futures négociations?

JPP - Avec le gouvernement, on va parler de nos missions de service public, de notre contribution sociétale, culturelle, économique, créative. On va parler de nos priorités, des moyens financiers pour les réaliser. Ce débat ne se fera pas en fonction d’un concurrent quel qu’il soit, mais par rapport à notre ADN.

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Mais le paysage a complètement changé. Il faut en tenir compte, non?

JPP - Effectivement. On se retrouve, pour la première fois depuis l’INR, avec un acteur national – DPG-Rossel. À côté, il y a un autre acteur multimédia, IPM, qui s’est lancé dans la télévision avec la reprise de LN24. Et puis, il y a Orange qui a repris le réseau VOO mais aussi BeTV. Mais cela ne doit pas pour autant modifier notre stratégie éditoriale. Cela doit plutôt accélérer notre évolution numérique. 

Vous ne vous êtes pas encore exprimé sur ce deal RTL. Quelle est votre analyse?

JPP - Permettez-moi d’être un tantinet ironique. En lisant le rapport de l’auditeur de l’ABC, je conclus que ce sont deux marchés distincts, qu’il n’y a aucun problème, qu’il ne faut pas s’inquiéter et qu’il ne faut pas modifier notre stratégie commerciale. Je pense pourtant qu’il y a réellement des bouleversements en cours dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences. Cela mettra plusieurs années.  

"Auvio ne doit pas être 'la' plateforme locale, mais une plateforme indispensable aux Belges francophones, ouverte à des tiers, avec des contenus qui cultivent cet ancrage local (...)."

Jean-Paul Philippot

Ils vont peser d’un poids considérable sur le marché publicitaire et vont, sans doute, demander des moyens financiers pour la production, notamment des séries… C’est cela que vous pointez?

JPP - Des aides, oui, c’est légitime, mais à condition que RTL redevienne belge! À ce stade, nous n’avons rien entendu de la part de ses dirigeants. S’il rentre dans le giron de la Fédération, RTL va devoir respecter sa législation, que cela soit en termes d’investissement dans la production, de respect des règles en matière publicitaire, etc.

L’offre vidéo de RTL pourrait-elle monter sur votre plateforme Auvio pour en faire un Salto belge?

JPP - On devra en discuter avec la nouvelle direction. Il y a encore beaucoup d’inconnues. Mais cela ne change en rien notre stratégie. Auvio ne doit pas être "la" plateforme locale, mais une plateforme indispensable aux Belges francophones, ouverte à des tiers, avec des contenus qui cultivent cet ancrage local et dont l’ADN est l’inscription et la gratuité.

"Le gouvernement a réaffirmé la nécessité de maîtriser la pression publicitaire à la RTBF."

Baptiste Erkes
Président du conseil d’administration de la RTBF.

Le gouvernement a pérennisé votre financement mais en même temps il veut diminuer la pression publicitaire. Vous pouvez vivre avec cela?

BE - La question du poids de la publicité sur un service public se pose dans tous les pays européens. Le gouvernement a donné un premier signal dans sa déclaration de politique communautaire sur la nécessité de maîtriser la pression publicitaire. Le plan stratégique s’inscrit dans ce souci, car cela pose des questions de valeur, d’éthique, d’écoresponsabilité. Et le gouvernement l’a confirmé dans sa récente note d’intention. Mais il est trop tôt pour savoir quelle forme cela va prendre.

C’est un peu schizophrénique, non? Dans ce contexte, la RTBF n’en fait-elle pas trop? Ne faut-il pas recadrer ses missions autour de contenus que l’on ne trouve pas dans les médias privés?

JPP - Il est inconcevable de définir la stratégie d’un média public comme étant ce que le privé ne fait pas. Nous n’avons pas les mêmes missions, nous ne remplissons pas les mêmes fonctions. Je m’en réfère à cette anecdote de la campagne présidentielle française: il y a 15 jours, le gouvernement a passé un accord avec Snapchat pour conscientiser les jeunes aux enjeux du vote. C’est le boulot d’un média public de faire cela. C’est compliqué, car c’est un défi économique, créatif et organisationnel énorme de faire évoluer notre entreprise pour être plus efficiente.

On doit continuer à la fois à servir le linéaire et investir dans le non-linéaire, être présent sur toutes les plateformes, y compris des plateformes jeunes, comme TikTok où nous avons 100.000 abonnés, car notre mission est universelle.

BE - Nos missions évoluent parce que le monde évolue. Je pense au développement des fake news, à la couverture d’une crise comme le covid, à notre société, de plus en plus divisée. Cela nous oblige à investir de nouveaux terrains. On a réinvesti dans la culture, plombée par le covid, avec le plan Restart alors qu’on n’était pas obligé de le faire. C’est la même chose pour Auvio, qui était au départ une plateforme de replay et qui est devenue une plateforme de contenus propres. Autrement dit, de nouvelles missions s'ajoutent à nos missions traditionnelles.

"Pour beaucoup de jeunes, le gaming, c’est aussi la porte d’entrée vers l’audiovisuel."

Jean-Paul Philippot

Mais développer, par exemple, un nouveau média autour du gaming, iXPé, fait-il réellement partie des missions d’un service audiovisuel public?

JPP - Un Belge sur cinq joue aux jeux vidéo. C’est, en termes de création, un secteur qui concentre plus de moyens que le cinéma. Pour beaucoup de jeunes, le gaming, c’est aussi la porte d’entrée vers l’audiovisuel. Au point que le débat Macron-Le Pen a été diffusé sur Twitch, le réseau social des gamers. Ne pas être partie prenante de cet univers serait une erreur. On doit le faire pour des raisons culturelles, d’audience et économiques.

Vous avez supprimé deux marques - Pure FM et La 2 - au profit de Tipik. Il se chuchote que la sauce ne prend pas et que des économies devront être faites... Allez-vous continuer en ce sens en fusionnant des marques?

JPP - Je suis étonné par ce que vous dites. Tipik est une nouvelle marque, qui rajeunit le produit existant, a déjà une très forte notoriété, prend des risques et diffuse des contenus pas toujours simples à traiter comme des documentaires de géopolitique, des séries exigeantes, le tout avec une grande liberté de ton. Elle nous permet de toucher un public jeune, plus compliqué à atteindre. La série Baraki, par exemple, n’aurait jamais vu le jour sans Tipik. Elle a été vendue dans le monde entier et une saison 2 est en écriture.

Quant à savoir si on va continuer dans ce mouvement de concentration, on verra, mais on a fusionné, par exemple, tous nos sites web en un seul. Dans le linéaire, les marques sont un point de repère, mais dans le non-linéaire, il faut concentrer le plus possible les portes d’entrée en les rendant très visibles via les algorithmes.

Le nouveau décret SMA oblige les plateformes internationales à investir dans la production locale. Est-ce une opportunité pour vous?

JPP - Depuis très longtemps, nous disons qu’il y a un déficit d’investissement privé dans le secteur de la production audiovisuelle belge francophone. Surtout quand on se compare à la Flandre. Voir des acteurs privés, RTL ou les plateformes de streaming, investir plus dans le secteur, on applaudit, car c’est un secteur économique important.

Après, dans l’économie des plateformes, il y a la question de savoir si elles vont investir dans de la production locale – un produit formaté adapté au marché local sur base d’un cahier de charges – ou de la création locale, comme on le fait nous, en prenant des risques. Économiquement, cela ne change rien, on fait travailler des professionnels locaux, mais culturellement cela change tout. Et puis on doit pouvoir exploiter, nous aussi, les droits sur ces contenus coproduits localement.

"Pour pouvoir continuer à investir, on doit idéalement dégager un ebitda de 20 à 25 millions par an, comme avant la crise sanitaire. Je ne crois pas qu’on reviendra tout de suite à pareil niveau."

Jean-Paul Philippot

L’exercice financier 2021 a-t-il été conforme aux prévisions?

JPP - Nous allons présenter fin du mois au CA un résultat plus favorable que nos estimations initiales (une perte de 5 millions, NDLR). Mais pour pouvoir continuer à investir, on doit idéalement dégager un ebitda de 20 à 25 millions par an, comme avant la crise sanitaire. Je ne crois pas qu’on reviendra tout de suite à pareil niveau.

Pour rester dans le volet financier, la RTBF va diffuser la Coupe du Monde au Qatar. Beaucoup de sponsors s’en désolidarisent et ne vont plus diffuser de campagnes de pub autour de l’événement. Que va faire la RTBF, partenaire des Diables? Et n’est-ce pas inquiétant pour votre équilibre budgétaire?

JPP - D’abord, je n’ai pas beaucoup de considérations pour la malléabilité de certains. Je n’ai entendu personne boycotter les JO d’hiver de Pékin en début d’année. Ensuite, nous allons traiter l’événement sportif, mais aussi toutes les questions qu’il pose, que ce soit en termes écologiques, sociaux ou autres, et ce, de manière totalement indépendante par rapport aux organisateurs, aux sponsors ou à l’équipe nationale. Ou alors on va au bout de la logique et les Diables Rouges ne se rendent pas au Qatar. Quant à l’impact sur nos recettes publicitaires, je n’en sais rien à ce stade. On en reparlera le 15 décembre, après la finale.

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  • "La RTBF, c’est un outil sociétal. C’est notre rôle d’être universel et de porter le débat sur toutes les plateformes."
  • "La question du poids de la publicité sur un service public se pose dans tous les pays européens."
  • "Il y a un déficit d’investissement privé dans le secteur de la production audiovisuelle belge francophone."
  • "Le débat sur notre contrat de gestion ne se fera pas en fonction d’un concurrent quel qu’il soit, mais par rapport à notre ADN."

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Sir Robin Niblett, spécialiste des relations internationales, membre de "Chatham House".
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