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analyse

La centrale nucléaire Facebook n'a pas d'avenir sans uranium (vos données)

Depuis un an et demi, Mark Zuckerberg tâtonne entre déni et excuse. ©REUTERS

Comme le nez au milieu du visage, le scandale Cambridge Analytica a révélé aux yeux du monde entier le cœur du business modèle Facebook: la data. L’affaire de trop?

#deletefacebook. "Il est temps de quitter Facebook." Mardi 20 mars, cet appel lancé sur Twitter n’est pas passé inaperçu. Il est signé Brian Acton, l’un des cofondateurs de WhatsApp devenu milliardaire grâce au rachat de l’application de messagerie par… Facebook.

Depuis la semaine dernière, le réseau social est au cœur d’une vive polémique, qui l’a plongé dans l’une des plus importantes crises de son histoire. En six séances, son action a plongé de 11%.

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Tout est parti vendredi 16 mars des révélations du Guardian et du New York Times, rapidement confirmées par Facebook. Fin 2013, la société britannique Cambridge Analytica a siphonné les données personnelles de 50 millions d’utilisateurs de la plate-forme. Elle les a ensuite utilisées pour créer un logiciel capable d’influencer le vote des électeurs américains. Un outil mis à la disposition de la campagne de Donald Trump.

Au courant, Facebook n’aurait rien dit, rien fait. La société n’aurait ainsi décidé de suspendre Cambridge Analytica que pour devancer d’un jour la parution de ces deux enquêtes. Le scandale de trop?

Un humain sur trois est sur Facebook

Fondé en 2004 alors que Mark Zuckerberg était encore étudiant à Harvard, Facebook n’est pas étranger aux polémiques. À ses débuts, cela fait même partie de son ADN. "Aller vite, casser des choses", promeut le jeune homme, quitte à s’excuser plus tard, notamment lorsque la société souhaite aller trop loin dans le partage des données personnelles des utilisateurs. En grandissant, puis en s’introduisant en Bourse, il est depuis revenu sur ce principe. Cela n’empêche pas de nouveaux couacs.

Le modèle économique de Facebook consiste à collecter toujours plus de données personnelles sur ses utilisateurs.
Le modèle économique de Facebook consiste à collecter toujours plus de données personnelles sur ses utilisateurs. ©REUTERS

Mais à chaque fois, Facebook fait amende honorable, modifie ses pratiques, assure avoir appris de ses erreurs. Et la croissance repart. Le réseau social compte désormais 2,13 milliards d’utilisateurs actifs, soit un humain sur trois. L’an passé, son chiffre d’affaires s’est élevé à 40 milliards de dollars. Surtout, il n’a jamais eu à remettre en cause son modèle économique. Celui-ci consiste à collecter toujours plus de données personnelles sur ses utilisateurs – et pas seulement lorsqu’ils se connectent sur sa plateforme –, afin de proposer aux annonceurs des publicités toujours plus ciblées.

Le cœur (data) est atteint

Si l’affaire Cambridge Analytica fait aujourd’hui vaciller Facebook, c’est parce qu’elle symbolise son peu d’intérêt pour la protection de la vie privée de ses membres. Ses outils de ciblage sont extrêmement poussés, jusqu’à permettre à certains annonceurs de s’adresser uniquement aux personnes qui se disent antisémites. Ou de permettre aux agences immobilières de ne pas diffuser leurs annonces auprès des minorités. Pendant des années, la société a aussi permis à des développeurs tiers d’accéder, sans leur consentement, aux données de millions de personnes. Une erreur, selon Facebook. Un choix extrêmement révélateur pour ses détracteurs.

Hémorragie. Des employés de Facebook ont demandé à être réaffectés chez WhatsApp ou Instagram.

Désormais, quatre menaces pèsent sur le groupe. D’abord, une crise interne et de leadership. "Facebook montre des signes de problèmes systémiques de management, une inquiétude qui est récente", souligne Brian Weiser, analyste chez Pivotal Research. Voilà désormais plus d’un an que la direction de l’entreprise semble naviguer à vue, incapable de faire face à son rôle présumé dans l’élection de Donald Trump (diffusion de fausses informations, utilisation de sa plateforme par des agents russes…).

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Couperet régulatoire

Selon le New York Times, Alex Stamos, le responsable de la sécurité informatique, en première ligne depuis des mois, aurait décidé de prochainement quitter son poste. Le quotidien new-yorkais évoque des divergences d’opinions. Par ailleurs, des employés de Facebook auraient demandé à être réaffectés chez WhatsApp ou Instagram.

Enfin, un groupe d’investisseurs vient de déposer une plainte, reprochant des déclarations erronées. Une première pour Facebook.

Depuis plusieurs jours, les appels se multiplient pour réclamer un renforcement de la régulation autour de la publicité en ligne. Plusieurs sénateurs américains souhaitent notamment auditionner Mark Zuckerberg.

En Europe, la pression est encore plus forte. "C’est un nouvel épisode qui place Facebook dans une position encore plus négative face aux agences de régulation américaines et européennes, ce qui pourrait les encourager à adopter des règles plus agressives", note Brian Weiser. Mais "ces mesures prennent souvent un temps disproportionné à se matérialiser", nuance Jason Helfstein, d’Oppenheimer.

Côté business, le danger existe aussi, même si les analystes s’accordent à dire qu’il est faible. Facebook pourrait d’abord s’exposer à un retrait des annonceurs. Pour le moment, seul Mozilla, l’éditeur du navigateur Internet Firefox, a suspendu ses campagnes publicitaires. L’ISBA, le lobby publicitaire britannique, a réclamé des garanties.

Mais les précédentes polémiques n’ont jamais eu un impact conséquent car les marques ne disposent en réalité que de peu d’alternatives, aussi bien en termes d’audience que de critères de ciblage. De la même manière, la campagne de boycott visant l’an passé YouTube a rapidement pris fin.

Un réseau devenu indispensable

Côté utilisateurs, des conséquences négatives sont aussi peu probables. Certes, des internautes ont lancé un appel à quitter Facebook, mais le phénomène est très limité — même si Elon Musk, en conflit public avec Mark Zuckerberg, a rejoint le mouvement vendredi en supprimant les pages Facebook de Tesla  et SpaceX.

Au fil des ans, le réseau social est devenu indispensable pour la majorité des internautes, qui l’utilisent pour rester en contact avec leur famille et leurs amis. Facebook bénéfice ainsi d’un effet de réseau, qui explique pourquoi il est si difficile de rivaliser.

Les alternatives sont rares. L’application Vero, qui avait parlé d’elle il y a quelques semaines en promettant de ne jamais utiliser les données personnelles, est depuis retombée dans l’anonymat. Surtout, ajoute Jason Helfstein, "les consommateurs sont majoritairement insensibles aux questions de la vie privée". Comme s’ils avaient définitivement accepté l’adage "si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit". Au plus grand bonheur de Facebook.

Mark Zuckerberg, l’ombre d’un doute

Depuis un an et demi, Mark Zuckerberg tâtonne entre déni et excuse.
Depuis un an et demi, Mark Zuckerberg tâtonne entre déni et excuse. ©REUTERS

Cinq jours de silence. Une éternité alors que Facebook affrontait l’une des plus importantes polémiques de son histoire. Puis Mark Zuckerberg s’est finalement exprimé. Dans un long message publié sur son compte personnel et en accordant quatre interviews aux médias américains. Le fondateur et patron du réseau social y présente ses excuses, promet des changements et se dit prêt à être entendu devant le Congrès américain – comme le réclament plusieurs parlementaires.

Pendant ces cinq jours, les investisseurs, les journalistes et certainement aussi les employés de Facebook se sont demandés où était passé Mark Zuckerberg. Certains sont allés jusqu’à remettre en cause son leadership. D’autres ont carrément réclamé sa démission. Des appels impensables il y a encore un an.

Dire que Facebook a favorisé une victoire de Trump? "C'est une idée folle."

Mark Zuckerberg
Novembre 2016

Ce n’est cependant pas la première fois que le dirigeant est remis en cause. En 2012, peu après l’introduction en Bourse de Facebook, Wall Street se demande alors s’il a les épaules assez larges. L’action est en chute, le réseau social est en retard sur mobiles. Et Mark Zuckerberg ne s’exprime pas: il est à Rome, en lune de miel avec sa nouvelle épouse.

Pour le patron de Facebook, les difficultés actuelles ont en fait débuté le 8 novembre 2016, jour de l’élection de Donald Trump.

Le réseau social est alors accusé d’avoir favorisé sa victoire en laissant se propager d’innombrables fausses informations. Deux jours plus tard, Mark Zuckerberg s’emporte, rejette toute responsabilité et évoque une "idée folle". Il faudra attendre près d’un an pour qu’il reconnaisse s’être trompé.

Depuis un an et demi, c’est bien simple: Mark Zuckerberg tâtonne entre déni et excuse.

Plus les révélations s’enchaînent et plus l’impression d’un manque de transparence s’épaissit. Et le responsable en fait aussi trop lorsqu’il se met en scène à la rencontre de l’Amérique profonde, celle qui a voté Trump et qui ne se reconnaît pas dans les valeurs de la Silicon Valley. Début 2018, il se fixe pour objectif personnel de "réparer Facebook". Un travail encore loin d’être achevé.

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