Dans son dernier magazine, Le Cri, le Syndicat national des propriétaires et copropriétaires (SNPC) met en garde contre ce qu’il qualifie d’opération de péréquation cadastrale rampante à Bruxelles et en Wallonie. Sur quoi repose cette théorie? Certains propriétaires risquent-ils vraiment de voir le revenu cadastral (RC) de leur habitation augmenter sensiblement? Quelles sont les règles?
Le contexte
La dernière péréquation cadastrale, c’est-à-dire une remise à niveau générale des RC en fonction du niveau de confort du bien et de l’évolution de son contexte géographique, remonte à 1975. En attendant, depuis 1991, le RC est indexé chaque année. Mais évidemment, cela ne reflète et ne compense pas la différence de réalité entre les années 70 et aujourd’hui.
Entre deux péréquations, le SPF Finances, Administration générale de la documentation patrimoniale (ou Cadastre), peut certes procéder à la réévaluation des RC des immeubles agrandis, reconstruits ou rénovés. Les informations relatives aux travaux nécessitant l’octroi d’un permis (d’urbanisme) sont en effet automatiquement transmises par la commune au cadastre. Mais à côté de cela, quasi tous les propriétaires "oublient" de déclarer les autres travaux qui contribuent à améliorer le confort de leur habitation, précisément pour éviter que le RC ne soit réévalué en conséquence.
La problématique est connue mais les autorités ne se résolvent pas à l’attaquer de front. Et sur le terrain, on sent bien que certaines initiatives visent à corriger le tir là où la situation est manifestement anormale. Deux phénomènes différents, mais dont la finalité semble similaire, sont ainsi observés depuis un certain temps déjà. Ils visent plus particulièrement les RC les plus faibles.
Les RC très faibles dans le collimateur
Des propriétaires, apparemment de plus en plus nombreux (à Bruxelles, principalement), interpellent le SNPC après avoir reçu un questionnaire de leur administration communale à propos de leur immeuble. "Objectif: arriver à une majoration du revenu cadastral (RC) du bien concerné et par là même, à une augmentation des montants perçus à titre de précompte immobilier ou à l’impôt de personnes physiques", lit-on dans l’article du Cri.
Cette pratique interpelle le SNPC à plusieurs titres. D’abord parce qu’elle est le fait de "certaines communes qui visent plus spécifiquement les rues et quartiers où il y aurait à coup sûr matière à relever le RC", comme l’observe Olivier de Clippele, vice-président du SNPC, qui juge le procédé "discriminatoire".
Elle vise effectivement des biens dont le RC est très faible. Et selon le notaire Renaud Grégoire, cela peut s’expliquer. "Un immeuble qui était à la limite de la salubrité en 1975 et dont le RC a donc été fixé à un niveau très faible a très probablement été remis en conformité avec les normes de confort moderne depuis lors. Et valoir aujourd’hui des centaines de milliers d’euros", fait-il valoir.
Le problème se pose moins pour les immeubles au RC plus élevé. "À l’époque, ils avaient sans doute déjà un niveau de confort correct, voire élevé. Si entre-temps une nouvelle salle de bains et des matériaux magnifiques ont été utilisés lors d’une rénovation, cela ne change rien du point de vue du cadastre", poursuit Renaud Grégoire. Lequel ne trouve effectivement "pas juste que les propriétaires d’un immeuble neuf avec un RC à l’avenant paient ‘plein pot’, alors que les propriétaires de vieux immeubles rénovés de fond en comble depuis la fixation du RC ne paient quasiment rien".
Selon lui, il ne faut donc pas s’opposer par principe à des mécanismes qui visent à mettre tout le monde sur un pied d’égalité".
Olivier de Clippele rappelle toutefois que les travaux économiseurs d’énergie ainsi que les travaux de mise aux normes n’entrent pas en ligne de compte pour une augmentation du RC.
Les communes restent-elles dans leur rôle?
Mais alors que les propriétaires rechignent à déclarer les travaux qui doivent l’être, les administrations tentent d’aller à la pêche aux informations. Voilà ce qui fâche aussi le SNPC. "Si des demandes doivent et peuvent être envoyées, c’est par le cadastre et non par les communes", explique le notaire Olivier de Clippele. "On utilise des moyens détournés qui ne répondent pas précisément au prescrit légal pour tenter de faire plier certains propriétaires qui prennent peur", confirme Gilles Tijtgat, juriste spécialisé dans l’immobilier.
En théorie, les propriétaires qui ne donneraient pas suite ne risquent rien puisque la demande d’information ne passe pas par le bon canal et qu’aucune sanction n’est prévue, résument les professionnels. Même si le SNPC conseille quand même de répondre par courrier recommandé à la commune (sur la base d’un modèle de lettre qui peut être obtenu auprès de son service juridique), histoire de remettre la démarche en cours dans sa légalité.
Du côté du SPF Finances (AGDP), on assure toutefois que "les communes restent totalement dans leurs compétences lorsqu’elles contrôlent l’état des bâtiments avec l’objectif de revoir les revenus cadastraux". Et on réfute catégoriquement l’idée d’une péréquation cachée. "Les actions des communes se limitent à vérifier que l’état du bien correspond à celui qui a servi de base au calcul du RC. Autrement dit, à détecter les modifications apportées au bâtiment sans que le propriétaire ait déclaré ces travaux au cadastre. En un mot, l’AGDP estime qu’il serait anormal de ne revoir les revenus cadastraux que pour ceux qui déclarent leurs travaux et pas pour les autres".
Wallonie: habitation (pas toujours) modeste!
En Région wallonne, la volonté de réévaluer certains RC se manifeste également, mais dans un contexte différent. Un acheteur peut en effet bénéficier du taux réduit des droits d’enregistrement (6%) lorsque le RC de l’immeuble est inférieur à 750 euros (la maison est alors qualifiée de modeste). "Une pratique fiscale récente qui a pris de l’ampleur — mais qui n’est pas pour autant réglementée — impose à l’agent immobilier ou au vendeur qui sollicite la matrice cadastrale (qui permet d’exposer le bien au taux réduit) de communiquer à l’administration le prix de l’immeuble. Une information précieuse puisqu’elle permet à l’administration de comparer le caractère modeste de l’habitation lié à son RC… et le prix auquel elle est vendue".
Dans certains cas, les notaires en viennent ainsi à conseiller à l’acheteur de renoncer à demander la réduction pour habitation modeste car il s’expose, outre à un refus quasi assuré, à une sérieuse augmentation du RC de la maison, reconnaît Renaud Grégoire.
"La grosse différence, c’est qu’en Wallonie, la demande (pour bénéficier du taux réduit) est introduite auprès de l’administration compétente (fiscale en l’occurrence) qui, elle, est donc parfaitement en droit de conditionner la remise de la matrice cadastrale à l’obtention d’informations", fait remarquer Gilles Tijtgat.