Un Tchernobyl souterrain en Belgique?
Allons-nous enfouir dans notre sous-sol 15.000m³ de déchets hautement radioactifs sans autre débat sur les enjeux et les alternatives ?
Par Jean-Marc Nollet
Député fédéral à la Chambre et co-chef de groupe Ecolo/Groen
Le titre peut frapper mais l’enjeu est bien celui-là: allons-nous, après avoir largué dans la mer près de 30.000 tonnes de détritus nucléaires, enfouir dans notre sous-sol 15.000m³ de déchets hautement radioactifs sans autre débat sur les enjeux et les alternatives?
Pour mieux en confisquer les tenants et aboutissants, ce dossier est présenté comme étant purement technique alors qu’il est profondément politique et, plus encore, par les engagements qu’il entraîne, philosophique et éthique.
C’est une question de société et même de civilisation qui est posée et qui mérite que les choix et leurs conséquences soient exposés et débattus largement et publiquement, tant dans les médias qu’au parlement.
Réalité physique
Qu’on soit pour ou contre le nucléaire, les déchets qu’il génère sont une réalité physique qui doit être gérée avec un maximum de sécurité, de transparence et de débat démocratique.
Puisqu'il n'y a pas de « bonne solution » en matière de gestion des déchets nucléaires, il nous faut rechercher, ensemble, celle qui sera la moins mauvaise, et la justifier.
En amont de la question de l’optimisation de la protection, c’est le principe même de l’enfouissement et plus encore de la (non) récupérabilité intemporelle des déchets que je souhaite éclairer et voir débattus. Puisque rien n’a été prévu au moment de la construction des centrales et qu’il n’y a pas de "bonne solution" en matière de gestion des déchets nucléaires, il nous faut rechercher, ensemble, celle qui sera la moins mauvaise, et la justifier.
C’est, cependant, dans une relative indifférence et en contradiction flagrante avec ce que les citoyens demandent que le gouvernement belge s’apprête à prendre, dans les jours qui viennent, par simple arrêté royal, une décision qui engagera pourtant un nombre de générations futures comme aucune autre décision n’a été amenée à le faire jusqu’à présent.
Quant au fond du dossier, l’option sur la table est celle du stockage géologique passif: les déchets seront stockés dans des galeries souterraines et les orifices seront scellés à tout jamais après une période de surveillance qui se limitera aux cent premières années alors que les déchets les plus radioactifs resteront dangereux plus d’un million d’années.
Les déchets seront devenus inaccessibles, ce qui entre en contradiction flagrante avec ce qu’une large majorité de citoyens ont exigé: que les déchets puissent être récupérés à tout moment. Cette option, qui prive les générations futures de toute capacité d’utiliser les probables avancées scientifiques, ne se base pourtant sur aucun retour d’expérience.
Il n'existe encore aucun site de stockage de déchets hautement radioactifs qui soit fonctionnel, où que ce soit sur notre planète.
Et pour cause: il n’existe encore aucun site de stockage de déchets hautement radioactifs qui soit fonctionnel, où que ce soit sur notre planète.
L’"exemple" américain
Aux États-Unis, un site souterrain accueille toutefois depuis 1999 des déchets nucléaires militaires de moyenne activité. Pensé sur la base de la même philosophie et présenté comme l’exemple à suivre, y compris dans les documents qui préparent la décision que doit prendre la Belgique, le WIPP était prévu pour préserver l’environnement de toute fuite pendant des centaines de milliers d’années.
En février 2014, après moins de 15 ans de fonctionnement, une réaction chimique se produit à l’intérieur d’un seul fût de déchets et provoque la rupture de celui-ci, libérant du plutonium et de l’américium, substances radioactives particulièrement dangereuses.
Cet accident, supposé ne jamais pouvoir se produire, coûtera deux milliards de dollars. Deux milliards pour un fût qui prend feu! Et dire que d’aucuns veulent, aux États-Unis comme en Belgique, y en enfouir plusieurs milliers…
Heureusement, toutefois, que cet accident est survenu alors que le site était encore ouvert et les déchets récupérables. Que serait-il advenu si l’incendie s’était produit après fermeture définitive? Selon certains experts: un Tchernobyl souterrain, du nom prémonitoire de cette ville martyr qui, en russe, signifie "absinthe", comme cette boisson dont Oscar Wilde disait qu’elle apportait l’oubli…
L'autre piste, moins dangereuse : celle du stockage temporaire, en subsurface, avec des déchets récupérables en permanence et qui permet à la société de se reposer tous les siècles la question de ce qu'elle souhaite et peut faire de ces détritus très dangereux.
Que faut-il de plus comme argument pour stopper le dossier en Belgique et enfin envisager l’autre piste, moins dangereuse: celle du stockage temporaire, en subsurface, avec des déchets récupérables en permanence et qui permet à la société de se reposer tous les siècles la question de ce qu’elle souhaite et peut faire de ces détritus très dangereux que nous lui aurons légué?
L’urgence prétendue
Contrairement à ce que prétend l’Ondraf (l’organisme chargé de gérer ces déchets), il n’y a aucune nécessité de décider dès à présent. Cet argument de l’urgence est d’ailleurs utilisé pour défendre la même et unique option (et sa localisation à Mol) depuis plus de 30 ans; c’est dire si sa relativité n’a d’égal que la durée de l’engagement qui serait pris.
Le gouvernement des Pays-Bas vient de sagement prendre option ce 29 janvier 2018 pour reporter toute décision définitive à l’an 2100. Nous avons tout autant que nos voisins du nord le temps et le devoir de mener un large débat public, parlementaire et contradictoire autour de cet enjeu. Ce sont plus de 10.000 générations de nos descendants qui seront engagées. Elles le méritent!
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