tribune

Opinion | Le retour des euromissiles est-il acté?

ULg et Académie militaire de St-Cyr Coëtquidan

En quasi trois ans de conflit, l’Ukraine a été bombardée à de nombreuses reprises, mais l’usage, pour la première fois, par la Russie, d’un missile balistique à portée intermédiaire sur la ville de Dnipro, le 21 novembre, interpelle les observateurs occidentaux.

Le tir d’un missile balistique expérimental de moyenne portée[1], surnommé par la Russie Orechnik (KEDR), le jeudi 21 novembre dernier, réveille d’anciens souvenirs; ceux de la guerre froide, dans les années 1980, autour du déploiement des missiles balistiques SS-20, SS-4 et SS-5 soviétiques visant des objectifs en Europe et la réponse américaine qui a suivi avec l’installation de missiles de croisière sol-sol nucléaire Gryphoon dans plusieurs pays européens (dont la Belgique, à Florennes), ainsi que des missiles Pershing-2 à têtes nucléaires manœuvrantes. Bras de fer militaire, technologique, doctrinal entre les deux grandes puissances nucléaires…

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Historiquement, cette séquence fut particulièrement instable. Dans une lecture occidentale, ces euromissiles (ou Intermediate Nuclear Force/INF) avaient pour vocation de favoriser le couplage de la défense américaine et européenne. Mais, a contrario, on pouvait parfaitement imaginer aussi un découplage, car la capacité de tir des euromissiles américains vers des objectifs russes, dans la profondeur, était rendue possible depuis le Vieux Continent sans risquer de menacer des cibles stratégiques aux États-Unis.

Le récent tir d’essai russe renvoie à la dénonciation réciproque du traité INF, en 2019, qui fait qu’aujourd’hui, Américains et Russes ont retrouvé de larges marges de manœuvres militaires pour produire à nouveau des systèmes balistiques de théâtre entre 500 et 5.500 km de portée.

Demeuraient aussi des incertitudes autour de la réponse russe: soit une riposte sur le théâtre européen d’où devaient partir les euromissiles américains, soit une riposte directement vers les États-Unis, d’où était fixé le choix des cibles, l’activation des charges nucléaires et les ordres de tirs. Entre 1983 et fin 1987, les débats et autres confrontations politico-stratégiques à ce sujet occupèrent beaucoup les esprits et les pages des grands quotidiens.

Au final, la tension retomba au point d’aboutir à la signature, le 8 décembre 1987, d’un traité INF d’élimination totale de ces systèmes nucléaires de théâtre. Le 31 mai 1991, tous les INF étaient officiellement détruits.

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Course relancée pour des systèmes balistiques de portée intermédiaire

Le récent tir d’essai russe renvoie à la dénonciation réciproque du traité INF, en 2019, qui fait qu’aujourd’hui, Américains et Russes ont retrouvé de larges marges de manœuvres militaires pour produire à nouveau des systèmes balistiques de théâtre entre 500 et 5.500 km de portée.

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Il y avait, du reste, déjà des soupçons autour de la portée des missiles de croisière russes R-500 Iskander K (supérieur à 500 km de portée) et d’un essai, tir tendu, d’un missile balistique SS-27, à 2.000 km.

Ce qui est réellement mis en lumière aujourd’hui n’est-il pas le retour des euromissiles? Sommes-nous face à une nouvelle course entre l’Otan et la Russie?

En face, relevons les projets américains de déploiements épisodiques d’un lanceur de missiles de croisière sol-sol Typhon[2] (1.600 km), du lance-missiles Himars équipé du missile PrSM de longue portée (500 km), dès 2026, en Allemagne, ou encore les tests autour d’un Tomahawk mer-sol nucléarisable. Ceci sans citer le Dark Eagle de l’US Army, une arme planante de 2.700 km de portée environ. Ces systèmes ont été conçus pour porter des charges conventionnelles.

Objectif de la Russie: "frapper les esprits"

Dès lors, au-delà de l’hypothèse d’un usage nucléaire russe inconséquent visant un objectif en Ukraine (symbolique, politique, militaire) – qui serait contraire à la dialectique du nucléaire qui joue sur les vrais intérêts vitaux russes menacés – ce qui est réellement mis en lumière aujourd’hui n’est-il pas le retour des euromissiles?

Sommes-nous face à une nouvelle course entre l’Otan et la Russie? Une course qui semble être de nature "conventionnelle", mais certains systèmes sont ou peuvent être à double capacité. Une zone grise demeure donc, mais nous pouvons interpréter le tir russe du 21 novembre comme engageant des systèmes "stratégiques" ou "de théâtre" tout en restant en deçà du nucléaire. Objectif: "frapper les esprits" et "entraver les solidarités occidentales".

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En vérité, la course aux capacités de frappe dans la profondeur, en sol-sol, est bel et bien déjà engagée. Et elle concerne aussi les Européens: la France, l’Allemagne, l’Italie et la Pologne ont signé une lettre d’intention autour d’un projet conjoint de développement et d’acquisition de missiles de longue portée, c’est-à-dire d’une portée de plus de 500 kilomètres (jusqu’à 1.000 km).

Le Royaume-Uni sera aussi de la partie, tout comme l’Espagne et la Suède. Cette "European long range strike approach" (ELSA) a d’ailleurs été ratifiée par les ministres de la Défense des pays concernés en marge du dernier sommet de l’Otan, à Washington, en juillet dernier.

André Dumoulin
Chargé de cours honoraire ULg
Enseignant à l’Académie militaire de St-Cyr Coëtquidan

1 Certains médias en continu s’évertuent à le décrire comme intercontinental, jouant comme souvent sur le sensationnel.

2 La charge offensive n’est pas précisée, mais les Tomahawk peuvent être nucléarisés sans difficulté. Relevons que le lanceur Typhon peut également tirer des missiles sol-air SM-6.

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