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Tribune | L’école face aux menaces identitaires, communautaristes et religieuses

Depuis plusieurs années, des revendications identitaires, communautaristes et religieuses se multiplient de façon préoccupante, notamment et surtout à l'école.

Le 16 octobre 2020, Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie est assassiné en pleine rue, près de son collège, réputé tranquille, de Conflans-Sainte-Honorine par un jeune radicalisé islamiste. Cet évènement tragique rappelle qu’en France, tout comme en Belgique, l’école fait face à de terribles menaces et que des enseignants peuvent devenir des boucs émissaires.

Depuis plusieurs années, des revendications identitaires, communautaristes et religieuses se multiplient de façon préoccupante, sans qu’on prenne la mesure de ces dérives. Pourtant, ce n’est pas une fatalité: il est possible d’agir pour assurer la défense de valeurs communes, celles qui rassemblent plutôt qu’elles ne divisent.

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Les témoignages nous parvenant de nombreux enseignants (tant des réseaux officiels que libres) révèlent toutefois que l’on assiste à une contestation croissante de certains savoirs, ainsi qu’à une intrusion de plus en plus marquée du religieux et du militantisme identitaire.

Les enseignants doivent consacrer de plus en plus d’efforts à lutter contre diverses formes de pensée magique.

À titre d’exemples, citons le refus d’étudiants d’utiliser un dictionnaire pendant le cours de français au motif qu’il aurait été écrit par des "Blancs" colonialistes; ou encore le refus pour des motifs religieux d’étudier l’anatomie du système reproducteur humain en biologie, d’analyser certaines œuvres d’art, de participer à des cours de natation, d’entrer dans une synagogue lors d’activités interreligieuses, ou encore de rencontrer le père d’un jeune homme assassiné en 2012 parce qu’il était homosexuel.

Les enseignants doivent également consacrer de plus en plus d’efforts à lutter contre diverses formes de pensée magique et à apprendre à leurs élèves à distinguer ce qui relève de la croyance et ce qui est de l’ordre du savoir.

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Des situations d'insécurité

Pensées magiques, propos homophobes, antisémites, sexistes ou racistes, prosélytisme, pratiques communautaristes, etc.: de nos jours, ces problèmes ne proviennent plus seulement d’élèves (ou de leur entourage), mais aussi de certains collègues.

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Tout ceci atteint un tel niveau de gravité au sein de certains établissements que des individus et des minorités sont plongés dans l’insécurité, tandis que des enseignants en arrivent soit à quitter leur école, soit à s’autocensurer et à ne plus oser dénoncer certains faits à leur hiérarchie, tant ils craignent de faire l’objet de menaces, de représailles ou de harcèlement.

De toute évidence, certaines écoles ne sont plus en mesure d’assumer pleinement les missions qui leur sont assignées. Les stratégies du "laisser couler" et de l’évitement s’avèrent inefficaces et engendrent une détérioration du climat scolaire.

Réaffirmer la neutralité de l’État

Dans leur Manifeste, Les Universalistes* s’engagent en faveur de la neutralité de l’État et de son inscription dans la Constitution. Cette neutralité n’est ni de droite, ni de gauche, ni fermée ni ouverte, ni inclusive ni exclusive. Elle vise à assurer la paix civile et la cohésion sociale, au sein d’une société où règne la pluralité convictionnelle. Elle inclut une neutralité d’apparence, car montrer, c’est dire. C’est pour garantir les libertés individuelles et l’égalité de droit que l’État s’astreint à être neutre et impose à ses agents de l’être et de montrer qu’ils le sont.

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Les Universalistes se réjouissent de la volonté, proclamée dans la Déclaration de politique communautaire (DPC), d’interdire le port des signes convictionnels aux enseignants de l’enseignement obligatoire du réseau officiel, à l’exception des professeurs de religion.

En matière scolaire, la Constitution (article 24, § 1er, alinéa 2) et le Code de l’enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles prévoient déjà que l’environnement éducatif de l’enseignement officiel soit régi par la neutralité. Ce principe implique que l’école ne s’interdise l’étude d’aucun champ du savoir et impose au personnel d’adopter une attitude réservée et objective tout en veillant à ce que, sous son autorité, "ne se développent ni le prosélytisme religieux ou philosophique, ni le militantisme politique organisé par ou pour les élèves".

Les Universalistes se réjouissent dès lors de la volonté, proclamée dans la Déclaration de politique communautaire (DPC), d’interdire le port des signes convictionnels aux enseignants de l’enseignement obligatoire du réseau officiel, à l’exception des professeurs de religion. Ils s’engagent à travailler activement pour que cette interdiction s’applique aux établissements formant de futurs enseignants.

Ils regrettent, par contre, que la DPC n’ait pas prévu une telle disposition destinée à l’ensemble des professionnels intervenant dans les écoles et une autre ciblant directement les élèves. La déception est d’autant plus grande que la Communauté flamande a montré l’exemple en 2009 en imposant une telle obligation pour les élèves, validée par un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme du 16 mai 2024.

Agir en faveur d’un climat scolaire sécure, apaisé: un enjeu politique majeur

Les Universalistes considèrent qu’il est urgent:

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• de préciser dans le Code de l’Enseignement ce que l’on entend par neutralité (de façon à exclure les dérives de la neutralité dite inclusive) et d’y rétablir l’obligation faite au gouvernement de présenter périodiquement au Parlement un rapport sur l’application du principe de neutralité au sein des écoles officielles. Les formations initiales et continues à la neutralité doivent être renforcées;

• d’offrir des formations sur l’universalité des droits humains, la liberté de conscience, la liberté d’expression, la distinction entre science et croyance, la nécessité de maintenir un enseignement exempt de censure, notamment dans les domaines scientifique, littéraire et artistique;

• de refuser toute atteinte à l’égalité entre les femmes et les hommes, a fortiori lorsqu’elle se traduit par une inégalité d’accès aux savoirs, activités scolaires, culturelles et sportives, et renforcer le respect de la diversité sexuelle et de genre;

• de créer au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles une cellule (disposant de moyens d’action appropriés) chargée de recueillir les témoignages et de soutenir les professionnels de l’enseignement dans leurs missions.

Il est urgent que le monde politique s’empare de ces questions fondamentales: Quelle école voulons-nous, pour quelle société? Comment outiller nos enfants pour qu’ils deviennent des citoyens éclairés, dans un monde de plus en plus fracturé par des identités trop souvent meurtrières (pour reprendre le titre du magistral essai éponyme d’Amin Maalouf)?

C’est cette préoccupation qui nous porte, nous Universalistes, convaincus que la coexistence pacifique de citoyens aux origines et aux convictions plurielles ne pourra se réaliser que grâce à un système scolaire de qualité et un État qui garantit la séparation des pouvoirs religieux et politiques: un enseignement où l’apprentissage des sciences, des savoirs, des compétences s’exonère des croyances.

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Collectif de signataires Les Universalistes-enseignement*

Nadia Geerts (maître-assistante en philosophie)
Kaoukab Omani (enseignante)
Jean-Claude Laes (professeur honoraire, ULB)
Ahmed Meksem (maître-assistant)
Anne Van Langenhoven (maître-assistante)

*Créé au printemps 2023 par des personnalités de la société civile et du monde politique, Les Universalistes est un groupe citoyen de réflexion, de concertation et d’action transpartisan qui a à cœur la promotion de l’humanisme des Lumières et la défense du bien commun. Il a créé un sous-groupe totalement dédié à l’enseignement.

Avec le soutien de:

Bijleveld Henny-Annie (professeur émérite ULB), Boutsen Colette (institutrice retraitée), Charles Susanne (professeur émérite ULB), Coenen Jean-Pierre (Président de la Ligue des Droits de l’Enfant), Coopmans Suzanne (professeur retraitée, mathématique, sciences économiques), Dambreville Frédéric (artiste et écrivain menant des projets avec des élèves de primaire dans des écoles bruxelloises), Danhier Caroline (professeure de français LM et FLE), Debouverie Georges (ancien professeur à l'Institut Lucien Cooremans, et à l'EOS), Delacuvellerie Olivier (Directeur Adjoint HELB Ilya Prigogine), De Mayer Nicole (enseignante retraitée), De Win Thierry (professeur retraité, Président de PO), D’Hoine Hedwige (professeure d’histoire), Duterme Yannic (enseignant et comédien), Félix Fabienne (infirmière enseignante), Galluccio Roberto (enseignant retraité, Président de la Ligue de l’enseignement et de l’éducation permanente), Goffin Jacqueline (professeur honoraire de l’Enseignement supérieur social, psychanalyste), Goldschmidt Isabelle (psychologue et anciennement institutrice), Hazette Pierre (ancien ministre de l'Enseignement), Heenen-Wolff Susann (Prof. Dr. phil. Psychanalyste), Hoebanx Marie-Claire (maitre-assistante langue française HEFF), Hons Benoît (maître-assistant en Haute École), Hubert Pascal (enseignant), Jacobs Liora (enseignante de biologie et de sciences), Kahan Thomas (professeur de géographie), Markowitch Muriel (psychologue), Mélot Paul (directeur d'école retraité, ancien Vice-Président du CPAS de Liège), Meyer Marc (enseignant), Muraille Eric (professeur, Directeur de Recherches FNRS, ULB), Possot André (Préfet honoraire à la Ville de Bruxelles), Rodenstein Daniel (professeur émérite, Université catholique de Louvain), Saels Dominique (psychologue), Schoetens Sylvie (enseignante dans le secondaire retraitée), Thomas Jehanne (professeur d’histoire), Van den Haute Erik (professeur, ULB), Van Looy Ina (Directrice du centre d'éducation à la citoyenneté du CCLJ, programme "La haine, je dis NON!"), Viejo Zapico Nadia (enseignante de Philosophie et Citoyenneté), Wachtelaer Claude (Inspecteur communal honoraire), Caerdinael Marie-Christine et Vermassen Karel.

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