Pourfendeur du fondamentalisme, Boualem Sansal devant la justice algérienne

C'est un élément de plus dans le contentieux diplomatique qui oppose la France et l'Algérie après l'appui de Paris au plan d'autonomie marocain pour le territoire disputé du Sahara occidental. Vendredi, l'agence gouvernementale algérienne APS confirmait l'arrestation de Boualem Sansal. Selon plusieurs médias, l'écrivain franco-algérien, qui ne cesse de mettre en garde l'Europe contre sa "naïve complaisance" face à l'islamisme, aurait été arrêté le 16 novembre à l'aéroport d'Alger, alors qu'il revenait de France.

Les Prix Nobel de littérature Annie Ernaux, Jean-Marie Le Clézio, Orhan Pamuk et Wole Soyinka, ainsi que plusieurs écrivains dont Salman Rushdie et Roberto Saviano, ont demandé sa "libération immédiate" dans une tribune, publiée samedi, sur le site de l'hebdomadaire Le Point. "Exigeons la libération immédiate de Boualem Sansal et de tous les écrivains emprisonnés pour leurs idées", ont-ils écrit dans ce texte à l'initiative de son compatriote Kamel Daoud, Prix Goncourt 2024, chroniqueur au Point et lui-même accusé d'avoir "violé l'intimité" d'une victime de la "décennie noire" (1992-2002), l'un des épisodes les plus sanglants de l'histoire de l'Algérie.

On apprenait par son avocat, François Zimeray, mandaté par les éditions Gallimard pour prendre part à sa défense, que Boualem Sansal serait présenté, ce lundi après-midi, à un procureur, au parquet d'Alger. L'avocat précisait toutefois n'avoir "aucune nouvelle précise" sur l'état ou les conditions de détention de l'écrivain de 75 ans, en lutte contre le fondamentalisme religieux et l'autoritarisme.

Le Serment des Barbares

Chez lui, en Algérie, un silence assourdissant pèse désormais sur ses œuvres. Depuis "Le Serment des Barbares" (1999), il avertit et écrit, "la myopie moderne qui est aussi contagieuse que la bêtise d'antan, empêche de voir que notre cerveau a été envahi à notre insu", disait-il à notre critique littéraire Sophie Creuz, en 2018.

Dans "2084", qui lui valu le Grand Prix de l'Académie française, – "les romans n'ont pas besoin de visa" –, il reprenait à Orwell le roman d'anticipation pour imaginer un pouvoir conditionnant son peuple à l'amnésie et à la soumission. "Demain cesseront les doutes, les peurs et toutes fatigues mentales, la soumission est le refuge idéal", écrit-il toujours aujourd'hui. "C'est la naïveté occidentale qui m'inquiète, autant que la naïveté folle des Musulmans qui croient vraiment ce qu'on leur raconte; qu'en tuant trois types, ils iront au Paradis."

Essayiste, il use pourtant de la fiction romanesque. "C'est le seul terrain possible", disait-il encore à L'Echo. Pour se protéger? "Oh!, de ce côté-là, je n'ai plus rien à attendre, mais tout de même, confie-t-il à mi-voix, c'est un évitement pour ne pas être accusé de blasphème, je suis obligé de décaler dans un autre univers, de ne pas nommer."

Géopolitique

Qu'est-ce qui justifiait alors l'arrestation de Boualem Sansal, il y a une semaine, en Algérie? Selon Le Monde, les autorités algériennes pourraient avoir mal pris ses déclarations au média français Frontières, réputé d'extrême-droite, qui reprenaient la position marocaine selon laquelle le territoire du pays aurait été tronqué sous la colonisation française au profit de l'Algérie. 

L'agence de presse officielle algérienne APS, quant à elle, a reproché à la France de prendre "la défense d'un négationniste qui remet en cause l'existence, l'indépendance, l'histoire, la souveraineté et les frontières de l'Algérie", qualifiant M. Sansal de "pantin utile"...