Céline Nieuwenhuys: "La classe politique n'a pas encore pris la mesure de l'urgence de la crise sociale"
Il faut immédiatement s'attaquer à la crise sociale découlant de la crise sanitaire, implore Céline Nieuwenhuys, membre du GEES. Des milliers de Belges ne nouent plus les deux bouts et ont faim. En silence...
Depuis un mois et demi, Céline Nieuwenhuys a mis entre parenthèses sa vie de secrétaire générale de la Fédération des services sociaux. Elle focalise l'essentiel de ses longues journées sur le GEES, le groupe d’experts chargés de l’Exit Strategy. Elle y siège aux côtés de neuf autres experts, principalement issus des mondes économique et scientifique. Ces dix-là conseillent le Conseil de sécurité (gouvernement fédéral et entités fédérées) sur le plan de déconfinement.
Depuis la constitution du GEES, le manque de représentant du secteur social est pointé. Céline Nieuwenhuys en est la seule voix. Et on a entendu que les rapports au sein du GEES étaient difficiles... "Oui, il y a des tensions... Mais elles sont constructives!", nous assure-t-elle.
Alors que le déconfinement est déjà bien entamé, la problématique sociale dérivant de la crise du Covid-19 a-t-elle été suffisamment prise en compte?
L'ensemble de la classe politique n'a pas encore pris la mesure de l'urgence de la crise sociale. Le gouvernement a été très occupé par la relance économique, qui est étroitement liée à l'aspect social, je ne le nie pas. Mais aujourd'hui, c'est le momentum.
"Il faut au plus vite des mesures. Ça coûtera certes de l'argent. Mais cela coûtera beaucoup plus cher si on ne fait rien!"
Pourquoi exactement maintenant?
L'économie est en partie relancée, les magasins ont rouvert. Et les chiffres arrivent, montrant l'ampleur du problème, ainsi que des témoignages ou des vidéos montrant par exemple les files énormes devant l'aide alimentaire.
Qui sont les victimes?
"Ces gens ont faim!"
Il y a ceux qui avaient déjà du mal avant à joindre les deux bouts. Pour eux, c'est pire aujourd'hui. Mais arrivent aussi les nouveaux pauvres. Avant, 16,8% de la population était considérée précaire. Aujourd'hui, 200.000 personnes s'y ajoutent. Il y a les étudiants qui avaient un job leur permettant de payer leur logement, se nourrir... Ils n'ont pas accès au chômage. Il y a les intérimaires qui n'avaient pas assez de jours de travail pour bénéficier d'aides. Il y a les indépendants. Il va y avoir de nombreuses faillites... Savez-vous que le nombre de suicides a augmenté après la crise financière de 2008, pour les petits comme pour les grands indépendants? N'oublions pas les artistes... Les aides, comme le chômage temporaire ou le droit-passerelle, mettent parfois beaucoup de temps à se débloquer. Certains n'ont plus rien touché depuis deux mois.
Les travailleurs au noir ont été les premiers à s'ajouter dans les files d'aide alimentaire. Les familles monoparentales ont aussi du mal. Comment retourner au travail avec des enfants à garder? Le congé parental Corona n'est pas à temps plein!
Comment s'exprime cette crise sociale?
Ces gens ont faim! Avant la crise sanitaire, 450.000 personnes faisaient appel à l'aide alimentaire. En chaîne humaine, c'est de Bruxelles à Ostende. Au moins 100.000 personnes s'y ajoutent aujourd'hui!
Que redoutez-vous si ce problème n'est pas traité rapidement?
On ne peut pas laisser les CPAS et le secteur du non-marchand prendre en charge la déferlante de précarité. Ils ne pourront pas éponger toutes les demandes qui arrivent. Il faut au plus vite des mesures. Ça coûtera certes de l'argent. Mais cela coûtera beaucoup plus cher si on ne fait rien!
Que faire?
"La première chose à faire, c'est de transformer l'aide matérielle en aide financière."
Sur le plan idéologique et éthique, ces longues files, de plusieurs centaines de mètres parfois, sont déjà un non-sens. Mais sur le plan sanitaire, vous imaginez? La première chose à faire, c'est de transformer l'aide matérielle en aide financière. En proposant un chèque alimentaire permettant de faire ses achats à l'épicerie du coin, plutôt que de prendre deux bus pour attendre un colis. De plus, le système d'aide alimentaire, avec toute sa logistique, nous coûte très cher et renforce le système à deux vitesses.
Il faut aussi trouver une solution politique pour donner du cash aux personnes en difficultés, sans perdre de temps avec des intermédiaires et des services saturés. J'ai plein d'idées, je reste disponible pour en discuter avec le gouvernement. Regardez par exemple la prime Covid en France.
Le social, ce n'est pas que les difficultés financières...
Le personnel de la santé mentale est aussi très inquiet. Il y a des risques de traumatismes très importants notamment pour les enfants qui ne sont pas sortis pendant des semaines. Certains ne sont même pas connectés à leurs copains... Il faut réagir au plus vite! Certaines écoles ont élargi leur accueil, un système se met en place dans les communes, avec l'aide du secteur culturel et social. Il faut une solution pour cet été et au cas où une nouvelle vague de contamination se déclencherait. Il y a urgence.
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