Xénophobe et autoritariste, le Vlaams Belang n'a pas changé
Le programme du parti et les déclarations de ses membres les plus en vue laissent peu de place au doute: Vlaams Belang et Vlaams Blok, c'est chou vert et vert chou. Suivez le guide.
Bien sûr, les sondages, à l'instar des promesses, n'engagent que ceux qui y croient; seul compte le verdict rendu par les urnes. N'empêche qu'en attendant que tombent les résultats de ce dimanche 9 juin, le grand gagnant supposé, c'est lui, le Vlaams Belang. Eh quoi? La Belgique suivrait-elle la tendance qui se répand telle une traînée de poudre en Europe? Le premier parti de Flandre – partant, du pays – sera-t-il une formation d'extrême droite?
Tant qu'à faire: a-t-on raison de sortir l'avertisseur "extrême droite"? "Quand on me dit que le Vlaams Belang, c'est l'extrême droite, on s'appuie sur le passé", lâchait au Soir, en avril dernier, le président du MR, George-Louis Bouchez. "Mais je n'ai pas vu de journalistes qui arrivaient à faire la démonstration sur la base du programme que ce parti ne serait pas dans le champ démocratique."
Deux interrogations, dont une sous forme de défi. Après s'être penché au chevet du nationalisme – pourquoi un Flamand sur deux vote-t-il pour un parti séparatiste? –, L'Echo a soulevé le capot de la machine Vlaams Belang.
1. Que veut le Vlaams Belang?
Ramassée en une centaine de pages, la Bible électorale donne le ton dès la couverture. "Vlaanderen weer van ons", clame cette dernière – "La Flandre à nouveau à nous". Pour faire simple, Cas Mudde, spécialiste néerlandais des populismes et des extrêmes, politologue à l'université de Géorgie (États-Unis), a cette formule ramassée. "Le Vlaams Belang souhaite une Flandre indépendante dans laquelle dominent ce qu'il considère être les personnes, valeurs et intérêts flamands."
Sur de nombreux points, le programme reste assez vague, relève Carl Devos, professeur de sciences politiques à l'université de Gand. Forcément: une quarantaine de thématiques, chacune déployée sur deux ou trois pages, maximum. "Les plans du Belang ne sont pas finançables, parce qu'ils tablent sur un arrêt de la migration et l'indépendance flamande. Les comptes ne sont pas bons."
"Le Vlaams Belang espère écrire l'histoire et briser le cordon sanitaire politique. Si possible au gouvernement flamand, sinon à l'échelon local."
Dans ces plans, on trouve ceci. Indépendance de la Flandre, déclarée depuis le Parlement flamand et négociée ensuite avec les francophones. Bruxelles faisant partie intégrante de la Flandre – cela ne se discute même pas. Arrêt de la migration, notamment par le biais d'une dérogation ("opt-out") aux règles européennes. Une politique socioéconomique aux accents plus sociaux, mais fondée sur une solidarité exclusive et conditionnelle et inspirée en droite ligne du Rassemblement national français. "Surtout, insiste Carl Devos, le Vlaams Belang espère écrire l'histoire et briser le cordon sanitaire politique. De préférence au gouvernement flamand, sinon à l'échelon local après les communales d'octobre."
Le président ne s'en cache pas. "Si c'est possible aux Pays-Bas, pourquoi ne le serait-ce pas en Flandre?", martelait Tom Van Grieken devant ses troupes à Anvers, durant le dernier grand meeting, une semaine pile avant le scrutin.
2. Est-ce un parti d'extrême droite?
Il y a le flacon, et l'étiquette que l'on colle dessus. Au sujet de celle-ci, "il y a beaucoup de discussions", admet Laura Jacobs, politologue à l'université d'Anvers. Une tendance s'impose toutefois dans la littérature, recourant au terme "droite radicale" ou "ultradroite" – "far-right" en anglais – pour désigner ces partis ayant le vent en poupe sur le continent, qu'il s'agisse du RN de Marine Le Pen, du PVV de Geert Wilders ou du Vlaams Belang de Tom Van Grieken. L'épithète "extrême" n'étant réservée qu'au sous-ensemble de formations rejetant le jeu démocratique, s'opposant à la règle de la majorité et à la souveraineté populaire et recourant à un répertoire d'actions révolutionnaire et/ou violent, façon Aube dorée en Grèce. "Le Vlaams Belang, lui, entend changer le système pacifiquement, de l'intérieur", explique Carl Devos.
"Rejet de l'immigration, voire xénophobie. Projet autoritaire en matière de sécurité intérieure. Rhétorique antisystème et hostile aux partis politiques. Le Vlaams Belang coche ces trois cases."
Puisque discussions il y a, cette tendance ne ravit pas tout le monde. Ainsi, Bart Maddens, professeur de sciences politiques à la KU Leuven, ne goûte que peu le terme "extrême". "Il est empreint de subjectivité et son usage relève souvent de la rhétorique politique, servant à marquer une distance vis-à-vis d'un adversaire. Totalitaires, fascistes, voire théocratiques: il existe quantité de termes plus précis pour qualifier des partis non démocratiques." À l'opposé, Benjamin Biard, spécialiste des extrêmes au sein du Centre de recherche et d’information sociopolitiques (Crisp), insiste pour traduire "far-right" par "extrême droite" et utiliser cette étiquette pour la famille entière plutôt que celle de "droite radicale". "Oui, cette qualification a sa part de subjectivité et est souvent utilisée dans un objectif de délégitimation politique. Il est toutefois possible d'y recourir de façon neutre et analytique. Dans le monde francophone, cette notion est clairement définie; dès lors, autant ne pas s'adonner à de l'inflation conceptuelle."
Nativisme, autoritarisme et populisme
Alors, parti de droite radicale populiste ou d'extrême droite? Qu'importe, au final, l'appellation, si tous se rejoignent sur le contenu du flacon. "L'idéologie sous-jacente repose sur trois piliers, théorise Benjamin Biard. Un: une conception de la société profondément inégalitaire reposant sur des distinctions raciales, culturelles, linguistiques ou communautaires. Deux: la société à venir est envisagée sur une base nationaliste, qui peut revêtir plusieurs formes. Régionaliste, avec l'indépendance de la Flandre, par exemple. Il peut également s'agir de poursuivre un objectif d'homogénéité au sein d'un territoire. Trois: un programme d'action radical, mettant sous tension a minima les valeurs et principes caractérisant les démocraties libérales contemporaines. Le Vlaams Belang coche ces trois cases."
"L'essence même du Belang est celle-là: nativisme, soit une forme xénophobe de nationalisme, et autoritarisme."
Concrètement, cela donne quoi? "Rejet de l'immigration, voire xénophobie, traduit Benjamin Biard. Projet autoritaire en matière de sécurité intérieure. Rhétorique antisystème et hostile aux partis politiques." Cas Mudde est sur la même ligne. "L'essence du Belang est celle-là: nativisme, soit une forme xénophobe de nationalisme, et autoritarisme. En d'autres termes, il souhaite un État monoculturel et croit que des politiques très strictes, de type 'law and order', sont au cœur de sa société." Laura Jacobs ne dit rien d'autre. "Nationaliste et nativiste, faisant la distinction entre population native et nouveaux arrivants. Autoritariste: approche sévère de la criminalité et vision conservatrice de la société." Et d'ajouter une cerise sur le gâteau: populiste. "Surfant sur la vague antisystème et se disant représentant du peuple, en opposition aux élites corrompues."
"Des Flamands et des étrangers"
L'identité constitue un des fils rouges du menu concocté par les troupes de Tom Van Grieken. Flamande, l'identité, et menacée, donc à protéger – c'est écrit, noir sur blanc, dès le mot du président. Le chapitre dédié au "wokisme", qui "empoisonne notre société" est plus clair encore. "Nous ne croyons pas à une citoyenneté mondiale anonyme ni à une société multiculturelle. Pour le Vlaams Belang, il n'y a pas de minorités, seulement des Flamands et des étrangers."
"On ne construit pas la Flandre de demain avec de nouveaux arrivants qui viennent commettre des crimes, profiter des allocations et imposer leurs règles religieuses."
Étrangers qui sont trop nombreux. "La Flandre est pleine." Sans surprise, l'immigration est cause de tous les maux; insoutenable, elle menace manière de vivre, traditions, qualité de l'enseignement, accessibilité des soins et du logement et sécurité "dans nos rues". "Bref, tout ce pour quoi nos ancêtres et nous-mêmes avons travaillé." De quoi hypothéquer les lendemains qui chantent, prophétise Tom Van Grieken. "On ne construit pas la Flandre de demain avec de nouveaux arrivants qui viennent commettre des crimes, profiter des allocations et imposer leurs règles religieuses."
Cause de tous les maux et au centre de tout: rares sont les thématiques qui ne sont pas prétextes pour y revenir. Bruxelles? Forcément, avec cette ville "accablée par la pauvreté, la criminalité, le terrorisme, la corruption et la mauvaise gestion", mais aussi par "la francisation et la migration de masse", tout comme sa périphérie. La culture, qui craint une guerre ouverte à son encontre? "Il est symptomatique que les organisations culturelles flamandes perdent leurs subventions, tandis que les organisations ethniques de migrants en reçoivent des millions." La Défense? "Comme ailleurs dans la société, en matière de recrutement, l'accent est mis sur 'la diversité'. La Défense ne cherche plus le meilleur soldat, mais le bon soldat en matière d'origine ethnique et de sexe." Le sport? "Limitation du nombre de joueurs non européens par club professionnel et par saison."
"Mêmes priorités, mêmes personnalités. Le Belang, c'est le Blok."
L'immigration, source d'un risque plus grand encore, celui de voir la population de la Flandre "remplacée"? Le programme est à moitié prudent; tout au plus s'inquiète-t-il de la baisse de la natalité et évoque-t-il un "dépeuplement" ("ontvolking"). Ceci encore: du fait de l'ampleur de "l'immigration massive", il pointe un "changement démographique".
Dans leurs déclarations, les figures de proue du Vlaams Belang s'avancent davantage. En brandissant le risque de "repeuplement" ("omvolking"), les députés européens Gerolf Annemans et Tom Vandendriessche font référence à la théorie complotiste du "grand remplacement", selon laquelle une élite mondialiste entend, en gros, compenser le manque de naissances par l'immigration et détruire la culture et l'identité européennes. Tom Van Grieken laisse dire et parle aussi "d'omvolking", tout en prétendant débarrasser la notion de ses oripeaux complotistes et "décrire une réalité". Le résultat final est plus ou moins le même. "Le Flamand n'est pas prêt à devenir une minorité dans son pays", assénait Tom Van Grieken en ce début juin.
"Law and order"
Pas étonnant, dès lors, que le programme bombe le torse et propose un sérieux tour de vis. Quitte à prendre des libertés avec le cadre réglementaire existant, Constitution en tête. On vous livre en vrac: durcissement des conditions d'accès à la nationalité; suppression de la double nationalité; retrait de la nationalité belge à qui est condamné à la prison pour trois ans ou plus. Prisons encore: "les étrangers criminels condamnés doivent purger leur peine dans leur pays d'origine". On ajoute les paramètres "nationalité et origine" à toutes les statistiques existantes, notamment en matière de criminalité. On diligente des enquêtes sur "toutes les mosquées actives, les organisations et les enseignants islamiques et les imams". Tant qu'à faire, on bazarde la reconnaissance du culte islamique.
Signalons au passage que l'Union européenne en prend pour son grade. Il est question d'un "empire" affichant un "inépuisable besoin d'expansion" et "d'extrémistes européens". Le traitement est radical: suppression du Parlement et relégation de la Commission à un rôle secondaire, de quoi laisser les coudées franches au Conseil, et donc aux États membres. "Reprendre le contrôle", résume le manifeste.
3. Le parti a-t-il changé?
Dans l'histoire du parti, le cru 2004 fait office de charnière. Condamnation par la cour d'appel de Gand de trois ASBL liées au Vlaams Blok pour infraction à la loi de 1981 sur le racisme – la fameuse loi Moureaux. Suite à quoi le Blok se mue en Belang. Changement radical ou simple ravalement de façade? "Le mouvement est purement stratégique, décortique Benjamin Biard. Filip Dewinter lui-même a parlé d'opération de manucure. D'ailleurs, lorsque le Belang célèbre son anniversaire, ce n'est pas en faisant référence à 2004, mais à la fondation du Blok fin des années '70. La volonté est claire: assumer la continuité, même si l'on gomme certains traits sur la base desquels le parti a été condamné." Mêmes priorités, mêmes personnalités, ramasse Laura Jacobs. "Le Belang, c'est le Blok."
"Le Belang a retenu la leçon de 2004 et fait tout pour éviter d'être condamné à nouveau, au risque de voir son financement public suspendu."
À quelques détails près. "Pour être juste, ils ont modernisé, donc modéré, certaines de leurs positions secondaires, notamment sur la sexualité, concède Cas Mudde. Sur le plan organisationnel, le parti est devenu plus fort, avec un chef dominant entouré de politiciens professionnels et loyaux. Ceci encore: alors que l'intention initiale était d'être un 'zweeppartij', un 'parti fouet' presque idéologiquement opposé au travail au sein du système, le Belang est devenu une formation désirant changer le système depuis l'intérieur."
"Jouer sur les deux tableaux"
Et puis, il y a l'effet Tom Van Grieken, qui reprend en 2014 les rênes d'un parti en crise existentielle. La voie à suivre est déjà tracée en France: dédiabolisation. "Afin d'élargir sa base électorale, Tom Van Grieken adopte un style un peu plus doux et rogne certains angles", glisse Laura Jacobs. "Même si la substance a peu changé, poursuit Carl Devos, Tom Van Grieken a rendu son parti un peu plus 'salonfähig', convenable." Une prudence stratégique, note Benjamin Biard. "Le Belang a retenu la leçon de 2004 et reste dans les clous de ce qui est légal. Il fait tout pour éviter d'être condamné à nouveau, au risque notamment de voir son généreux financement public suspendu."
Une dédiabolisation partielle, toutefois. Parce que certains épisodes contredisent cette stratégie, comme le recrutement de Dries Van Langenhove, issu de la mouvance Schild & Vrienden, ou le soutien affiché à ce dernier suite à sa condamnation à de la prison ferme pour violation de la loi sur le racisme et le négationnisme. Comme lorsque Tom Van Grieken s'en va fleurir, en 2023, la tombe de Karel Dillen, cofondateur du Blok, traducteur d'ouvrages négationnistes n'ayant jamais fait mystère de son admiration pour le nazisme.
Parce que, aussi, l'aile plus radicale du Belang n'a pas disparu. Prenez Filip Dewinter. En 2015, il est reçu par Bachar al-Assad. "En 2016, rappelle Benjamin Biard, il s'envole en Grèce avec deux parlementaires pour une rencontre avec des membres du parti néonazi Aube dorée." La sanction n'est guère mémorable: rappel à l'ordre et interdiction de contacts politiques à l'étranger sans l'aval de la direction. En 2017, le même Dewinter organise un safari de l'islam à Molenbeek, en compagnie de Geert Wilders. Même ses accointances chinoises ne lui ont pas (encore) valu de réelle disgrâce. C'est que le Vlaams Belang s'offre ainsi la possibilité de jouer sur deux tableaux à la fois, analyse Laura Jacobs.
Et que dire de la photo déterrée par Apache, montrant un jeune Ortwin Depoortere (secrétaire national du parti et candidat à la Chambre en Flandre-Orientale) effectuant un salut nazi lors d'une soirée du Nationalistische Studentenvereniging (NSV)?
Le jeu des 70 propositions
Afin de retracer l'évolution du Blok/Belang, rien de tel qu'un brin d'archéologie programmatique. Pour ce faire, nous avons exhumé les "70 propositions pour résoudre le problème de l'immigration" brandies par le Blok en 1992, afin de montrer que ses plans étaient réalisables. Qu'en reste-t-il?
Certaines propositions se sont évaporées, parce qu'elles ont été menées à bien... par d'autres partis. Il en est ainsi de la création d'un secrétariat d'État en charge de la Migration. Pour le reste, une vingtaine de pistes élaborées en 1992 figurent telles quelles dans la Bible électorale de 2024, dont bon nombre ont déjà été évoquées plus haut. Citons encore l'abolition du droit de vote des étrangers, parce qu'il s'agit là d'un "droit exclusif des citoyens flamands", la suppression de Myria, le Centre fédéral migration, ou encore la dissolution et la fin des subventions pour Unia, l'institution publique qui lutte contre la discrimination en Belgique.
Se pencher sur les positions les plus corsées, qui ont été évacuées, n'est pas inintéressant non plus. La création d'un enseignement séparé (et adapté aux besoins du pays de retour) pour les enfants d'étrangers non européens n'est plus; il est par contre question d'imposer un programme uniforme d'intégration linguistique d'un an à tout nouvel arrivant non néerlandophone.
Plus marquant: l'application stricte du principe "eigen volk eerst", soit "les Flamands d'abord", n'est plus frontalement exigée dans la fonction publique, sur le marché du travail, dans le logement social ou pour les prestations de services en général. Cela étant, la différence est minime. Le Belang 2024 entend en finir avec la discrimination positive sur le marché du travail. Pour l'attribution d'un logement social, cela reste "eerst onze mensen": priorité est donnée aux personnes ayant "notre nationalité et une connaissance suffisante du néerlandais". Priorité également au "peuple flamand qui travaille dur" sur le marché du logement en général. Le message véhiculé par Tom Van Grieken est limpide: "L'argent flamand doit aller en premier lieu aux Flamands". Minime, vous disait-on, voire inexistante.
Reste la question de la Sécu: l'accès à la protection sociale made in Vlaanderen est conditionné à une résidence de minimum huit ans sur le sol flamand, avec au moins trois ans d'emploi à temps plein et une connaissance suffisante de la langue de Vondel. Ce qui implique la création d'une caisse distincte de sécurité sociale et de soins de santé pour les étrangers non européens.
En 1992, il fallait uniquement accueillir les réfugiés politiques européens. Une exigence rayée en apparence, car le Belang s'oppose aux plans européens de répartition des demandeurs d'asile – ceux-ci doivent être accueillis "dans leur propre région". Ajoutez à cela une suspension des règles européennes en la matière, la fermeture de l'accès à la procédure d'asile à tout qui est entré illégalement en Europe, la réduction "de l'afflux de demandeurs d'asile ", la suppression du financement du "lobby des frontières ouvertes" et l'organisation d'un référendum sur la migration.
In cauda venenum: en 1992, la proposition 69 prévoyait le retour au pays des étrangers de première génération; tant qu'à faire, la numéro 70 réservait le même sort à ceux de deuxième et troisième générations. Plus rien de tel dans le programme actuel. Voilà peut-être la seule évolution notable.
4. La société a-t-elle évolué?
C'est l'autre versant de l'interrogation: la société belge a-t-elle changé de regard? "Certains pans se sont déplacés en direction du Belang", estime Carl Devos. Rejoint par Cas Mudde. "La politique évolue dans sa direction." Même si ce rapprochement est moins marqué en Belgique que dans d'autres pays européens.
Certains partis croient toujours pouvoir battre le Belang en débattant de ses thèmes favoris et lui chiper des électeurs en copiant ses propositions, constate Laura Jacobs. Avec ce souci: mettre la focale sur la migration conforte cette thématique comme centrale; or cette dernière "appartient" au Vlaams Belang – la N-VA l'a appris à ses dépens en 2019.
"Mettre la focale sur la migration conforte cette thématique comme centrale; or cette dernière 'appartient' au Vlaams Belang."
C'est ce qui s'appelle le "mainstreaming"; ou quand les partis traditionnels adoptent les positions de la droite radicale, dans une stratégie d'imitation. L'université d'Anvers s'est penchée sur la question: dans le viseur, l'évolution, au chapitre migratoire, des partis flamands entre 2014 et 2024, en passant par 2019. Qu'en retenir? Entre 2019 et 2024, ceux-ci ont couru derrière le Belang. Ce rapprochement est surtout le fait du CD&V, mais aussi de Vooruit et même du PVDA (PTB). Deux exceptions: Groen et l'Open Vld. Pareille évolution est aussi visible dans l'espace politique francophone, même si dans une moindre mesure, avec un positionnement plus droitier qu'en 2019.
La suite est connue: l'électeur finit par préférer l'original à la copie. "Conséquence de ce rapprochement, la frontière se déplace, ajoute Laura Jacobs. Et les partis antisystèmes peuvent devenir de plus en plus radicaux, puisqu'ils ne doivent rien appliquer." À moins qu'ils se frottent à l'exercice du pouvoir, avec ce que cela comporte comme responsabilités à endosser et compromis à nouer? "C'est une question difficile, reprend la politologue anversoise. L'expérience en Autriche et aux Pays-Bas nous enseigne ceci: une fois monté aux affaires, il y a de grandes chances qu'un parti de droite radicale perde les élections qui suivent." Banco, alors? Perdu. "Par contre, il a la faculté de se rétablir nettement plus rapidement qu'un parti traditionnel." En renfilant immédiatement son costume "anti-establishment".
5. Le Vlaams Belang a-t-il viré à gauche?
Le virage est connu. Dans le souci d'élargir son assise et se rendant compte que ses électeurs se trouvaient, plus que la moyenne, dans des classes défavorisées, le Vlaams Belang s'est mis à labourer le champ socioéconomique. Suivant la trace du RN français et empruntant des accents plus sociaux. Il n'en fallait pas beaucoup plus pour que certains le bombardent "à gauche".
"Le Vlaams Belang semble plus à gauche sur le plan socioéconomique, alors qu'il était auparavant un parti plus libéral, principalement favorable aux employeurs. Cela relève de l'apparence; dans de nombreux votes, il ne se range pas dans le camp des formations de gauche."
En méconnaissance de cause. Déjà, le parti ne se définit certainement pas de gauche, mais social. "Le Vlaams Belang semble plus à gauche sur le plan socioéconomique, alors qu'il était auparavant un parti plus libéral, principalement favorable aux employeurs, indique Carl Devos. Cela relève de l'apparence; dans de nombreux votes, il ne se range pas dans le camp des formations de gauche."
Oui, le programme milite pour une revalorisation des pensions (flamandes). Mais celles-ci sont calculées sur la base des "heures travaillées", passant sous silence les périodes assimilées. Ce qui n'empêche guère le Belang d'être favorable à une limitation dans le temps des allocations de chômage ou d'avoir voté en faveur des flexijobs et d'un durcissement de la loi sur les salaires. À l'Europe, il s'est opposé au salaire minimum garanti, à une résolution en faveur d'un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle ou à l'amélioration des opportunités pour les femmes sur le marché du travail.
Surtout, son agenda social est basé sur une solidarité exclusive et conditionnelle. "Le Belang traite différemment la 'vraie population' et les nouveaux arrivants, pose Laura Jacobs. C'est ce que l'on appelle du chauvinisme social, prouvant au passage que la migration reste le thème principal."
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