Le 7 octobre, "un échec colossal des renseignements israéliens"
Si les services de renseignements israéliens ont su redorer leur blason avec les récents assasinats ciblés de leaders du Hamas et du Hezbollah à Téhéran et à Beyrouth, les erreurs et les négligences qui ont permis le massacre du 7 octobre dernier continuent de traumatiser l'opinion publique dans l'Etat hébreu. Victimes civiles et responsables militaires témoignent.
"Il y a eu une explosion à deux heures du matin. J’ai roulé sur mon matelas. J’étais sûr que l’immeuble était bombardé. Je m’attendais à ce qu’il s’effondre. Je suis allé à la porte, quelqu’un nous appelait", raconte Luis Har, un otage du Hamas, enlevé lors du pogrom du 7 octobre.
Nous sommes à Tel Aviv, plusieurs mois plus tard. Luis Har nous raconte sa libération, et celle de son beau-frère Fernando Marman, au cours d’une opération conjointe de l’armée israélienne, de la police et du Shin Bet, l’agence de sécurité intérieure.
"Ils criaient: ‘Tsahal, Tsahal, nous sommes venus vous ramener à la maison’. Ils nous ont emmenés, en nous protégeant de leur corps. Nous avons couru. J’ai rejoint l’hélicoptère, puis nous sommes partis pour Israël". Luis et Fernando quittaient l'enfer de leur geôle à Rafah, où ils étaient séquestrés, selon leurs ravisseurs, "pour les échanger avec des prisonniers palestiniens".
"Je suis certain que ceux qui nous ont enlevés étaient drogués."
En quatre mois, il ne s’est jamais senti abandonné. "De temps en temps, en regardant par la porte de ma cellule, j’apercevais un bout d’écran. J’ai pu voir les manifestations pour nous à Tel Aviv", explique Luis Har. "Les gens du Hamas me disaient tous les jours que Netanyahou voulait notre mort". Pour tenir, il s’imaginait jouer avec ses petits-enfants.
Des médicaments lui étaient envoyés, mais ils restaient entre les mains du Hamas. "L’armée a retrouvé une boîte de pilules portant mon nom dans un hôpital de Gaza", dit-il. La Croix Rouge, sollicitée par les familles des otages, n’a jamais accepté de leur porter assistance.
Les confidences du geôlier
Luis Har a pu discuter avec son geôlier. "C’était un haut gradé du Hamas, différent des autres. Il me disait souvent: ‘Ici, c'est la Palestine, si vous êtes libre un jour, retournez chez vous, en Argentine, et pas dans les kibboutz, car dans deux ans, nous allons revenir pour tout détruire’."
Au fil des jours, il en apprit plus sur le massacre du 7 octobre. "Je suis certain que ceux qui nous ont enlevés étaient drogués", confie-t-il. "Un de mes ravisseurs m'a raconté que le jour de l’attaque, il avait reçu le message, à cinq heures du matin, de prendre des pilules et puis d’y aller".
"J’ai vu des femmes, des adolescents venir ici, continuer le massacre et tout voler."
Un massacre en deux vagues
Avec le recul, les circonstances de la tragédie du 7 octobre commencent à être mieux cernées. Mais les défaillances, côté israélien, ne sont pas encore établies. L’armée répète, inlassablement, que les conclusions de l’enquête seront tirées après la fin de la guerre. En attendant, des témoins parlent.
Nous nous rendons dans le sud du pays, au kibboutz de Nir Oz, où les terroristes islamistes ont massacré et enlevé 117 personnes, soit un habitant sur quatre de cette collectivité locale.
Ce village déserté offre une vision post-apocalypse nucléaire, où la nature reprend ses droits. Plus de la moitié des maisons sont calcinées et tiennent encore à peine debout, au milieu de chants d’oiseaux et d’arbres luxuriants.
Nous rencontrons Irit Lahav, une rescapée. "L’attaque a eu lieu en deux temps", dit-elle. "Entre 80 et 120 terroristes sont arrivés vers 6 heures du matin, après que l’alerte a été déclenchée. En fin d’opération, plus de 950 terroristes étaient ici, sur les 3.600 qui sont venus de Gaza ce jour-là".
La première vague était composée de combattants, mais après "j’ai vu des femmes, des adolescents venir ici, continuer le massacre et tout voler", poursuit-elle.
"Le 7 octobre, on a merdé"
Dès le début de l’attaque, le kibboutz a été défendu par une équipe de premiers répondants, une dizaine de civils censés tenir 20 minutes, selon le protocole, le temps que l’armée arrive. Très vite dépassés par des terroristes déboulant dans des pick-up Toyota, ils ont été tués.
Selon les témoignages, les premiers militaires sont arrivés à 14 heures. Pendant ce temps, les terroristes ont massacré hommes, femmes et enfants dans des conditions atroces. "J’étais enfermée dans la ‘safe room’. Nous pensions que l’armée viendrait d’une minute à l’autre. Mais il a fallu huit heures pour qu’elle arrive", explique Irit Lahav.
"Les gens ont le droit de nous reprocher de ne pas être arrivés à l’heure."
Nous nous rendons dans une base militaire de l’armée israélienne, où nous rencontrons des soldats de la 98e division. Depuis le 7 octobre, ces hommes sont déployés à Gaza pour y traquer le Hamas et rechercher les otages. Ils combattent dans des tunnels souterrains, où se trouvent terroristes et leurs victimes.
"Nous avons mis à jour 72 kilomètres de tunnel, enfouis jusqu’à 70 mètres. C’est la première fois dans l’histoire qu’une armée doit manœuvrer sous terre. Le sous-sol est le centre de gravité de cette guerre", explique un militaire ayant participé à la prise de Khan Younes, au sud de Gaza.
Interrogé sur son sentiment vis-à-vis des événements du 7 octobre, le militaire nous répond: "Vous voulez la version courte? Le 7 octobre, on a merdé", lâche-t-il. "Les premiers hommes sont arrivés à 14 heures. Les gens ont le droit de nous reprocher de ne pas être arrivés à l’heure."
La 98e division a perdu beaucoup d’hommes dans la bataille. Son commandant, le général de brigade Dan Goldfus, s’est illustré en mars dernier par un appel au gouvernement israélien à "être digne des soldats qui ont été tués", à assumer les conséquences du 7 octobre et à "repousser l’extrémisme".
Le message a été mal reçu par les autorités. Mais Dan Goldfus, un héros aux yeux des Israéliens, n’a pas été sanctionné.
"Ce drame a libéré la parole antisémite."
Les représailles de l’armée israélienne à Gaza ont entraîné la mort de plus de 35.000 civils et militaire palestiniens, selon le Hamas. Ces chiffres contribuent à isoler Israël sur la scène internationale.
Aborder cette question dans la rue israélienne éveille les passions. "Tout le monde nous déteste. Qu’est-ce qu’on leur a fait?", peste Amir, un chauffeur de taxi à Tel Aviv. "Les terroristes auraient pu arriver jusqu’ici et nous tuer tous. Depuis lors, les massacres et la guerre sont dans tous les esprits. Regardez les gens autour de vous: tout le monde agit ici comme s’il allait mourir le lendemain."
La montée de l’antisémitisme inquiète les Israéliens. "Jusqu’au 7 octobre, c’était mal d’être antisémite. Mais ce drame a libéré la parole antisémite", explique un diplomate israélien rencontré à Jérusalem et souhaitant garder l’anonymat. Il pointe, comme responsable, l’islamisme radical, porté par le régime iranien, les Frères musulmans, l’État islamique. Mais il ne vise pas les Palestiniens. "Nous ne sommes pas en guerre contre les Palestiniens. L’Autorité palestinienne a d’ailleurs condamné les atrocités commises par le Hamas", dit-il.
Ces événements pèsent lourdement sur la vie politique occidentale. Le gouvernement israélien compte sur ses alliés à la droite radicale de l’échiquier politique européen. "Le Rassemblement national, Vox, Geert Wilders", égrène le ministre de la Diaspora, Amichaï Chikli (Likoud, droite), "mais pas l’AfD, trop proche des néonazis", poursuit-il. Et en Belgique ? "J’ai été très heureux de voir votre Premier ministre pleurer après les élections", lâche-t-il. Sans filtre.
"Nous espérons qu'il y aura des élections"
On le sent dans les témoignages et les conversations, l’heure de vérité entre les Israéliens et le gouvernement Netanyahou approche. Les événements du 7 octobre ont été retournés, analysés dans tous les sens. "Ce qui s’est passé n’était pas un simple échec. C’était un échec colossal des renseignements", dit Ehud Yaari, journaliste à Channel 12 et expert du Moyen-Orient. "En attendant une guerre avec l'Iran, les Israéliens ont construit un mur avec le Hamas et limité leurs renseignements aux technologies. L’intelligence humaine a été négligée."
La guerre à Gaza se termine, du moins les combats à haute intensité. Dans ce contexte explosif et toxique, la tenue d’élections est dans tous les esprits. "Bibi (NDLR: Benjamin Netanyahou) essaye de contourner le système judiciaire et la police en restant au pouvoir. Il peut tout arrêter, ou prolonger la guerre. Nous espérons qu’il y aura des élections, car si c’est le cas, il perdra. Mais perdra-t-il suffisamment? Nul ne sait", conclut Ehud Yaari.
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