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analyse

Le grand trou du financement des infrastructures hospitalières à Bruxelles

Le CHU de Liège (ici, le Sart-Tilman) a été soutenu dans le cadre du plan de financement 2019-2023 de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Et l'est encore dans la seconde saison, 2024-2028, à hauteur de 159,46 millions d'euros. ©Valentin Bianchi / Hans Lucas

Wallonie et Fédération Wallonie-Bruxelles ont pris en main la construction et rénovation des hôpitaux en 2016 et alignent les plans d'investissements. Dans la capitale, la situation est complexe. Surtout: ses moyens seront-ils à la hauteur des défis?

L'air de rien, il se passe toujours quelque chose dans les hôpitaux. Quand ce n'est pas l'alerte générale sur l'état déplorable de leurs finances, ce sont de grandes manœuvres de rapprochement qui s'opèrent. Ou alors, cela parle briques et investissements à hauteur de plusieurs centaines de millions d'euros. En ce début 2025, c'est de ce côté-là que cela bouge. Jugez plutôt: à Bruxelles, les Cliniques universitaires Saint-Luc ont reçu le feu vert pour l'érection d'une nouvelle tour d'hospitalisation, la rénovation lourde du "socle médico-technique" et la réaffectation du bâtiment existant. Nom de code: "HospitaCité", ou parfois "New Saint-Luc", selon une tendance en vogue dans le secteur.

Plus frais encore: Vivalis, nouvelle appellation plus lisible et moins abstruse pour l'administration de la Commission communautaire commune de Bruxelles-Capitale (Cocom), vient de boucler un appel à projets auprès des hôpitaux (généraux et psychiatriques) non universitaires dans la capitale. L'objectif? Connaître leurs projets de (re)construction et de rénovation lourde à deux horizons: dans le détail pour les cinq ans à venir et dans les grandes lignes pour les cinq années qui suivent. Date limite de remise des dossiers: le 31 janvier 2025 – hier, en somme.

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Sainte-Émilie et 6ᵉ réforme de l'État

L'occasion en or pour se pencher sur la manière dont sont financées les infrastructures hospitalières en Belgique. Vous le verrez, ce n'est pas tellement plus simple que le système en place pour les soins prodigués à l'intérieur de ces murs. Et cela implique un détour institutionnel, puisque la matière a été communautarisée en 2014, foi de sixième réforme de l'État. Flandre, Wallonie et Fédération Wallonie-Bruxelles ont pris la main en 2016, après une période de transition, tandis qu'à Bruxelles, il a fallu attendre 2025.

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Auparavant, il s'agissait d'une compétence partagée. À la grosse louche, les communautés tenaient la barre des plans de construction, en finançant directement une partie (60% ou 10%), le niveau fédéral prenant en charge le reste et le distillant 33 ans durant par le biais du budget des moyens financiers (BMF). Réforme institutionnelle oblige, les moyens fédéraux sont transférés aux entités fédérées via des dotations devant servir à honorer les engagements du passé.

On l'a dit: en 2016, la Flandre a repris la main pour toutes les structures flamandes, en ce compris l'UZ Brussel, logé à Jette, et l'hôpital psychiatrique PSC Elsene. Côté francophone, les regards se tournent logiquement vers la Fédération Wallonie-Bruxelles, sauf que c'est plus complexe que cela. La FWB fait effectivement office d'autorité subsidiante pour les institutions académiques, liées à une université: Cliniques universitaires Saint-Luc, CHU de Liège, CHU UCL Namur Mont-Godinne et Erasme. Pour tous les hôpitaux généraux et psychiatriques installés en Wallonie, prière de vous adresser à la Région, via l'Agence pour une vie de qualité (Aviq), et ce au nom des accords de la Sainte-Émilie. Et encore, dans un souci de simplification, on ne vous parle pas de la Communauté germanophone.

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2,28
Milliards d'euros
Le second plan de construction hospitalier wallon, courant sur la période 2024-2028, affiche 2,28 milliards au compteur, dont 1,83 milliard doit être mobilisé d'ici à 2028.

Fatras bruxellois

Et à Bruxelles? Rien n'est jamais évident, dans la capitale. On a déjà mentionné la Flandre et la FWB. Auxquelles s'ajoute la Cocom, responsable des hôpitaux non universitaires. De tous? Non, puisque deux structures psychiatriques (L'Équipe et Parhélie) dépendent encore, par la grâce d'une facétie historique, de la Communauté communautaire française (Cofof). Sans doute plus pour longtemps: cette dotation-là étant appelée à s'éteindre, les chances sont grandes de voir ces brebis égarées rejoindre le giron de Vivalis (Cocom).

Flandre, FWB et Wallonie se sont depuis belle lurette dotées d'un nouveau modèle de financement, tandis que celui de Vivalis est entré en vigueur en janvier 2025. Petite bouffée de simplicité: Wallonie et FWB ont adopté des règles similaires. Tout part du "juste prix", soit la valeur théorique subsidiable maximale si l'on devait reconstruire à neuf. Chaque structure a le sien, fonction du nombre de mètres carrés, de lits et de biens d'autres paramètres. Une proportion (72,5% pour les hôpitaux généraux et 98% pour les hôpitaux psychiatriques) entre alors dans la danse: les autorités ne financent qu'une partie des coûts, le reste étant supporté par les honoraires. De là découlent une série de forfaits, dont les plus importants sont consacrés à la construction et l'entretien.

Le forfait "entretien" est liquidé sur dix ans, celui finançant la construction, sur vingt-cinq ans – pour autant que le projet ait été validé. Voilà qui oblige à recourir à l'emprunt bancaire. La liquidation de ces forfaits est particulière, puisque ces coûts sont intégrés au prix de la journée d'hospitalisation versé aux hôpitaux par les mutualités. Ce qui a deux conséquences. D'une part, un lien, pas forcément limpide, est établi entre des frais de construction et l'activité de l'hôpital, un recul de cette dernière signifiant, à terme, moins d'argent pour bâtir. D'autre part, par la magie des normes comptables SEC, les montants investis sortent du périmètre de la dette des autorités, étant considérés non comme des investissements spécifiques pour une institution, mais en tant que transferts sociaux en nature, ayant pour objectif de réduire le prix payé par les patients lors de leur expédition hospitalière.

"Au moment du lancement des plans de construction, l'âge moyen des infrastructures tournait autour de 40 ans, avec une isolation datant de la même époque, ce qui débouchait sur des factures énergétiques colossales."

Philippe Devos
Directeur général d'Unessa

Des investissements par milliards

C'est ardu? Le plus concret suit. Depuis la prise en main de la compétence en 2016, les plans de construction se succèdent. En Wallonie, un premier plan 2019-2023 est doté de 2,3 milliards d'euros; là-dedans, une première tranche de travaux à 1,47 milliard devant être exécutés avant 2023. Le second plan est voté en avril 2024: 2,28 milliards au compteur, dont 1,83 milliard doit être mobilisé d'ici à 2028. L'objectif wallon? Permettre une reconstruction complète du parc hospitalier par cycle de trente-cinq ans. Total? Au moins 3,3 milliards d'investissements en dix ans.

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De son côté, la Fédération Wallonie-Bruxelles ne se tourne pas les pouces. Budget du premier plan 2019-2023? 91,62 millions. En mai 2024, une seconde saison à 438 millions voit le jour, prévoyant 424,4 millions pour les travaux de construction, le solde étant affecté aux équipements lourds. Par ailleurs, des engagements pour 2029 sont pris, s'agissant de projets déjà approuvés, mais devant être glissés dans un troisième plan de construction, débutant en 2029. On parle de 208 millions pour "New Erasme", avec 55,02 millions de plus figurant au plan 2024, et de 174,9 millions pour "New Saint-Luc", s'ajoutant aux 171,56 millions validés en 2024.

L'existence de ces plans est une bonne chose, souligne Philippe Devos, directeur général d'Unessa, la Fédération de l’accueil, de l’accompagnement, de l’aide et des soins aux personnes. "Au moment du lancement, l'âge moyen des infrastructures tournait autour de 40 ans, avec une isolation datant de la même époque, ce qui débouchait sur des factures énergétiques colossales. Nous avions un souci et du retard sur la Flandre, où l'âge moyen était de 15 ans." Une bonne chose, perfectible par ailleurs. "Un des enjeux consistera à introduire des critères de choix et à travailler en fonction d'objectifs de santé ou de durabilité." Sans oublier la capacité d'emprunt des institutions. "Il est de plus en plus difficile d'emprunter sur 30 ans." Et de louer, au passage, le solide coup de pouce fourni par la Banque européenne d'investissement. "Sans elle, rien n'aurait pu démarrer."

"Sans gouvernement à Bruxelles, on ne pourra pas démarrer de construction majeure en 2025."

Nathalie Noël
Directrice générale de Vivalis

En attendant un gouvernement bruxellois

Dans la capitale, c'est l'ancien système qui a prévalu jusqu'à l'aube de 2025. Et donc pour l'ancien plan de construction, censé s'étaler de 2009 à 2018 mais ayant été étiré jusqu'en 2022 afin de faire face à l'indexation des montants concernés. Enveloppe totale: 525 millions. Ce qui représenterait, à l'heure actuelle, quelque 800 millions, après une mise à jour suivant l'indice construction, fait-on valoir chez Gibbis, la fédération bruxelloise des institutions de soins. Parmi ses résultats les plus visibles, citons l'Institut Bordet (coût de construction: 320 millions) et l'hôpital Delta (314 millions).

Le nouveau système ressemble assez fort à celui en vigueur au sud du pays, à ceci près que la liquidation des sommes allouées est déconnectée de l'activité hospitalière. Tout part aussi d'un "juste prix", sauf qu'il se nomme "plafond de construction". Par ailleurs, ne dites pas "forfait" mais "subvention", déclinée sur dix ans pour l'entretien et vingt ans pour la construction. Ici aussi, la déconsolidation budgétaire est de mise.

Avant 2025, environ 70 millions d'euros annuels découlaient du BMF fédéral, en sus desquels la Cocom injectait 20 millions. 72,15 millions, telle est d'ailleurs la dotation calculée dans le cadre de la réforme de l'État. Supposée couvrir, à Bruxelles, les charges du passé, voire quelques menus investissements supplémentaires. Sauf que ce montant ne suffit même pas à régler les engagements pris avant 2025, facturés 80,78 millions par an, relève Nathalie Noël, directrice générale de Vivalis. Ce qui aboutit à une perte sèche de 8,63 millions.

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106,18
Millions d'euros
Sur la période 2025-2029, Vivalis ne pourra injecter que 106,18 millions afin de financer la construction ou la rénovation des infrastructures hospitalières à Bruxelles. Et 124,95 millions entre 2030 et 2034. Soit un total de 231,13 petits millions sur 10 ans... à moins que de nouveaux budgets soient débloqués.

Ce total de 90 millions reste la boussole par défaut du financement des infrastructures bruxelloises, nouvelle mouture. Mouture qui se fonde pour l'heure sur la vision développée dans le Plan social santé intégré (PSSI) concocté par la majorité sortante, à défaut d'une politique de santé tissée par une nouvelle majorité héritée du scrutin du 9 juin 2024. "La dotation annuelle est de 90,8 millions, dont 65 millions sont consacrés aux investissements", confirme Nathalie Noël.

Sauf qu'on l'a dit, on ne fait pas table rase des décisions prises précédemment, dont les effets s'éteindront progressivement au cours des 33 prochains crus. Aussi, sur la période 2025-2029, seuls 106,18 millions seront-ils disponibles pour financer de "nouveaux mètres carrés". Ce sera à peine plus pour 2030-2034: 124,95 millions. Soit 231,13 petits millions... pour dix ans! Et encore: il faut un exécutif pour inscrire concrètement ces sommes au budget. "Sans gouvernement, on ne pourra démarrer de construction majeure en 2025."

Quelles sont les demandes du secteur? On l'a dit, Vivalis a demandé à "ses" hôpitaux de rendre une feuille de route à dix ans pour le 31 janvier. Impossible dès lors de déjà connaître le montant total des plans dessinés sur la comète bruxelloise. Reste que Gibbis a planché sur une estimation en 2020, actualisée depuis lors: pas moins de 475 millions, à prendre avec des pincettes.

"Il y a un certain sens de l'urgence, d'autant plus que les autres entités n'ont pas attendu pour investir. Si l'on fonctionne avec un plan à 100 millions réservés aux seules situations urgentes, on va accumuler au moins dix ans de retard!"

Dieter Goemaere
Directeur "hôpitaux" chez Gibbis

La capitale, à la ramasse?

Toutefois, une certitude s'impose: les projets déposés exploseront largement les enveloppes existantes (231,13 millions à dix ans). Un petit coup de sonde permet de le prouver. Projets innovants à Bordet et rénovation à l'Huderf, où certaines unités de soins ont plus de 40 ans dans les pattes: les plans introduits par l'Hôpital universitaire de Bruxelles (HUB) avoisinent les 160 millions, situe son directeur général adjoint, Francis de Drée. Aux Cliniques de l'Europe, on mise sur un total de 180 millions (60 dans un premier temps, 120 par la suite), notamment pour ériger un nouveau bâtiment centralisant les fonctions de support et logistiques, afin de dégager de la place pour la prise en charge des patients au sein des structures existantes. Deux coups de fil... et un budget déjà largement dépassé.

"Bruxelles est enfin dotée d'un système qui tient la route, c'est déjà ça, commente Dieter Goemaere, directeur "hôpitaux" chez Gibbis. Cela étant, il y a pour nous un certain sens de l'urgence, d'autant plus que les autres entités n'ont pas attendu pour investir. Si l'on fonctionne avec un plan à 100 millions réservés aux seules situations urgentes, on va accumuler au moins dix ans de retard!"

Or il est primordial que la capitale lance un plan d'investissements, fait valoir Francis de Drée. "Des équipements de qualité constituent un facteur d'attractivité. Bordet et Delta sont des exemples flagrants, où l'activité a augmenté depuis l'inauguration." Même son de cloche auprès d'Anne Charlier et Catherine Fabry, respectivement directrice financière et directrice opérationnelle des Cliniques de l'Europe. "Nous avons besoin de clarification et de visibilité le plus rapidement possible. Si le budget est bloqué à 100 millions alors que les autres entités avancent, quel avenir pour les hôpitaux bruxellois?"

Chez Vivalis, on ne tombe évidemment pas des nues. "Il est raisonnable de penser qu'il existe un fossé entre le budget disponible et la réalité des besoins", glisse Nathalie Noël. Réalité des besoins que l'administration est en train d'étudier. Autrement dit, il faudra débloquer des enveloppes supplémentaires. "Les moyens sont limités et les hôpitaux, en difficulté; aussi faut-il que chaque euro investi le soit à bon escient. Tel est mon message au formateur bruxellois: avant d'injecter des centaines de millions, posons-nous et définissons une stratégie de long terme, réfléchissons à l'avenir du secteur."

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