Mathieu Michel: "Pourquoi faire du mal à un secteur qui paiera les pensions de demain?"
Le secrétaire d'État à la Digitalisation ne veut rien lâcher sur la réforme des droits d'auteur qu'il juge contreproductive en l'état. Il estime, plus globalement, que le numérique mériterait un ministère à part entière.
Sur le dossier des droits d’auteur et l’idée d’en supprimer l’usage pour le secteur technologique. Quelle est votre position?
Il faut comprendre que lorsque l’on négocie pendant des heures plusieurs nuits d’affilée, l’impact de certaines mesures et de certains éléments n’est pas identifiable immédiatement. Mais par contre, l'intelligence politique, c'est aussi de prendre le recul après et de se dire ok, quel est l'impact? Aller flinguer tout un secteur pour seulement 70 millions, est-ce que ça en vaut la peine? Non, c’est évident. Moi, très clairement, je pense qu'on ne peut pas se permettre de faire mal à un secteur qui va payer les pensions de demain. L’impact que pourrait avoir ce texte sur un secteur qui, pour grande partie, a des taux de croissance à deux chiffres et est le secteur qui engage le plus aujourd'hui - et qui voudrait d'ailleurs engager encore plus -, est difficilement acceptable.
Va-t-on vers un blocage dans ce dossier?
Nous sommes en tout cas terriblement déterminés sur cette question. Mais le MR se sent un peu seul et nous sommes un peu surpris de la position de l'Open VLD en la matière. Je ne peux pas imaginer qu'à un moment donné, le Premier ministre ne va pas prendre conscience de l'impact de ce qui est en train de se passer.
"Je ne peux pas imaginer qu'à un moment donné, le Premier ministre ne va pas prendre conscience de l'impact de ce qui est en train de se passer."
Les entreprises technologiques dont on parle ont déjà des sièges d'exploitation dans d'autres pays et ont de l'actionnariat qui n'est pas uniquement belge. Si ces boites restent chez nous, c'est quelque part économiquement déraisonnable. Elles le font parce qu’elles ont un attachement viscéral à un territoire.
Votre rôle est-il d’être le premier défenseur du secteur technologique?
Oui, cela me semble clair. Je ne passe pas mon temps dans les médias, une grosse partie de mon travail se fait de façon très discrète, et ces derniers jours, il y a eu beaucoup d’interventions de ma part sur le sujet, car c’est mon rôle. Mais, comment dire, avec le poids qu’un secrétaire d’État peut avoir. Au niveau du MR, je ne me sens pas seul. Au sein du gouvernement, c’est plus compliqué. Je pense que le fait que le secteur soit beaucoup plus vocal maintenant, c'est fondamental. Il doit être entendu.
"Le secteur technologique n'est pas du genre à aller manifester tous les dimanches, mais il doit être entendu."
Vous suggérez au ministre Van Peteghem d'abandonner son idée?
Ma position est très claire: ce texte n’est pas adapté à ce dont on a besoin aujourd'hui. Il faut trouver d’autres recettes ou les remplacer par quelque chose de moins impactant. Après soyons clair, je reste loyal par rapport au gouvernement. La maturité politique, c’est aussi de percevoir si l’orientation que l’on prend a un impact qui est contreproductif. Et c’est ce qui va se passer avec ce texte.
Laurent Hublet a exprimé sa déception sur la politique fédérale en matière de numérique et a quitté le groupe des Digital Minds qui vous conseille. Vous comprenez sa décision?
Laurent Hublet a exprimé sa déception sur un manque de vision. Pour moi, le problème est qu’il y a trop de visions. On vit dans un contexte institutionnel excessivement complexe en Belgique. On dit qu’il y a neuf ministres de la Santé, mais alors, il y a 50 ministres du digital. Le travail qui a été fait avec les Digital Minds, j’en suis très fier, mais il faut trouver le moyen de le vocaliser et cela prend du temps. Le secrétaire d’État, ce n’est pas le chef du pays, même en matière de numérique. La meilleure façon pour moi de donner de l’impact à ce travail, c’est une conférence interministérielle. Les dix ambitions validées par les Digital Minds seront dévoilées très prochainement. L’idée est d’amener ce travail sur la table de tous les gouvernements, car je ne suis pas le seul à décider.
Le numérique n’est-il pas devenu trop important pour le confier à un secrétaire d’État?
Oui. Il faudrait un véritable ministère du digital. Mais la lucidité globale sur l’enjeu n’a pas encore percolé.
On vous a reproché de vouloir créer une alternative publique à Itsme, l'application d'authentification qui a convaincu 8 millions de Belges. Quelles sont vos intentions?
Nous avons des discussions avec Itsme pour voir comment leur rôle peut évoluer à l’avenir, car cela sera une porte d'entrée vers le futur portefeuille digital des Belges. Aujourd’hui, c’est une société privée, même si la SFPI en est actionnaire. Comment est-ce que Itsme peut nous garantir que quoi qu’il arrive, le service sera assuré? Mon job est d’être un bon père de famille et de m’assurer que si un jour Itsme n’est plus là, on est protégé avec une solution de repli. Mais pour l’instant, cela semble inaudible comme discours.
La loi visant à réformer l'Autorité de Protection des données (APD) arrive au parlement. Une fois votée, cette institution devenue vitale sera-t-elle exorcisée de ses démons?
L’idée est de remettre l'APD dans un schéma où elle est davantage respectée et en capacité de mordre. C'est essentiel parce qu'on sait que l'innovation et la confiance sont fondamentales. Et un des aspects de la confiance, c'est notamment la protection de la vie privée, il faut que les gens soient en confiance par rapport à ça. C’est clair que les mois qui ont précédé mon arrivée ont mis en évidence à quel point l'APD pouvait suggérer pas mal de questions par rapport à d’éventuels conflits d'intérêts ou autres. L'indépendance de l'APD posait un certain nombre de questions, son fonctionnement était interpellant. Et enfin, c’était essentiel d’augmenter l'expertise de l'APD au moment où l'on doit interconnecter vie privée et technologie. Travailler sur un texte qui s’attaque à ces trois points a pris du temps, mais c’était nécessaire. On sait que c'est une institution qui est sensible et il faudra donc rester très attentif pour voir comment les choses s’implémentent.
La présidente de l’APD réclame plus de moyens et s’inquiète de la réduction du délai pour remettre des avis. Êtes-vous favorable à l’augmentation du budget de l’APD?
Nous nous sommes battus pour cette augmentation de budget. Passer de 9 à 14 millions, si ça, ce n'est pas une augmentation ambitieuse, je ne sais pas ce que c’est. Avec une augmentation de moyens de cet ordre, je trouve cela légitime d’attendre en retour des délais d’avis plus courts.
- "Le texte qui réforme les droits d'auteur n’est pas adapté à ce dont on a besoin aujourd'hui."
- "Mon job est de m’assurer que si un jour Itsme n’est plus là, on est protégé avec une solution de repli."
- "Si faire passer le budget de l'APD de 9 à 14 millions n'est pas une augmentation ambitieuse, je ne sais pas ce que c’est."
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