Démanteler Google, une option vraiment réaliste?
Le ministère américain de la Justice a détaillé les mesures envisagées pour s'attaquer à l'ultradominance de Google. Restructurer le groupe serait une option. Vraiment?
La fin du géant Google sous sa forme actuelle serait-elle proche? Après une succession de condamnations, notamment pour abus de position dominante de son moteur de recherche, le groupe américain est une nouvelle fois la cible de la justice américaine. Ce mardi, le ministère américain de la Justice a déposé un document de 32 pages présentant les grandes lignes envisageables pour mieux encadrer l'activité du groupe et ouvrir davantage le marché à la concurrence.
"En créant des outils comme Android ou Chrome, Google a construit tout seul son monopole."
Parmi les propositions, on retrouve notamment: "Restreindre ou éliminer les accords de recherche par défaut, les préinstallations et les accords de partage de revenus", résume le site spécialisé TechCrunch. D'autres propositions sont, en revanche, bien plus radicales, comme celle "d'envisager des mesures structurelles pour séparer Chrome, Play et/ou Android de Google", peut-on encore lire dans le rapport. Autrement dit, si une telle mesure était prise, Google devrait créer de nouvelles entreprises distinctes pour chacun de ses différents outils. Une fois encore, l'hégémonie du groupe est donc remise en question. Analyse en cinq points de cette nouvelle opposition aux enjeux mondiaux.
Pourquoi le ministère de la Justice s'attaque-t-il à Google?
Ce n'est pas vraiment nouveau, Google est aujourd'hui dans une position d'ultradominance dans son secteur. Entre 90 et 95% des recherches sur internet passeraient par son moteur. Si ce positionnement est problématique, c'est surtout en raison de la manière dont il a été obtenu.
"En créant des outils comme Android ou Chrome, Google a construit tout seul son monopole", souligne Axel Gautier, professeur d'économie à HEC Liège. Ses multiples produits et plateformes se croisent et se soutiennent avec une telle ingéniosité que l'émergence de concurrents sérieux est presque impossible.
L'arrivée de l'IA permet toutefois à de nouveaux acteurs de commencer à revendiquer une petite place sur le marché. C'est notamment le cas pour ChatGPT et Perplexity. "On voit effectivement qu'à moyen terme, ce genre d'acteurs pourrait s'installer, mais on en est encore très loin et rien n'est sûr qu'ils y arriveront", relativise toutefois le professeur. Pour relancer la concurrence, un encadrement de Google semble donc indispensable. Reste à savoir comment.
Un démantèlement est-il vraiment possible?
Sur le papier, ce n'est en tout cas pas impossible. En pratique, cela semblerait toutefois un pari audacieux. Cette option de changements structurels profonds n'est d'ailleurs qu'une option parmi d'autres.
"Il est certain que Google fera tout pour ne pas arriver à un démantèlement."
"Il y a d'ailleurs probablement une stratégie derrière cette annonce. Elle pourrait pousser Google à chercher spontanément des alternatives et permettre d'entamer des négociations avec le groupe", explique Axel Gautier. "Il est en tout cas certain que Google fera tout pour ne pas arriver à une telle situation".
Dans ce dossier, le temps pourrait être un atout pour le groupe. Le résultat des élections américaines pourrait, en effet, changer la donne. "Sur ce genre de questions, les républicains préfèrent habituellement laisser faire le marché", rappelle le professeur. De son côté, Kamala Harris pourrait aussi être moins agressive sur la question que Joe Biden, même si sa position sur la thématique est encore assez floue.
Quelles seraient les conséquences?
Si Google compte tout faire pour ne pas arriver à un démantèlement, c'est évidemment parce que le groupe a beaucoup à perdre. "La très grande majorité du modèle économique tourne autour de son moteur de recherche, qui ramène des revenus via les annonces payantes.
Chrome et Android ont d'ailleurs comme principale utilité de ramener l'utilisateur vers le moteur de recherche", explique le spécialiste. "En séparant ces activités, le groupe devrait donc trouver un nouveau modèle économique pour les monétiser".
L'argument fait d'ailleurs partie de la défense de Google, qui estime que le groupe serait "brisé" en cas de démantèlement. Google assure par ailleurs que ses contrats payés aux marques pour valoriser Android et Chrome valent des milliards et qu'en y renonçant, l'utilisateur sera affecté, d'une manière ou d'une autre. "C'est presque impossible à calculer, mais il est certain qu'en cas de démantèlement, Google devrait trouver des revenus ailleurs", explique le professeur d'économie.
Quelles sont les alternatives?
La plus évidente est de trouver une solution pour laisser une chance à la concurrence de vraiment émerger. Pour cela, des mesures comme celles prévues dans le Digital Markets Act de Google semblent être des pistes intéressantes. " Aujourd'hui, sur un nouvel ordinateur en Europe, l'utilisateur doit avoir le choix de l'outil qu'il va utiliser", rappelle Axel Gautier.
"Le régulateur doit sans doute être prêt à assumer une dégradation temporaire de l'offre aujourd'hui, qui permettrait de voir émerger de vraies alternatives demain."
Étendre ce genre de mesure aux États-Unis permettrait de renforcer la puissance de cette législation, et donc son intérêt pour la concurrence.
"Le régulateur doit sans doute être prêt à assumer une dégradation temporaire de l'offre aujourd'hui (comme pour Google Maps, désormais accessible bien moins facilement, NDLR) mais qui permettrait de voir émerger de vraies alternatives demain. Il semble assez juste de penser que l'innovation et la qualité du service sont meilleures dans un marché où plusieurs entreprises s'affrontent".
Une première dans le monde de la tech?
Ce n'est évidemment pas la première fois que la question d'un démantèlement dans le monde de la tech se pose. Le cas le plus emblématique fut celui de l'opérateur américain AT&T. Dans les années 1980,Face à sa position de leader sur le marché télécom, les autorités américaines décidèrent de forcer le groupe à se scinder avec d'un côté, l'activité régionale et les appels longue distance, de l'autre. En 2001, Bill Clinton avait également tenté de démanteler Microsoft. Le président était plutôt inquiet de l'archidominance de son système d'exploitation Windows et son navigateur Internet Explorer. Le processus de démantèlement n'est finalement pas allé jusqu'à son terme, l'administration Bush junior ayant renoncé au projet.
- Le ministère américain de la Justice envisage des mesures pour limiter l'ultradominance de Google.
- Google pourrait être contraint de séparer ses services comme Chrome et Android.
- Le géant américain fera tout pour éviter une telle situation.
- Sans mesure, l'émergence d'une véritable concurrence ne semble pas réaliste.
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