Depuis ce 1er septembre, si vous décédez en laissant deux enfants, ils auront ensemble droit à la moitié de votre succession, soit un quart pour chacun. Quant à l’autre moitié, vous en disposez comme vous voulez. Rien ne vous empêche donc de la léguer à votre fils lui-même actif dans l’entreprise, afin qu’il dispose au total des trois quarts de votre patrimoine, tandis que votre fille, qui mène une tout autre carrière, recevra un quart. La question est cependant de savoir si c’est bien ce que vous souhaitez: la plupart des parents veulent mettre leurs enfants sur le même pied. Mais peut-être n’avez-vous plus (beaucoup) de contact avec votre fille.
Léguer l’entreprise familiale à l’un et un patrimoine équivalent à l’autre
Si vous ne souhaitez pas défavoriser votre fille mais malgré tout laisser l’entreprise familiale à votre fils, vous pouvez lui léguer des biens dont la valeur équivaut à celle de l’entreprise familiale. Par exemple une maison, une seconde résidence et/ou un portefeuille-titres.
Faire donation de l’entreprise familiale à tous les enfants, mais en confier le contrôle à un seul par une structure ad hoc
"Si la quasi totalité de votre patrimoine se trouve dans l’entreprise familiale, d’autres options doivent être envisagées, mais toutes ne sont pas toujours praticables, indique Nathalie Seppion, planificatrice patrimoniale à la Banque Degroof Petercam. Le père peut donner les actions de la société à ses deux enfants, tout en mettant en place une structure de contrôle. Le fils obtient ainsi la mainmise sur l’entreprise, mais le patrimoine appartient aux deux enfants. Éventuellement, le fils peut racheter les parts de sa sœur après un certain nombre d’années."
Quid si vous n’avez pas pris de telles dispositions et que votre fille en fin de compte n’atteint pas la réserve légale à laquelle elle a droit, à savoir un quart de votre patrimoine? Selon les anciennes règles, les héritiers avaient droit à leur réserve "en nature". Si la totalité de votre patrimoine se trouvait dans l’entreprise familiale et que votre fille n’en obtenait donc pas le quart, votre fille aurait pu exiger les parts de la société à concurrence de sa réserve.
Nouveau
Selon les nouvelles règles, votre fille ne peut plus désormais revendiquer que la valeur de ce paquet d’actions. Autrement dit, elle ne peut plus exiger que son frère rapporte ses actions dans la succession. Il faudra évidemment que votre fils dispose de suffisamment de liquidités pour verser une compensation qui permette de rétablir la réserve de sa sœur et que votre fille se contente de la contrepartie des actions en argent.
Faire donation de l’entreprise familiale sous réserve d’usufruit
Si vous souhaitez continuer à puiser des revenus de l’entreprise familiale, vous pouvez la donner sous réserve d’usufruit à l’un de vos enfants, votre fils dans notre exemple. Il devient alors nu-propriétaire jusqu’à votre décès, tandis que vous continuez à percevoir les dividendes, afin de pouvoir conserver votre niveau de vie.
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Mais cela ne résout pas le problème de la réserve légale de votre fille, qui a droit à un quart de vos biens. Pour vérifier qu’elle reçoit bien ce à quoi elle a droit, le notaire reconstitue à votre décès la "masse fictive" de votre patrimoine: il fait l’addition de ce que vous possédiez encore au moment du décès et de tout ce que vous avez donné de votre vivant.
Comment les actions données sont-elles valorisées?
Pour recomposer la masse fictive, on tient compte des éléments suivants: la donation des actions de l’entreprise familiale a-t-elle été faite en pleine propriété ou en nue-propriété? La donation a-t-elle eu lieu avant le 1er septembre 2018 ou après?
1. Vous avez donné la pleine propriété des actions de l’entreprise familiale
Dorénavant, si vous avez donné la pleine propriété des actions, celles-ci seront évaluées au jour de la donation et cette valeur sera indexée jusqu’à la date du décès. En cas de décès avant le 1er septembre 2018, les actions données sont en principe évaluées à la date de la donation.
Supposons que vous ayez un fils et une fille, Marc et Anne. Au moment où vous faites donation des actions de votre entreprise à Marc, elles valent 100 euros chacune. Lorsque vous décédez quelques années plus tard, elles valent 150 euros, en grande partie grâce aux efforts déployés par Marc dans l’entreprise.
Si le décès est survenu avant le 1er septembre 2018, Marc devra rapporter ces actions à la valeur de 100 euros. "C’est logique puisque l’augmentation de valeur des actions depuis la donation résulte uniquement de ses efforts personnels. Les 50 euros supplémentaires ne reviennent donc pas à votre fille et Marc ne doit pas partager cette augmentation de valeur avec Anne pour calculer la réserve légale de celle-ci", selon Alain Van Geel, du bureau d’avocats Tiberghien.
2. Vous avez donné la nue-propriété des actions de l’entreprise familiale
Si votre décès survient après le 31 août 2018, votre fils devra rapporter les actions qu’il a reçues avec réserve d’usufruit à la valeur à la date du décès, soit 150 euros. Dans ce cas, votre fils doit partager la plus-value de 50 euros avec sa sœur qui n’est pas active dans l’entreprise familiale. "Dans cette situation, l’éventuelle plus-value est désormais prise en compte pour fixer les parts d’héritage des enfants. Votre fils est donc en bien plus mauvaise posture dans le nouveau régime", poursuit Alain Van Geel.
Heureusement, il y a moyen de réagir et ce, de deux manières.
→ La déclaration de maintien
Si vous avez donné les actions de l’entreprise familiale avec réserve d’usufruit avant le 1er septembre et si vous souhaitez que les actions continuent à être évaluées au jour de la donation et non pas au jour du décès, vous devez faire ce qu’on appelle une "déclaration de maintien" chez un notaire.
ATTENTION!
Vous avez un an – soit jusqu’au 1er septembre 2019 – pour ce faire, mais ne tergiversez pas trop. Si vous faites une déclaration de maintien, vous êtes assuré que le notaire lors du partage de votre succession ne tiendra pas compte de la plus-value que votre fils a réalisée après la donation. Cette plus-value reviendra alors exclusivement à votre fils.
Si vous décidez de faire une déclaration de maintien, TOUTES les donations que vous avez faites avant le 1er septembre seront évaluées selon les anciennes règles. Ce qui peut aussi avoir des effets non désirés. Parlez donc franchement avec votre notaire avant de faire votre choix.
Si vous ne faites pas de déclaration de maintien, il se peut que cela mette à mal des dispositions que vous avez prises antérieurement. "Si votre fils a réussi à faire grimper la valeur des actions qu’il a reçues sous réserve d’usufruit, par exemple de 100 à 300 euros, et si vous n’avez pas fait de déclaration de maintien, votre fille peut au moment du partage de votre succession revendiquer la plus-value de 200 euros réalisée par votre fils. Et ce, alors que votre fille n’y est absolument pour rien et que votre fils croyait que cette plus-value lui revenait intégralement", prévient l’avocate Elisabeth De Nolf, de HVG Law.
→ Le pacte successoral ponctuel
Désormais, il est possible de résoudre ce problème grâce à un pacte successoral ponctuel, tant pour des donations réalisées avant le 1er septembre 2018 que pour des donations effectuées après cette date, y compris donc des donations futures d’actions sous réserve d’usufruit.
Faites toujours un pacte successoral ponctuel en cas de donation d’actions de l’entreprise familiale.
"Grâce aux pactes successoraux ponctuels, les futurs héritiers peuvent passer des accords ou prendre des décisions sur des aspects très précis d’une donation ou d’une succession. Ainsi, ils pourraient très bien fixer définitivement la valeur d’une donation", précise-t-on à la Fédération du Notariat. Dans ce contrat, le père, ensemble avec son fils et sa fille, peut convenir que la valeur des actions de l’entreprise familiale ayant fait l’objet d’une donation doit être bloquée à la valeur au jour de la donation.
"Mais il faut pour cela l’accord de tous les enfants, et donc aussi de votre fille non active. Obtenir son accord ne posera peut-être pas de problème dans le cadre d’une bonne entente familiale, mais la recherche de cette entente peut aussi réveiller certaines querelles", prévient Alain Van Geel.
"Le risque existe que votre fille aille chercher la petite bête et veuille tirer le dernier sou de la plus-value qui est due aux efforts de son frère", ajoute la planificatrice patrimoniale Nathalie Seppion. Le conseil est donc de toujours faire un pacte successoral ponctuel au moment de la donation d’actions de l’entreprise familiale. Même si les spécialistes craignent déjà que l’accord de tous les enfants concernés sera la principale pierre d’achoppement pour parvenir à conclure ce pacte.