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"Petits travaux pour un palais", de László Krasznahorkai: une œuvre à fermentation lente

László Krasznahorkai. ©Getty Images

Avec "Petits travaux pour un palais", l’écrivain hongrois László Krasznahorkai repousse les limites de l’imaginable en sculptant un fascinant monologue intérieur.

S’il fallait une porte d’entrée à l’œuvre monumentale de László Krasznahorkai, au sens de sa valeur autant que de son empan, ce court roman en est une de choix. Le lecteur curieux aurait tort de ne pas la franchir.

Cette porte étroite est vertigineuse, qui s’ouvre à la fois sur le dedans, et le dehors d’un univers clos. À la New York Public Library travaille un archiviste scrupuleux jusqu’à l’obsession. Pour son malheur ou son bonheur, il s’appelle Herman Melvill, sans lien de parenté. Clin d’œil de László Krasznahorkai que d’aucuns comparent souvent à l’auteur de "Moby Dick". Mais son univers rejoint aussi celui du Thomas Bernhard de "Oui" (Folio) par cette longue phrase d’un intérieur de tête qui se vide. À la banalité et au temps qui fuit, ses personnages opposent, l’immuable, posément, en réfractaires au monde tel qu’il va.

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La vertu d’un isolement fécond

Herman Melvill vit à Manhattan comme son illustre homonyme, sur lequel il n’a rien appris par les romans, aussi entreprend-il de mettre ses pas dans le trajet quotidien que faisait l’employé des douanes, qu’était aussi Melville, auteur incompris de son vivant. Une déambulation méthodique et rituelle qui trace une cartographie labyrinthique à la manière des jardins zen japonais, en plus de faire halte dans des bars où allaient, aussi et abondamment, Malcolm Lowry, l’écrivain d’"Au-dessous du volcan". Des alliés pour ce modeste bibliothécaire.

László Krasznahorkai s’amuse ici à montrer, à rebours, la vertu d’un isolement fécond, nourri de l’œuvre des génies et des visions fantasmagoriques connectées à l’universel.

S’il vénère la littérature, il exècre ses usagers, qui ne remettent jamais les livres en place. Son rêve serait de travailler dans un établissement fermé au public. Sans porte, sans fenêtres, où il pourrait se consacrer à retranscrire minutieusement ses ruminations dans ses carnets, pendant ses heures de service. Ce qui – il s’en rend compte – va lui nuire. Mais la catastrophe est inéluctable de toute façon, ce que László Krasznahorkai n’est pas loin de penser non plus.

Ironiquement, alors que dans "Le Baron Weinckhem est de retour", il dénonce à sa manière le repli identitaire du gouvernement hongrois et la peur de l’étranger, il s’amuse ici à montrer, à rebours, la vertu d’un isolement fécond, nourri de l’œuvre des génies et des visions fantasmagoriques connectées à l’universel.

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Son narrateur se tient, comme ses écrivains favoris (Kafka, Beckett...) sur un fil de crête, entre beauté et grisaille, grandeur et médiocrité.

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Entre vérité et fiction

C’est dans la langue que tout se joue. Une langue qui progresse, revient, nuance, précise ce qu'elle a à nous dire. À nous d’écouter ou de déclarer forfait, ce qui serait dommage tant la proposition va bien au-delà de l’exercice. On songe à Cortazar, à Borges ou encore à Saramago et son employé à lui de l’état civil, préposé aux fiches dans "Tous les noms" et qui lui aussi part sur la piste d’une personne réelle. 

On devine que László Krasznahorkai, comme son personnage, préfère le monde ancien, Homère et Ulysse, à notre univers où tout n’est "que danger, risque, tension, destruction".

La question de l’identité profonde, intime, est centrale, celle qu’on se choisit pour abri, entre vérité et fiction. On devine que László Krasznahorkai, comme son personnage, préfère le monde ancien, Homère et Ulysse, à notre univers où tout n’est "que danger, risque, tension, destruction, que rien ne peut y demeurer intact. L’expression même 'demeurer intact' est mensongère, toute forme de paix, de tranquillité, de stabilité, de repos, est une illusion". Habiter en littérature peut sauver notre unicité, sans l’altérer, sauf à la grandir.

Roman

"Petits travaux pour un palais"

Par László Krasznahorkai

Traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly

Édité par Cambourakis

112 p. - 16 €

Note de L'Echo:

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