Droits de douane américains: l'Europe a-t-elle intérêt à se rapprocher de la Chine?
Après avoir fait chou blanc à Washington, le commissaire européen au Commerce s'est rendu à Pékin. Un voyage sous forme de main tendue.
Un jour à Washington, le lendemain à Pékin. Au moment où Donald Trump annonçait de nouveaux tarifs sur les voitures, et alors que Washington se prépare à présenter un vaste paquet de barrières douanières contre les pays avec lesquels les États-Unis présentent un déficit commercial, le commissaire européen au Commerce, Maroš Šefčovič, multiplie les messages.
L'Europe veut un "deal équilibré plutôt que des tarifs injustifiés", a-t-il répété aux États-Unis; et elle se prépare en allant plaider auprès du vice-Premier chinois He Lifeng pour un "rééquilibrage tangible" des relations de commerce et d'investissement entre l'Union et la Chine.
"Cela envoie le signal aux Américains que s'ils ne jouent pas le jeu du commerce mondial, on pourrait revoir en partie notre stratégie vis-à-vis de la Chine", observe Niclas Poitiers, chercheur au think tank Bruegel. Mais au-delà du symbole, la politique tarifaire américaine pourrait-elle pousser l'Union à un rapprochement économique concret avec la Chine?
L'Union fait déjà savoir qu'elle ne laissera pas les produits chinois bloqués aux États-Unis se déverser sur son marché.
Un "rééquilibrage"
Dans un contexte où les États-Unis abandonnent le système commercial mondial et, dans une certaine mesure, l'alliance transatlantique, la sorte de coalition contre la Chine que Joe Biden avait essayé de construire avec les Européens a perdu sa pertinence, observe Niclas Poitiers. "Il n'en reste pas moins que le commerce UE-Chine pose de réels problèmes dont il faut discuter. À commencer par le risque de redirection vers l'Europe de produits chinois bloqués par les États-Unis."
Dans un contexte où les relations sino-européennes sont déjà marquées par de vives tensions sur la politique de subsides de la Chine à l'égard de l'industrie des voitures électriques, l'Union fait déjà savoir qu'elle ne laissera pas les produits chinois bloqués aux États-Unis se déverser sur son marché. Ce sujet suffit à lui seul à justifier que la Commission cherche activement à préparer le terrain avec Pékin.
Une relation politiquement instable
Mais au-delà de l'anticipation des problèmes que poseront les tarifs américains, l'Union est-elle en passe de reprendre la voie d'un rapprochement avec Pékin? Face à Trump, la Commission européenne accélère ses discussions commerciales avec le reste du monde – en signant avec le Mercosur, en resserrant ses liens avec l'Inde ou encore l'Afrique du Sud.
Jusqu'il y a peu, le message dominant à l'égard de la Chine était qu'il fallait réduire les risques que représentait une trop grande dépendance de certains secteurs de l'économie à l'égard d'un seul pays tiers – ce qu'Ursula von der Leyen a appelé le "de-risking". Mais la perspective d'un agenda positif avec Pékin fait timidement son retour. "Je pense que nous pouvons trouver des accords qui pourraient élargir nos liens commerciaux et d’investissement", disait la présidente de la Commission en février.
"Si les États-Unis ne sont plus l'adversaire de la Russie, et sachant que l'Europe est un plus grand partenaire économique pour la Chine que la Russie, on pourrait voir les équilibres changer."
Une main tendue
À ce stade, ces signaux relèvent de la main tendue, sans perspective concrète. La plus évidente serait de réactiver l'accord sur la protection des investissements. En 2020, l'Union avait conclu avec la Chine ce "Comprehensive Agreement on Investment" (CAI), mais il avait été mis en suspens suite à une crise diplomatique au sujet des violations par la Chine des droits humains dans le Xinjiang.
"Je ne pense pas qu'on en soit encore au stade où on pourrait faire revivre le CAI", indique Niclas Poitiers. D'abord parce que la question des Ouïghours n'a pas changé – "même si on assiste peut-être à une évolution dans le degré d'importance que l'Europe donne aux droits humains en regard de ses intérêts commerciaux et stratégiques".
Ensuite, parce que le sujet stratégique pour l'Europe est aujourd'hui l'Ukraine, or dans les faits la Chine s'est largement positionnée en soutien à la Russie, avec laquelle elle affiche une amitié indéfectible. Dans cette configuration, la coopération envisageable avec la Chine est très limitée.
Mais cet élément pourrait être en train d'évoluer avec le repositionnement des États-Unis vis-à-vis de la Russie. "Si les Chinois sont du côté de la Russie dans le conflit ukrainien, c'est en partie parce qu'ils sont anti-américains: l'ennemi de mon ennemi est mon ami. Mais si les États-Unis ne sont plus l'adversaire de la Russie, et sachant que l'Europe est un plus grand partenaire économique pour la Chine que la Russie, on pourrait voir les équilibres changer."
Une autre raison pour laquelle l'Europe ne devrait pas se rapprocher trop franchement de la Chine à ce stade est la politique de coercitions économiques menée par Pékin, comme on l'a notamment vu à l'égard de la Lituanie, attaquée pour avoir autorisé l'ouverture à Vilnius d'un bureau de représentation de Taïwan. Plus généralement, observe Niclas Poitiers, la question de savoir dans quelle mesure la Chine peut être vue comme un partenaire fiable, qui n'abuse pas de sa position dans la chaîne de valeur, n'a pas perdu de sa pertinence.
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