Michael Anseeuw (BNPPF): "Il faut accompagner les jeunes artistes dans leurs démarches entrepreneuriales"
BNP Paribas Fortis et Flagey lancent Flagency, un programme de 3 ans pour aider de jeunes musiciens à lancer leur carrière ou à la faire passer à la vitesse supérieure.
Il y avait déjà le sponsoring et le mécénat d'entreprise, mais Flagency va encore plus loin en mutualisant le cœur de métier des deux partenaires de ce projet qui vise à accompagner durant trois ans cinq jeunes talents prometteurs. Flagey, qui sélectionnera chaque année une nouvelle promotion, en assurera le mentoring et le coaching artistique. Les artistes seront invités à jouer, enregistrer, et pourront disposer des ressources de l'organisation de concert.
BNP Paribas Fortis, de son côté, assurera un suivi personnalisé des musiciens en matière de gestion financière, de crédits et d'assurances, tant au niveau national qu’international. En partenariat avec Dreams Lab (Partena Professional), la banque les accompagnera également dans toutes les démarches légales et administratives nécessaires à leur carrière. Rencontre avec les deux maîtres d'œuvre de la nouvelle agence: Michael Anseeuw, CEO de BNP Paribas Fortis, et Gilles Ledure, directeur de Flagey.
Pourquoi créer une agence artistique avec le soutien d’une banque?
Michael Anseeuw (BNP Paribas Fortis): Nous jouons un rôle actif dans tout ce qui relève de la culture et la jeunesse. Et naturellement, dans tout ce qui a trait à l’entrepreneuriat. Lors d'un déjeuner, Gilles Ledure a évoqué la difficulté pour les jeunes artistes qui se lancent. Il leur faut se présenter avec un portfolio de concerts et de projets qu’ils n’ont généralement pas. C’est ce besoin qui a été identifié sur base de notre discussion et que nous rencontrons aujourd’hui avec Flagency. Gilles, du côté de Flagey, avait clairement des idées pour soutenir et accompagner les jeunes artistes dans les domaines qui le concernent. Mais il y en a d'autres où il faut aussi aider les musiciens et qui relèvent de l’entrepreneuriat. Très logiquement, nous avons réuni les propositions de Flagey et de BNP pour accompagner ces jeunes dans leurs premières démarches.
"Un agent à Londres ou à New York ne peut plus repérer une jeune pépite d’ici comme pouvait le faire autrefois un agent basé à Bruxelles: physiquement, c'est impossible."
Gilles Ledure (Flagey): Avec la professionnalisation du métier d'agent, beaucoup de petites agences ont disparu. Auparavant, il y avait les grandes agences internationales d'un côté et, de l’autre, de petits bureaux en connexion avec les organisateurs locaux. Les agences se sont regroupées, souvent dans des grandes villes comme Berlin, New York, et par continents, avec un champ de recrutement énorme. Mais un agent à Londres ou à New York ne peut plus repérer une jeune pépite d’ici comme pouvait le faire autrefois un agent basé à Bruxelles: physiquement, c'est impossible. Étant donné leur croissance et leur taille, le coût de gestion de ces agences internationales est devenu aussi extrêmement lourd.
Ce qui veut dire qu’elles ne parient que sur des valeurs sûres…
G.L.: Il faut faire du chiffre. Or, le chiffre d'affaires, dans notre métier, se planifie deux ans à l'avance, mais ne se réalise que deux ans, deux ans et demi plus tard. Ce qui veut dire qu'une agence doit investir pendant deux ans et demi avant de voir arriver le premier euro. Face à cette situation, les jeunes talents sont souvent démunis parce qu’ils ne peuvent présenter de portfolio avec 20, 25 ou 30 concerts, ce qui correspond, grosso modo, à la masse d’activité dont on a besoin pour faire du chiffre d'affaires. C'est là qu’on s'est dit qu’il y avait une opportunité.
Dans la banque, ce type de projets relèvent généralement de la Corporate Social Responsibility (CSR), émanant du service communication et marketing, qui lui-même traduit les orientations stratégiques de l'entreprise. Comment, chez BNP Parisbas Fortis, intégrez-vous Flagency?
M.A.: En marketing et communication, il y a trois grands axes de sponsoring: le tennis, le cinéma et la culture. Nous cherchons également à soutenir les jeunes. À Flagey, nous épaulons la chorale de jeunes Flagey Academy et les "Jeunes loups". Même chose avec Bozar et La Monnaie. Mais c’est chaque fois à travers un soutien plutôt financier. Avec Flagency, nous avons l’opportunité d'aller au-delà et d’ajouter notre cœur de métier à la partie sponsoring. C’est unique.
Après le covid, on a vu beaucoup de jeunes artistes se lancer comme agents artistiques ou organisateurs de concerts. Et puis, au bout d’un ou deux ans, quand ils ont fait le tour de leurs mécènes, on les a vus parfois plonger parce qu’ils n’avaient pas de réelles compétences en gestion…
M.A.: De manière générale, on constate que l'entrepreneuriat prend une place de plus en plus importante, y compris dans le secteur culturel. L’exemple que vous citez est typique. Pour cette génération d’artistes, il ne s’agit pas seulement de maîtriser leur art, mais également se déployer dans d’autres domaines. Il faut donc les accompagner dans leur démarche entrepreneuriale.
Concrètement?
M.A.: Si un musicien veut se lancer, plusieurs questions se posent. Est-ce que je me lance comme indépendant? Si je joue déjà dans un orchestre, est-ce une activité complémentaire? Quel statut dois-je choisir? Dois-je prendre un numéro de TVA ou de société? Ai-je besoin d'un plan financier pour me lancer? C'est toute cette expertise qui est disponible dans nos équipes qui épaulent les starters (entrepreneurs qui se lancent, NDLR) et les entrepreneurs, et qui sont en mesure d’accompagner les musiciens.
"Il y a toute une panoplie des questions financières qui se présentent aux artistes qui se lancent et pour lesquelles nous pouvons proposer des solutions…"
Auxquels vous proposez ensuite des produits financiers et d’assurance...
M.A.: Ce sont des questions qui se posent dans une deuxième phase. De quelle liquidité opérationnelle ai-je besoin? Quels sont les subsides dont je peux bénéficier? Comment financer mon instrument? Il y a toute une panoplie de questions financières qui se présentent à eux et pour lesquelles nous pouvons proposer des solutions… même pour payer leurs impôts. Le règlement anticipé est bien vu en Belgique, mais ce n’est pas forcément la première chose à laquelle pense un artiste ou un entrepreneur qui débute. En tant qu’indépendant, il faut aussi se protéger soi-même. Imaginons un musicien qui se blesse et doive s’arrêter pendant six mois… Autant de problèmes pour lesquels nous avons des solutions.
Dans la banque, la gestion du risque est fondamentale. Est-ce ici qu’intervient l'expertise de Flagey? Trouver des artistes qui ont un réel potentiel pour rassurer le partenaire bancaire…
G.L.: C'est une expertise que nous avons beaucoup développée et sur laquelle on a bâti une partie de notre réputation. C’est d’ailleurs dans l’ADN de Flagey depuis le début. Il suffit de venir aux concerts du midi ou aux concerts des "Jeunes loups" que nous avons lancés avec BNP durant le covid. Nous avions décidé de reverser intégralement aux artistes la recette de leur concert. Et cela a très bien fonctionné. Il y a des artistes qui sortaient d’ici après une heure avec 1.000 euros en poche. Nous avons compris à ce moment-là qu'il y avait une confiance en cette maison et que les gens disaient: "Vous avez choisi quelqu'un, c'est que c'est bon".
"Le but, c'est qu'on leur remplisse leur petit sac à dos et que, à un certain moment, ils soient assez forts pour aller frapper à la porte d'une grande agence avec le bagage requis."
Avec Flagency, vous proposez aux artistes que vous avez retenus un programme de trois ans. Avec quelle finalité?
G.L.: Le but, c'est qu'on leur remplisse leur petit sac à dos et que, à un certain moment, ils soient assez forts pour aller frapper à la porte d'une grande agence avec le bagage requis. Pour reprendre le slogan de BNP, c'est vraiment "Enable To Grow": c'est leur donner ce petit capital de départ puisque le dicton veut… qu'on ne prête qu'aux riches.
Est-ce aussi l’assurance pour vous d'avoir à terme un pool d'artistes attachés à l'institution et en phase avec ses choix artistiques?
G.L.: Oui, tout à fait. Ce qu'on souhaite, c'est qu’après trois ou quatre ans, les jeunes se disent: "Mais on s'y sent bien, on a toujours bien travaillé avec eux. C'est un bon partenariat. Et mes nouvelles idées, je vais d'abord les proposer à Flagey." Oui, évidemment, il y a une forme de fidélisation qu'on a envie de mettre en place. Elle existe déjà aujourd'hui: je pense par exemple à des gens comme le pianiste Julien Libeer.
C’est en fait une philosophie commune qui sous-tend vos approches respectives?
G.L.: Nous, ce qu'on veut, c’est ôter à l'artiste le poids de devoir tout imaginer. La contrepartie de cette hyperliberté dont dispose l'artiste aujourd'hui, c’est de devoir s'occuper de tout. Or, être artiste, c'est d'abord travailler dix, douze, quatorze heures par jour pour avoir quelque chose à dire dans son art. Après le covid, tout le monde s'y est mis en pensant devenir autoentrepreneur. Entretemps, je vois beaucoup de ces projets dans un état absolument catastrophique. La gestion collaborative, très tendance aussi, a fait beaucoup de dégâts. Tout à coup, on s’est rendu compte que la gestion, c’est un métier. Et gérer, c'est le métier de la banque et le métier de Flagey. Et je crois que c'est là que nous nous sommes très vite retrouvés: sur le fait que nous sommes des gestionnaires et que l'artiste doit être un créateur.
"Tout à coup, on s’est rendu compte que la gestion, c’est un métier. Et gérer, c'est le métier de la banque et le métier de Flagey. Nous sommes des gestionnaires et l'artiste doit être un créateur."
Très pratiquement, une fois que les artistes sont choisis, quel est le programme?
G.L.: On propose aux cinq artistes sélectionnés des concerts, c'est d’abord à ça que cela sert. On leur donne la possibilité d'enregistrer chez nous, de bénéficier de notre service de communication, de notre réseau international et de l'encadrement de notre salle de concert. Une ancienne membre de l’équipe (qui a aujourd'hui lancé sa propre agence artistique, NDLR) a été dédiée à ce programme. Il s’agit de Christine Peterges: 20 ans d’expérience en tant que programmatrice et qui a cette fibre pour entourer de jeunes artistes en demande de soutien. Et, simultanément, la banque organise des réunions, d’abord une fois tous les quinze jours, puis au cas par cas selon les demandes.
Chez BNP, vous calquez-vous sur l’organisation de Flagey?
M.A.: On fait à peu près la même chose. Dans les équipes qui accompagnent les starters, on a identifié deux personnes, qui elles-mêmes connaissent la musique, et qui vont suivre ce programme en plus de leurs autres tâches. Cela facilite les choses pour Flagey et les artistes d'avoir des personnes de référence qui comprennent leur métier. À travers des interactions régulières, elles identifieront leurs besoins et planifieront leur accompagnement dans le temps, en s’aidant notamment de notre "starters kit". Le feedback qui me revient fait état d’un énorme enthousiasme. Cela compte à l’heure où les banques ne sont pas des plus populaires: cela redonne du sens, de la reconnaissance et de l’énergie à nos équipes.
"Les personnes de référence de la banque identifieront les besoins des artistiques et planifieront leur accompagnement dans le temps, en s’aidant notamment de notre 'starters kit'".
Pour la banque, quelle est réellement l'opportunité?
M.A.: Du point de vue commercial, il y a un double avantage. Il y a d’abord l’opportunité d’apprendre quelque chose de nouveau et voir, si cette approche spécifique fonctionne, dans quelle mesure nous pouvons la transposer dans d'autres domaines. En ce qui concerne les démarches pour obtenir des subsides, par exemple. Ensuite, il y a un message à faire passer aux artistes: n’attendez pas pour passer nous voir… Car il nous arrive d’être confrontés à des gens qui arrivent trop tard, quand les problèmes sont arrivés, ce qui les rend beaucoup plus difficiles à aider.
Est-ce qu’avec Flagency on ne réinstitue pas la notion d'intermédiaire, capable d'assurer l'échange entre les partenaires?
G.L.: Avec cet outil, on crée un bureau, un environnement structuré. L'individualisation à l’extrême, c'est très bien, mais, à un moment donné, on est plus fort quand on est soutenu par une structure. Et cette structure, qui n’existait pas, nous l’avons créée. Alors, si, demain, le ministère de la Culture nous dit que ça l’intéresse de devenir le troisième partenaire de ce projet, parce qu’il répond à une mission fondamentale, pourquoi pas. En Finlande, qui produit un incroyable vivier de musiciens, ils ont une agence d'État qui a développé ce genre de compétences. Je suis intimement persuadé que le partenariat public-privé tel qu'il a été défini à Flagey, grâce à BNP Paribas, est un modèle qui a de l'avenir.
Entrepreneuriat
Flagency
Une initiative de Flagey et BNP Paribas Fortis
→ Info sur www.flagey.be
Quatre des cinq premiers musiciens de Flagency ont déjà un nom… à commencer par le violoncelliste ukrainien Aleksey Shadrin (1993), diplômé de la classe de Gary Hoffman à la Chapelle musicale et 4e Prix du Concours Reine Élisabeth 2022, récompensé à juste titre pour sa musicalité à fendre les pierres.
Ensuite, il y a des pianistes, la grande spécialité de Flagey: un en jazz, le Luxembourgeois Arthur Possing (1996), élève d’Éric Legnini au Conservatoire de Bruxelles, et deux classiques, la Française Élodie Vignon (1984), déjà trois CD Cyprès à son actif et de belles qualités de chambriste, et enfin l’Italien Marco Mantovani (1992), qui a achevé sa formation chez Aleksandar Madzar, au Conservatoire flamand de Bruxelles, dont il est devenu l’assistant. On aime voir ce dernier croiser le grand répertoire avec la création, comme il le fera, ce vendredi, à 12h30, à Flagey, en flanquant Bach et Schumann d’une partita pour piano de Heinz Holliger.
Comment les artistes qui bénéficieront pendant trois ans de Flagency ont-ils été choisis?
Gilles Ledure (directeur de Flagey): Ils l’ont été dans les domaines de compétence de Flagey – la musique classique et le jazz, et un peu la musique du monde. Des domaines dans lesquels nos programmateurs connaissent les jeunes et peuvent repérer très vite les pépites. Et ce sont autant de domaines dans lesquels nous pouvons créer des débouchés. Nous avons 200 concerts par an. Le but, c’est que ces jeunes jouent, et comme nous n’avons pas la maîtrise d’autres salles, c’est d’abord chez nous que nous allons les programmer.
Michael Anseeuw (CEO de BNP): Ou à la banque! Pour nous, c’est une belle opportunité. Parce qu’autrement, où trouver les jeunes talents? Aujourd’hui, nous avons une série de concerts avec les lauréats du Concours Reine Élisabeth, mais avec Flagency, nous aurons un autre vivier d’artistes de qualité que l’on pourra programmer pour des événements.
Pour quels types? Des concerts pour les clients "premium" ou "corporate" de la banque?
M.A.: C’est assez large. On organise des concerts un peu partout en Belgique et pour tous les clients de la banque qui aiment écouter de la musique. Il y a des concerts dans des endroits assez spectaculaires pour l’aspect relationnel, mais on programme aussi au niveau local où tous les clients de la banque sont conviés. Nous avons aussi un bel auditorium… dont l’acoustique pourrait être meilleure. (rires).
G.L.: Le Concours Reine Élisabeth nous a donné l’autorisation de travailler avec les jeunes issus du concours dans le cadre de Flagency (Gilles Ledure est président du jury, NDLR). Il y a par exemple le violoncelliste ukrainien Aleksey Shadrin, qui est absolument magnifique, et qui cherchait un soutien. Il ne faut pas croire qu’en sortant du concours, tout le monde dispose automatiquement d’un agent…
Avec les Concours et la Chapelle musicale, il semble pourtant bien entouré...
G.L.: L’artiste qui se présente est bien entouré au moment du concours. Ensuite, "it's a big world out there"… Et puis le Concours Reine Elisabeth n’a plus les moyens d’assurer son fameux "service après-vente". C’est un autre métier et ils n’ont ni le personnel ni le temps d’encore le faire. Il faut s’occuper des réseaux sociaux, des captations. Beaucoup de choses sont devenues très complexes. La recherche de moyens a pris énormément de place là où, auparavant, elle était assez évidente pour des institutions comme les nôtres... BNP est partenaire du Concours et de Flagey, cela aurait été bête de ne pas trouver un terrain d’entente.
M.A.: C’est d’ailleurs le point de départ de notre discussion. Gilles m’a raconté qu’un premier lauréat l’avait contacté au lendemain de sa victoire en lui demandant: "Et maintenant, je fais quoi?" (rires).
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